Piotr Ilitch Tchaïkovski : Quatuors 1 et 2
Dmitri Chostakovitch : Quatuors 3 et 8
Magnifique document que ce DVD qui nous restitue un concert de 1987, et qui laisse un témoignage en image du Quatuor Borodine qui a tant apporté à la création russe du vingtième siècle. Ce quatuor fondé en 1945 (avec Rostropovitch et Barchaï !) a en particulier accompagné Chostakovitch tout au long de la composition de ses quatuors. C’est ce quatuor qui a joué pour les obsèques de Staline et de Prokofiev, le même jour de 1953.
Les quinze quatuors de Chostakovitch (1906−1975) sont l’ensemble le plus important du compositeur, avec ses quinze symphonies. Comme pour les symphonies, les styles changent tout au long de la carrière du compositeur, avec un parallèle saisissant. Le Quinzième Quatuor étant comme la Quinzième Symphonie d’un caractère expérimental passionnant. Les quinze quatuors écrits de 1938 à 1974 constituent une sorte de journal intime du compositeur.
L’ensemble de l’interprétation est idéal, avec un lyrisme échevelé pour les très romantiques quatuors de Tchaïkovski, lyrisme qui culmine dans le célèbre andante du Second Quatuor, d’une tristesse slave à couper le souffle.
Mais l’œuvre en particulier qui fait de ce DVD un document d’une valeur inestimable est l’interprétation du Huitième Quatuor de Chostakovitch, une œuvre d’une force, et malheureusement d’une actualité, époustouflantes. Ce quatuor a été créé par le Quatuor Borodine pendant la période la plus noire et stressante du stalinisme. Chostakovitch en fait une œuvre autobiographique, avec quelques éléments facilement reconnaissables et importants à noter.
Tout d’abord, l’œuvre est constamment marquée par le thème signature du compositeur, le tétragramme DSCH que sont ses initiales et qui, transcrit en notation musicale allemande, donne ré-mi bémol-do-si naturel, motif que l’on entend de façon lancinante à travers de nombreuses transformation tout au long de l’œuvre, monumentale. Ce thème tétragramme apparaît également dans les Dixième et Quinzième Symphonies. On note, bien évidemment, la ressemblance de cette formule motivique avec celle de BACH (sib, la, do, si) qui est son exact renversement. « Je me suis dit qu’après ma mort personne sans doute ne composerait d’œuvre à ma mémoire. J’ai donc résolu d’en composer une moi-même… », dira Chostakovitch.
Chostakovitch ajoute également de nombreuses autocitations, dont le célèbre thème juif de son Second Trio, thème qui, entrelacé avec la signature musicale du nom du compositeur, montre sa solidarité face à l’antisémitisme très présent en cette période. Mentionnons également au troisième mouvement les coups de boutoir répétés des cordes graves, lesquels représentent les coups à la porte au petit matin des forces de sécurité qui emmenaient les opposants, et font bien sentir l’angoisse généralisée d’être réveillé un matin par ces bruits sourds à la porte.
Même si l’image est naturellement un peu datée, nous avons la chance d’avoir sur ce DVD une prise de son d’exception ; l’intensité sonore du quatuor et des œuvres est parfaitement restituée, ce qui fait, on l’a dit, de ce DVD un document historique.
Quatuor Borodine
Un DVD Medici Arts