Novembre 1847 : guerre du Sonderbund, la guerre de sécession de la Suisse
Les Français ne savent pas, sauf exception, que les Suisses ont connu leur propre Guerre de sécession, qui en 1847 n’a certes duré que moins d’un mois et qui n’a fait qu’une centaine de morts. C’est le Général Dufour, X1807, qui du côté fédéral sut mener cette guerre avec efficacité, mais surtout avec une remarquable économie de pertes humaines. Sur cette base, la Suisse put gérer au bénéfice commun les suites du conflit dans un souci louable de compromis.
De 1815 à 1830 la Suisse connaît après les guerres napoléoniennes une période dite de la « Restauration », qui permet aux anciennes familles patriciennes de reprendre peu à peu le pouvoir. Mais le Code Napoléon distille ses effets progressifs dans la population. Les Trois Glorieuses engendrent une vague de libéralisme qui va rapidement submerger la Suisse et déchirer sa population : libéraux-radicaux contre conservateurs, centralisateurs contre fédéralistes, protestants contre catholiques. La Suisse entre dans sa période dite de « Régénération », qui va la mener à la guerre civile, puis se terminer avec l’adoption d’une nouvelle constitution, le 12 septembre 1848, laquelle marque l’avènement de la Suisse moderne. Les libéraux défendent la souveraineté populaire, la démocratie représentative et les libertés individuelles. Les radicaux veulent plus de démocratie et d’égalité, le changement de la structure confédérale, la centralisation du pouvoir et l’établissement d’état unitaire fondé sur la seule légitimité du peuple suisse. Les libéraux et radicaux représentent le camp des progressistes. Les conservateurs sont opposés aux idées nouvelles, attachés à la souveraineté cantonale et à la structure confédérale issue du Pacte de 1815.
Conservateurs contre progressistes
Les vastes réformes libérales entraînées par la modernisation économique s’accentuent dès les années 1840, avec d’un côté les libéraux, submergés sur leur gauche par leurs alliés radicaux, plutôt protestants, aisés, de zones à forte densité de population, favorables à un gouvernement central fort pour résister aux menaces des nouvelles puissances européennes, et surtout économiquement déterminés à abolir les barrières douanières cantonales qui entravent le commerce. Dans le camp des conservateurs, on trouve plutôt de petits cantons, faiblement peuplés, ruraux, pauvres, catholiques et attachés à une souveraineté cantonale qui leur garantit une voix égale à celle des cantons puissants comme Berne ou Zurich.
Devant l’incapacité de la Diète fédérale à régler les crises locales, sept cantons catholiques : Uri, Schwytz, Unterwald, Zoug, Fribourg et le Valais, emmenés par Lucerne, décident secrètement d’organiser la défense de leur souveraineté cantonale et de l’Église en signant le 11 décembre 1845 une alliance de défense mutuelle, appelée par ses ennemis « Sonderbund » (Alliance séparée). En 1846 l’accord secret est désormais connu et les libéraux-radicaux, le jugeant contraire au Pacte de 1815, réclament la dissolution du Sonderbund, mais ils sont encore minoritaires à la Diète. Les élections de Saint-Gall, en mai 1847, sont décisives : les radicaux l’emportent de peu, assurant du même coup un renversement de majorité à la Diète. France, Autriche, Prusse et Russie observent avec attention cette foudroyante montée du radicalisme qui emporte la Suisse, inquiètes d’une possible contagion sur leur territoire. Si elles répondent favorablement aux demandes du Sonderbund, elles n’interviennent toutefois pas militairement.
Une guerre civile
Finalement, le 20 juillet 1847, 12 cantons et 2 demi-cantons déclarent la dissolution du Sonderbund, par les armes s’il le faut. Le Sonderbund lève des troupes. Le 21 octobre, la Diète mobilise et confie au Genevois Guillaume Henri Dufour la délicate mission de dissoudre le Sonderbund. Considérant cette mobilisation comme une déclaration de guerre, les députés du Sonderbund quittent la Diète le 29 octobre. Le 3 novembre, les troupes d’Uri pénètrent au Tessin, pour renverser le gouvernement radical et assurer les approvisionnements en vivres et en armes depuis l’Italie du Nord autrichienne. Cette offensive fait perdre au Sonderbund son caractère défensif. C’est la guerre civile !
Dufour a son plan : en finir rapidement avec Fribourg, marcher sur Lucerne et terminer par le Valais. Mais il n’en reste pas moins déterminé à épargner le plus de vies possible, dans les deux camps ; le 12 novembre au soir, tout est prêt pour l’attaque contre Fribourg, mais il attend le 13 au matin et dépêche un émissaire à Fribourg, en dévoilant ses forces : 20 000 hommes et 60 bouches à feu ; « Monsieur l’Avoyer, ouvrez donc vos portes aux troupes fédérales. Il n’y a pas de déshonneur à céder à la force ». Il ira même jusqu’à accorder un armistice de 24 heures. Il consignera dans son journal : « je l’accorde par le désir d’épargner l’effusion de sang et le désir d’arriver si possible à la capitulation. » Le 14, à 10 heures, tout est achevé. Fribourg a capitulé. Sans tarder, il repositionne ses troupes pour la bataille de Lucerne. Sur le chemin, Zoug capitule le 23. Après d’âpres combats qui occasionneront le gros des morts de cette guerre, Lucerne capitule à son tour le 24. Le 25 novembre, c’est au tour des deux demi-cantons d’Obwald et de Nidwald (Unterwald) de capituler, suivis le 26 de Schwytz et le 27 d’Uri. Le 29, le Valais à son tour capitule. La mission de Dufour de dissoudre le Sonderbund est achevée.
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La modération dans la victoire
La guerre civile du Sonderbund fut menée avec détermination mais retenue, en 25 jours. Le dictionnaire historique de la Suisse (DHS), fait état de 93 morts (60 pour les troupes fédérales, 33 pour le Sonderbund) et 510 blessés (386 – 124). La révolution de février 1848 en France et ses répercussions surtout en Autriche empêchèrent les grandes puissances d’intervenir. Dès février 1848, la Suisse entreprend la refonte du Pacte de 1815. Au cours des décennies suivantes, l’hégémonie des vainqueurs et l’exclusion firent place à la recherche du compromis et à l’intégration des vaincus.