« L’inclusion et la diversité représentent de vrais avantages pour l’entreprise »
Entretien avec Dominique Senequier (X72), Présidente d’Ardian. Elle retrace pour nous son parcours, son évolution et nous en dit plus sur sa feuille de route à la tête d’Ardian, un des leaders mondiaux du private equity. Elle revient également sur la question de la mixité et de la diversité dans son secteur, mais aussi sur l’importance d’inciter les jeunes filles à s’engager dans des filières scientifiques.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?
Je viens d’une famille plutôt scientifique. J’ai toujours aimé les mathématiques et j’étais douée dans la matière. Je me suis donc assez naturellement tournée vers les classes préparatoires scientifiques, que j’ai faites à Marseille au Lycée Thiers.
Lorsque j’ai passé les concours d’écoles d’ingénieurs, en 1972, pour la première fois les filles pouvaient présenter celui de l’École polytechnique. J’ai donc tenté ma chance et j’ai été reçue avec six autres camarades féminines. J’étais la plus jeune, je n’avais pas encore 19 ans. Ce fut un tournant radical pour moi mais aussi pour l’école vous vous en doutez.
Avec le recul, quelles ont été les étapes les plus structurantes ?
Sans hésitation, mes années de classes préparatoires. Évidemment, il faut du recul pour pouvoir dire cela car ce sont des années difficiles. Le rythme est intense et la fatigue est grande mais la stimulation intellectuelle vous garde éveillée. C’est une école de la rigueur et de la résilience. Il n’est pas seulement question d’enregistrer des connaissances, on vous apprend aussi à réfléchir, à structurer votre pensée. C’est extrêmement précieux pour la suite de votre vie. Encore aujourd’hui, bien des années plus tard, cette formation continue de me guider.
Aujourd’hui, quelle est votre feuille de route ? Quels sont les principaux sujets qui vous mobilisent ?
Mon principal objectif est de continuer à faire grandir Ardian en relevant tous les défis que cela implique. Nous sommes entrés dans une ère particulièrement complexe dans laquelle la croissance d’une entreprise tient à une multitude de facteurs dont il faut tenir compte : rester compétitifs sur des marchés très concurrentiels et changeants, résister aux à‑coups macroéconomiques et à l’incertitude géopolitique (lire : Une dette responsable pour une croissance responsable). D’autres enjeux de long terme sont également présents comme le fait d’être socialement responsables, répondre aux exigences environnementales, générer un impact positif, attirer et garder tous les talents…
J’ai confiance car Ardian est une belle entreprise, qui est solide et très bien positionnée sur tous ces enjeux.
Quel regard portez-vous sur la mixité dans votre secteur d’activité ? Votre entreprise ?
La mixité reste un défi même si les choses ont beaucoup changé dans le monde de la finance et dans le capital-investissement en particulier. J’ai vu les choses progresser avec satisfaction.
Je suis évidemment très sensible à cette question et j’ai toujours fait en sorte que notre organisation attire et promeuve des femmes à tous les niveaux et à tous les postes. C’est d’ailleurs une fierté pour moi qu’Ardian soit aujourd’hui composé de 40 % femmes et 60 % d’hommes. Une très bonne répartition pour notre secteur à laquelle nous continuons de travailler. Depuis 2018, s’est constitué dans nos équipes, un Women’s club, pour porter la voix des femmes dans le capital-investissement, les aider à faire évoluer leur carrière au sein de notre entreprise et de développer leur réseau professionnel.
Comment un acteur comme Ardian appréhende ces sujets de mixité, diversité et inclusion ?
Avec conviction, ambition et l’intention d’être moteur pour notre industrie. Notre politique interne est poussée et nos efforts sont continus. Nous savons aujourd’hui que l’inclusion et la diversité représentent de vrais avantages pour l’entreprise.
“Plus nous aurons de talents issus de la diversité chez Ardian, plus nous en attirerons de nouveaux et saurons les garder. C’est aussi ce qu’attendent les jeunes générations : un monde de l’entreprise qui ressemble vraiment au monde dans lequel ils vivent.”
En recrutant des talents issus d’une plus grande diversité, nous avons une meilleure compréhension de la complexité du monde et nous sommes plus performants. C’est pour cela qu’en 2020, nous avons mis en place un « comité inclusion et diversité » dans notre bureau parisien. Il regroupe 17 membres aux profils et aux niveaux de séniorité divers et qui se réunit 6 fois par an pour travailler sur ces questions. Cette année, nous sommes les premiers de la Place à lancer un baromètre pour mesurer la diversité chez Ardian et le sentiment d’inclusion. Ce comité a donné naissance à 4 autres comités dans nos bureaux New York, Londres, Milan et Francfort.
Au-delà se pose aussi la question de l’attractivité du secteur pour les jeunes générations et la capacité à attirer, mais également fidéliser les talents de demain. Qu’en est-il ?
Je pense que c’est un cercle vertueux. Plus nous aurons de talents issus de la diversité chez nous, plus nous en attirerons de nouveaux et saurons les garder. C’est aussi ce qu’attendent les jeunes générations : un monde de l’entreprise qui ressemble vraiment au monde dans lequel ils vivent.
Mais il faut aussi agir « à la racine » car les formations qui mènent à la finance sont encore très largement dominées par les hommes. En 2022, plus de 50 % des filles ont abandonné les mathématiques après la classe de seconde1. C’est un chiffre impressionnant qui démontre qu’il faut absolument briser cette association « filière scientifique = filière masculine », dès le plus jeune âge et auprès des jeunes filles elles-mêmes qui pensent trop souvent qu’elles n’ont pas les capacités. Nous ne sommes pas exempts de cette tendance dans nos équipes d’investissement, où la part des femmes est traditionnellement moins importante que celle des hommes mais nos efforts portent leurs fruits. Nos actions d’information sur le monde de la finance et ses métiers auprès des lycéennes et des étudiantes en sont l’illustration.
Et pour conclure, un mot à adresser à nos lecteurs et lectrices ?
Je pense qu’ils ont justement un rôle d’ambassadeurs à jouer auprès de tous les jeunes, qu’ils leur donnent envie de s’intéresser aux mathématiques et aux sciences en général. Celles-ci sont essentielles dans un monde qui a plus que jamais besoin de rationalité et d’armes scientifiques pour relever les défis qui nous attendent (réchauffement climatique, transition énergétique, progrès médical, finance à impact positif…).
La réputation élitiste associée à la filière scientifique peut flatter ceux qui y ont réussi mais je crois qu’elle est avant tout un obstacle dommageable à son développement.
1 Selon les associations de professeurs