Origins.earth l’urgence de mesurer les émissions carbone en temps réel
En 2020 Karina Cucchi (X09) et en 2021 Danielle Bengono (M19) ont rejoint Origins.earth, une start-up filiale de Suez, qui développe Météo Carbone®. C’est un outil pionnier et unique pour évaluer les émissions de CO2 et l’impact des plans climat. Il mesure en temps réel les émissions d’un territoire, cartographie les émissions, suit l’impact global des actions et identifie les opportunités de réduction.
Quel est votre parcours avant d’arriver chez Origins.earth ?
Danielle Bengono (M19) : J’ai un parcours qui regroupe deux corps de métiers : l’énergie et l’environnement. Je suis depuis longtemps très curieuse et passionnée par tout ce qui est expérimentation. À la fin du deuxième cycle secondaire au Cameroun, j’hésitais entre continuer mes études en médecine ou en chimie. Sur les conseils de mes professeurs de lycée, je m’oriente vers la chimie, ce qui correspond à ma personnalité. Je débute une licence en chimie à l’université de Yaoundé I. En L1, je suis retenue par le gouvernement du Cameroun afin d’aller suivre une formation en chimie appliquée en Chine. Mon cursus pluridisciplinaire se fit en mandarin. Il était constitué d’une prépa intégrée, de langue et de culture chinoises, à Northeast Normal University, puis de quatre ans de sciences dures à Beihua University. J’en garde des souvenirs très forts.
À mon retour au Cameroun en 2013, je constate qu’il existe des problèmes indéniables d’assainissement et de santé publique causés par la pollution de l’air, du sol et de l’eau. Tout de suite, j’envisage une reconversion dans le secteur environnemental. Désormais, je cherche à acquérir une expertise scientifique et technique et une expérience pertinente sur le terrain, qui me permettrait d’adapter les concepts à la situation locale ainsi que d’apporter ma contribution et mon expertise à mon pays dans le domaine. Je décide de retourner en Chine pendant trois ans pour compléter un master en génie et sciences de l’environnement à Central South University. Dans un premier temps je suis des cours théoriques sur des thématiques liées à l’environnement, puis j’intègre un groupe de recherche sur la conception et le recyclage des batteries de lithium et de sodium. À l’issue de cette formation en Chine, je n’avais pas vraiment d’expérience sur le terrain ; j’arrive à l’École polytechnique en France pour compléter mes compétences en développement de nouvelles méthodes plus écologiques et durables. Diplômée de l’X avec un Master of Science & Technology Environmental Engineering and Sustainability Management, j’ai rejoint Suez il y a quelques mois maintenant, plus précisément sa filiale Origins.earth.
“On ne peut modérer ce qu’on ne mesure pas.”
Karina Cucchi (X09) : Mon parcours est centré sur le développement de solutions numériques pour l’environnement. Je suis passionnée par l’utilisation de la donnée et de la modélisation physique et statistique, pour comprendre notre environnement et pour résoudre les défis du changement climatique et d’un mode de vie soutenable. Je suis de la promotion X09 de l’École polytechnique, j’avais choisi le PA (programme d’approfondissement) qui s’appelait à l’époque Mécanique et physique pour l’environnement, que j’ai complété par un master en géosciences à l’École des mines de Paris. J’ai ensuite déménagé aux États-Unis, où j’ai voulu faire l’expérience de la recherche académique, avec un PhD en Environmental Engineering, sur l’utilisation de la modélisation environnementale pour la gestion de la ressource en eau. J’ai mesuré et modélisé les écoulements d’eau sous les rivières (critiques pour la stabilité des débits d’eau entre l’été et l’hiver et la dépollution des eaux de rivière). La vie m’ayant retenue plus longtemps qu’initialement prévu aux États-Unis, j’ai prolongé l’expérience américaine avec un postdoctorat à l’École de santé publique pour rechercher les liens entre conditions environnementales et propagation de maladies infectieuses, et j’ai ensuite plongé pendant deux ans dans l’univers de la tech en tant que data scientist pour l’agriculture de précision. Je suis ensuite rentrée en France et j’ai rejoint le groupe Suez il y a maintenant deux ans, au sein de la start-up Origins.earth.
Danielle, pourquoi as-tu choisi de faire le Master of Science and Technology de l’X ?
DB : Après deux expériences en Chine, j’ai intégré le MSc&T de l’X car il propose une ouverture exceptionnelle sur des sujets liés à l’écologie, à la durabilité et sur des notions en management me permettant de compléter mes compétences en environnement en accord avec mon projet professionnel. Un an plus tard, je remarque le dynamisme de certains camarades ; j’intègre alors au sein de l’École plusieurs clubs qui traitent des sujets de l’énergie et de l’environnement.
Pouvez-vous nous présenter Origins.earth ?
DB & KC : Face à l’urgence climatique, la principale mission d’Origins est d’accompagner les collectivités dans l’élaboration et le suivi de leur trajectoire bas carbone. Aujourd’hui, dans l’optique d’une action collective, plusieurs acteurs de la société se mobilisent et s’engagent progressivement. Mais l’implication de chaque individu dans la sobriété n’est pas encore effective et l’absence d’informations à jour et facilement compréhensibles sur les niveaux d’émissions locales de gaz à effet de serre (GES) contribue peut-être à cette inertie. À Origins.earth, nous voulons renforcer action collective et action individuelle grâce à des outils innovants. Origins est née en 2019 au sein de Suez Consulting, filiale de Suez accompagnant les collectivités territoriales dans la transition environnementale, sur le constat de décalage entre les objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et la réalité des outils à disposition des collectivités.
“Faire le pont entre le monde de la science et le monde de la décision publique.”
Aujourd’hui, la température moyenne planétaire a déjà progressé d’environ 1 °C par rapport à la période préindustrielle, du fait des émissions de GES par l’homme. L’Accord de Paris se fixe pour objectif de rester bien en dessous de 2 °C, si possible sous les 1,5 °C, et de renforcer les actions et les investissements nécessaires. Dans ce cadre, les pays de l’Union européenne se sont engagés à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % pour 2030 par rapport à 1990, et d’atteindre une économie et une société neutres en 2050. C’est sur le suivi de la réduction de ces émissions dans les territoires qu’Origins.earth se concentre.
Concrètement, en collaboration avec le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE), nous avons développé une solution qui combine des technologies hardware et software. Cette solution, appelée Météo Carbone®, repose sur trois briques technologiques : un inventaire dynamique qui traite automatiquement de la donnée d’activité disponible en open data, des capteurs mesurant en continu la concentration de CO2 dans l’atmosphère et un modèle atmosphérique permettant de modéliser le lien entre les émissions au sol et les concentrations mesurées dans l’atmosphère. En somme une solution de mesure du CO2 et de suivi en continu sur les territoires.
Qu’est-ce que cette technologie apporte de plus ?
DB & KC : Sur un territoire, la mesure atmosphérique directe vient compléter les méthodes d’évaluation et d’estimation en vigueur fondées sur des données issues des différents secteurs d’activité, qui se révèlent parfois obsolètes. Autrement dit, les méthodes classiques pour évaluer les émissions reposent sur ce qu’on appelle des données d’activité, qui décrivent les activités émettrices de l’homme sur un territoire donné (par exemple le nombre de voitures qui passent sur une route, les consommations d’énergie) et qui sont ensuite compilées et multipliées par un facteur d’émission pour calculer l’émission globale sur le territoire. Ces méthodes fonctionnent, mais elles nécessitent un travail de collecte et d’analyse considérable qui est typiquement réalisé en interne dans les collectivités territoriales ou par des bureaux d’études, tous les trois à six ans.
Ce que nous proposons, c’est de mesurer en temps réel les concentrations de CO2 sur le terrain pour les confronter aux estimations théoriques calculées ; l’objectif étant de fournir des bilans précis et spatialisés avec une résolution temporelle plus grande et de réduire les délais entre pilotage et suivi de la réduction des émissions. On ne peut modérer ce qu’on ne mesure pas. Sachant que la plupart de nos émissions sont dans les villes, la compréhension du fonctionnement des villes est primordiale pour obtenir des effets rapides et assurer l’atteinte de nos objectifs de réduction.
Nous sommes convaincues que, en utilisant des valeurs plus récentes pour communiquer avec les habitants sur la réalité des émissions de leur territoire et sur les efforts qui restent à fournir, les villes se donnent plus de chance de réussir la transition vers un monde bas carbone. La bonne nouvelle est que les capacités scientifiques de mesure sont là et que nous pouvons les utiliser à bon escient !
Origins est une jeune pousse, a‑t-elle été impliquée dans des projets d’envergure ?
DB & KC : Il y a deux ans, nous avons lancé un projet pilote sur la région parisienne, en partenariat avec le LSCE et la Ville de Paris. Dans le cadre de ce partenariat, nous avons déployé neuf stations qui mesurent la concentration en CO2 dans l’atmosphère parisienne. Ces stations déployées sur des points hauts permettent de connaître la concentration de fond en CO2 dans l’atmosphère parisienne. Un modèle atmosphérique permet de prendre en compte l’impact des conditions météorologiques, de la végétation et du transport à large échelle du CO2, et, par une modélisation inverse, de déduire les émissions causées par l’activité humaine. Nous avons ensuite rapproché nos mesures des bilans carbone effectués en interne par la Ville de Paris et validé la pertinence de la mesure atmosphérique pour accéder à un suivi en continu des émissions locales dans les villes.
Avez-vous des projets de développement ?
DB & KC : Au-delà du projet parisien, nous sommes également impliquées dans un projet de recherche type H2020 dans trois villes européennes, afin de déployer de nouveaux réseaux de mesure de CO2 dans les villes pour mieux appréhender leurs émissions locales de GES et les accompagner vers la décarbonation. Nous avons également été contactées par la Banque mondiale et par la Banque de développement asiatique pour leur présenter nos solutions et envisager un déploiement dans d’autres villes du monde. Enfin, nous travaillons sur des propositions d’accompagnement dans plusieurs métropoles mondiales, notamment à Chypre et au Brésil.
Qu’est-ce qui vous différencie des autres ?
DB & KC : L’objectif d’Origins.earth est de raccourcir considérablement les délais pour obtenir les données d’émissions de la ville en passant de deux ans (au minimum) à un mois, voire à une semaine. Ce délai est beaucoup plus pertinent pour piloter efficacement notre action et pour respecter l’Accord de Paris. Nous rencontrons de nombreuses collectivités qui travaillent toujours avec des données d’émissions qui datent de plus de cinq ans. Vous imaginez, dans cinq ans nous sommes presque en 2030, la date qu’on s’est fixée pour réduire les émissions d’au moins 55 % par rapport à celles de 1990 !
Par ailleurs, nous avons établi une collaboration avec le groupe GEMM (Global Environmental Measurement and Monitoring), auquel participent des chercheurs de l’université de Berkeley et l’université Stanford, avec lequel nous avons signé un memorandum of understanding pour travailler ensemble sur la traduction de l’innovation scientifique et technologique en solutions pour les décideurs. Dans ce cadre, nous avons été invitées à participer à un atelier organisé dans le cadre de la COP26 à Glasgow, en novembre 2021.
Pourquoi avez-vous rejoint Origins.earth ? Qu’est-ce qui vous plaît dans votre travail ?
DB : En rejoignant Origins.earth, j’ai vu l’occasion de participer à une démarche significative pour la réduction des GES et personnellement j’avais hâte de commencer à réaliser un objectif que je m’étais fixé. Dans ma mission, je contribue par mes compétences techniques, scientifiques et en gestion à l’établissement de solutions touchant à deux thématiques : l’environnement et l’énergie. Dans le cadre de mon travail, je rencontre des personnes issues de milieux professionnels différents avec des intérêts divergents et parfois pas centrés sur la question climatique. Le fait que je parvienne à les sensibiliser à la démarche carbone et à démystifier certains concepts est personnellement gratifiant, car parfois cela requiert beaucoup de discipline, de détermination et d’empathie.
KC : Ce qui m’intéresse dans le département d’innovation d’une grande entreprise comme Suez, en particulier sur le sujet des gaz à effet de serre, c’est d’être dans la traduction des avancées scientifiques, parfois complexes et peu accessibles, en outils qui se veulent simples et opérationnels pour les décideurs. J’ai l’impression d’être au bon endroit, de mettre mon énergie et mes compétences scientifiques, techniques et managériales au service de quelque chose d’utile, qui peut faire bouger les lignes. À Origins.earth, nous travaillons en partenariat avec des chercheurs à la pointe, comme ceux du LSCE, ou plus récemment avec le professeur Patricia Crifo de l’École polytechnique, dans le cadre d’un projet de recherche avec le MSc&T Economics for Smart Cities and Climate Policy. Le groupe Suez a pour cœur de métier de développer des solutions pour les collectivités territoriales, c’est donc un endroit idéal pour faire le pont entre le monde de la science et le monde de la décision publique, pour développer et mettre à disposition des outils d’aide à la décision. D’ailleurs, nous sommes toujours attentifs à des personnes intéressées par le développement et l’innovation, en particulier autour du développement numérique et de l’analyse de données. Si vous vous reconnaissez dans notre mission, contactez-nous pour qu’on en discute !