François Mayer (X45), un littéraire contrarié
François Mayer a écrit un livre de souvenirs inoubliable : La digue de sable, environ 500 pages, autoédité (2003) mais diffusé par la librairie du Roule au 67 de l’avenue du Roule à Neuilly (tél. : 01 46 24 73 43). Il mérite qu’on en sache plus sur lui, alors qu’il approche de ses cent ans.
C’est un excellent littéraire, entré à l’X plus par tradition familiale – illustre il est vrai – que par vocation scientifique. L’attestent sa passion pour la lecture, sa familiarité avec de multiples auteurs de diverses périodes, contemporains y compris – ses préférés : Proust, Molière et le Chateaubriand des Mémoires d’outre-tombe – et son écriture de quatre ouvrages depuis sa prise de retraite. C’est un chroniqueur méticuleux, en particulier des années 30, de la drôle de guerre et de l’Occupation, de l’éruption d’un antisémitisme virulent, menaçant voire terrifiant pour lui et les siens.
Famille et amis
Outre son évident talent littéraire, il a un double don de fidélité familiale et d’amitié. Fidélité familiale, vis-à-vis de ses parents et de son frère aîné (dont il se distancie progressivement) ; plus encore vis-à-vis de son grand-père, une personnalité majeure, conseiller du prince de Monaco, Albert Ier, et un érudit, d’une impressionnante droiture morale. Sa mère fut protestante et son père israélite, ce qui a grandement contribué au climat de tolérance qui régnait dans la famille. Et c’est aussi un des nœuds de son récit. Amitié : vis-à-vis de ses camarades de classe, à Janson-de-Sailly ; avec une émulation qui le propulsera dans le peloton de tête de classe.
Supérieur à Saint-Simon et à Sartre…
Ce littéraire, contrarié de son propre gré, voué à l’X par fidélité dynastique, on peut dire, a donc écrit une autobiographie, marquée autant par la modestie que par la justesse. Intitulé La digue de sable, son livre est d’un insigne mémorialiste. À mon goût supérieur à Saint-Simon bien sûr, mais aussi au Sartre des Mots. Pour la précision des notations, il est du niveau de Tocqueville. Autre caractéristique, l’autoportrait à petites touches, qui se rejoignent petit à petit en une figuration attachante, car lucide. En effet il associe bienveillance et lucidité, deux aspects couramment tenus pour contradictoires, mais qu’il marie admirablement. Ce portrait affectueux de toute une famille, vivant une époque mouvementée et difficile, avec la montée du nazisme, le rattachement de la Sarre à l’Allemagne, le Front populaire, la guerre d’Espagne, l’antisémitisme et les mesures antijuives, vaut par son équilibre entre la reconstitution de la sensibilité d’un adolescent, les portraits des membres de sa famille et le récit plus proprement historique. Un grand livre !
Une brillante carrière d’entrepreneur
Mais il attendit d’être à la retraite pour s’y atteler. Voici comment François Mayer résume sa carrière : « Dans une première partie j’ai fait des missions de redressement de durée plus ou moins longue. L’une s’est terminée par quatre années de direction générale d’une grosse PME (400 personnes). Donc beaucoup de variété mais toujours le même employeur. J’ai ensuite, toujours dans le même groupe, été nommé directeur général puis PDG d’une société d’ingénierie et d’entreprise générale tournée vers l’exportation. Le métier était alors en démarrage. Il a pratiquement disparu aujourd’hui. Nous avons travaillé dans trente pays (essentiellement pays socialistes et PVD) et construit 80 usines. Cette société a été rachetée par Technip, avec mon accord. Après avoir assuré la transition pendant un an, j’ai repris du service comme PDG d’une grosse PME (encore 400 personnes) spécialisée dans l’optique et l’optronique militaire, qui redémarrait après un dépôt de bilan. Je devais assurer une transition pendant deux ans et, finalement, j’en ai fait huit. »
Le trombone et le jogging
Pour François Mayer la musique bascula d’un espace de contrainte en un espace de liberté. Espace de contrainte : l’apprentissage, enfant, du violon. Espace de liberté : la découverte du jazz Nouvelle-Orléans à la Libération, d’abord à la radio, puis dans des clubs, à l’écoute du Quintette du Hot Club de France, avec Django Reinhardt et Stéphane Grappelli, et puis, à l’École, formation d’un groupe d’instrumentistes, avec Mayer au trombone, instrument qu’il affectionne particulièrement. Cette formation, qui existe toujours et se revêt de rouge, se produit dans des lieux parisiens, s’associant à de plus jeunes tels que Frédéric Morlot (X01). Jean Salmona (X56) est un ami.
C’est aussi un fervent de l’exercice physique : « J’ai pratiqué beaucoup de sports, mais principalement le football (ma section sportive à l’X), le tennis et le ski. » Tennis ? Il l’adore, a même joué un set avec Jean Borotra (X1920S) ! « Vers cinquante ans, je me suis mis au jogging, au moins une fois par semaine. Je courais (lentement) Paris-Versailles, le maxicross du Figaro, les 20 km de Paris, sans esprit de compétition… et j’ai arrêté ces distances à 70 ans, mais pas mes 5 km hebdomadaires. Cela jusqu’à 8o ans environ. Là, je me suis contenté de marcher, de moins en moins facilement. »