Guerre du Sonderbund

Novembre 1847 : guerre du Sonderbund, la guerre de sécession de la Suisse

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°778 Octobre 2022Par Marc R. STUDER

Les Fran­çais ne savent pas, sauf excep­tion, que les Suisses ont connu leur propre Guerre de séces­sion, qui en 1847 n’a certes duré que moins d’un mois et qui n’a fait qu’une cen­taine de morts. C’est le Géné­ral Dufour, X1807, qui du côté fédé­ral sut mener cette guerre avec effi­ca­ci­té, mais sur­tout avec une remar­quable éco­no­mie de pertes humaines. Sur cette base, la Suisse put gérer au béné­fice com­mun les suites du conflit dans un sou­ci louable de compromis.

De 1815 à 1830 la Suisse connaît après les guerres napo­léo­niennes une période dite de la « Res­tau­ra­tion », qui per­met aux anciennes familles patri­ciennes de reprendre peu à peu le pou­voir. Mais le Code Napo­léon dis­tille ses effets pro­gres­sifs dans la popu­la­tion. Les Trois Glo­rieuses engendrent une vague de libé­ra­lisme qui va rapi­de­ment sub­mer­ger la Suisse et déchi­rer sa popu­la­tion : libé­raux-radi­caux contre conser­va­teurs, cen­tra­li­sa­teurs contre fédé­ra­listes, pro­tes­tants contre catho­liques. La Suisse entre dans sa période dite de « Régé­né­ra­tion », qui va la mener à la guerre civile, puis se ter­mi­ner avec l’adoption d’une nou­velle consti­tu­tion, le 12 sep­tembre 1848, laquelle marque l’avènement de la Suisse moderne. Les libé­raux défendent la sou­ve­rai­ne­té popu­laire, la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive et les liber­tés indi­vi­duelles. Les radi­caux veulent plus de démo­cra­tie et d’égalité, le chan­ge­ment de la struc­ture confé­dé­rale, la cen­tra­li­sa­tion du pou­voir et l’établissement d’état uni­taire fon­dé sur la seule légi­ti­mi­té du peuple suisse. Les libé­raux et radi­caux repré­sentent le camp des pro­gres­sistes. Les conser­va­teurs sont oppo­sés aux idées nou­velles, atta­chés à la sou­ve­rai­ne­té can­to­nale et à la struc­ture confé­dé­rale issue du Pacte de 1815.

Conservateurs contre progressistes

Les vastes réformes libé­rales entraî­nées par la moder­ni­sa­tion éco­no­mique s’accentuent dès les années 1840, avec d’un côté les libé­raux, sub­mer­gés sur leur gauche par leurs alliés radi­caux, plu­tôt pro­tes­tants, aisés, de zones à forte den­si­té de popu­la­tion, favo­rables à un gou­ver­ne­ment cen­tral fort pour résis­ter aux menaces des nou­velles puis­sances euro­péennes, et sur­tout éco­no­mi­que­ment déter­mi­nés à abo­lir les bar­rières doua­nières can­to­nales qui entravent le com­merce. Dans le camp des conser­va­teurs, on trouve plu­tôt de petits can­tons, fai­ble­ment peu­plés, ruraux, pauvres, catho­liques et atta­chés à une sou­ve­rai­ne­té can­to­nale qui leur garan­tit une voix égale à celle des can­tons puis­sants comme Berne ou Zurich.

Devant l’incapacité de la Diète fédé­rale à régler les crises locales, sept can­tons catho­liques : Uri, Schwytz, Unter­wald, Zoug, Fri­bourg et le Valais, emme­nés par Lucerne, décident secrè­te­ment d’organiser la défense de leur sou­ve­rai­ne­té can­to­nale et de l’Église en signant le 11 décembre 1845 une alliance de défense mutuelle, appe­lée par ses enne­mis « Son­der­bund » (Alliance sépa­rée). En 1846 l’accord secret est désor­mais connu et les libé­raux-radi­caux, le jugeant contraire au Pacte de 1815, réclament la dis­so­lu­tion du Son­der­bund, mais ils sont encore mino­ri­taires à la Diète. Les élec­tions de Saint-Gall, en mai 1847, sont déci­sives : les radi­caux l’emportent de peu, assu­rant du même coup un ren­ver­se­ment de majo­ri­té à la Diète. France, Autriche, Prusse et Rus­sie observent avec atten­tion cette fou­droyante mon­tée du radi­ca­lisme qui emporte la Suisse, inquiètes d’une pos­sible conta­gion sur leur ter­ri­toire. Si elles répondent favo­ra­ble­ment aux demandes du Son­der­bund, elles n’interviennent tou­te­fois pas militairement.

Une guerre civile

Fina­le­ment, le 20 juillet 1847, 12 can­tons et 2 demi-can­tons déclarent la dis­so­lu­tion du Son­der­bund, par les armes s’il le faut. Le Son­der­bund lève des troupes. Le 21 octobre, la Diète mobi­lise et confie au Gene­vois Guillaume Hen­ri Dufour la déli­cate mis­sion de dis­soudre le Son­der­bund. Consi­dé­rant cette mobi­li­sa­tion comme une décla­ra­tion de guerre, les dépu­tés du Son­der­bund quittent la Diète le 29 octobre. Le 3 novembre, les troupes d’Uri pénètrent au Tes­sin, pour ren­ver­ser le gou­ver­ne­ment radi­cal et assu­rer les appro­vi­sion­ne­ments en vivres et en armes depuis l’Italie du Nord autri­chienne. Cette offen­sive fait perdre au Son­der­bund son carac­tère défen­sif. C’est la guerre civile !

Plan d'attaque de Fribourg par le Général Dufour lors de la guerre du Sonderbund
Plan d’at­taque de Fri­bourg par le Géné­ral Dufour lors de la guerre du Sonderbund.

Dufour a son plan : en finir rapi­de­ment avec Fri­bourg, mar­cher sur Lucerne et ter­mi­ner par le Valais. Mais il n’en reste pas moins déter­mi­né à épar­gner le plus de vies pos­sible, dans les deux camps ; le 12 novembre au soir, tout est prêt pour l’attaque contre Fri­bourg, mais il attend le 13 au matin et dépêche un émis­saire à Fri­bourg, en dévoi­lant ses forces : 20 000 hommes et 60 bouches à feu ; « Mon­sieur l’Avoyer, ouvrez donc vos portes aux troupes fédé­rales. Il n’y a pas de déshon­neur à céder à la force ». Il ira même jusqu’à accor­der un armis­tice de 24 heures. Il consi­gne­ra dans son jour­nal : « je l’accorde par le désir d’épargner l’effusion de sang et le désir d’arriver si pos­sible à la capi­tu­la­tion. » Le 14, à 10 heures, tout est ache­vé. Fri­bourg a capi­tu­lé. Sans tar­der, il repo­si­tionne ses troupes pour la bataille de Lucerne. Sur le che­min, Zoug capi­tule le 23. Après d’âpres com­bats qui occa­sion­ne­ront le gros des morts de cette guerre, Lucerne capi­tule à son tour le 24. Le 25 novembre, c’est au tour des deux demi-can­tons d’Obwald et de Nid­wald (Unter­wald) de capi­tu­ler, sui­vis le 26 de Schwytz et le 27 d’Uri. Le 29, le Valais à son tour capi­tule. La mis­sion de Dufour de dis­soudre le Son­der­bund est achevée.

Plan d'attaque de Lucerne par le Général Dufour lors de la guerre du Sonderbund
Plan d’at­taque de Lucerne par le Géné­ral Dufour lors de la guerre du Sonderbund


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La modération dans la victoire

La guerre civile du Son­der­bund fut menée avec déter­mi­na­tion mais rete­nue, en 25 jours. Le dic­tion­naire his­to­rique de la Suisse (DHS), fait état de 93 morts (60 pour les troupes fédé­rales, 33 pour le Son­der­bund) et 510 bles­sés (386 – 124). La révo­lu­tion de février 1848 en France et ses réper­cus­sions sur­tout en Autriche empê­chèrent les grandes puis­sances d’intervenir. Dès février 1848, la Suisse entre­prend la refonte du Pacte de 1815. Au cours des décen­nies sui­vantes, l’hégémonie des vain­queurs et l’exclusion firent place à la recherche du com­pro­mis et à l’intégration des vaincus.

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