Chine : le programme d’industrie nucléaire le plus ambitieux au monde
La Chine s’est appuyée d’abord sur des technologies étrangères pour développer son nucléaire civil. À présent elle est autonome et le développement de ses capacités la place non seulement à la tête des nations nucléaires, mais encore comme un exportateur de premier plan.
À partir des années 1980, la Chine s’est lancée dans un programme nucléaire civil, avec l’aide notable de la Russie et de la France. Son premier réacteur de technologie chinoise (300 MWe) a divergé en 1991, mais le pays s’est beaucoup appuyé durant les années 1990–2010 sur les technologies étrangères, françaises (M310 puis EPR), russes (VVER) et américaines (AP1000).
Le parc nucléaire chinois
Aujourd’hui, la Chine dispose d’un parc électronucléaire de 54 réacteurs en fonctionnement pour une puissance totale installée de 56 GWe, ce qui fait d’elle le 3e pays nucléaire en termes de puissance installée. Elle a produit en 2021 l’équivalent de 407 TWh d’électricité nucléaire, ce qui la place en seconde position, derrière les USA certes, mais pour la deuxième année consécutive devant la France. Le parc nucléaire chinois est jeune (neuf ans de moyenne d’âge) et il s’agrandit à grande vitesse : ces cinq dernières années, la Chine a mis en service 21 réacteurs et 38 durant la dernière décennie. Elle prévoit que sa puissance installée sera de 70 GWe à l’issue du plan quinquennal en cours, ce qui correspond peu ou prou à la mise en service d’une vingtaine de nouveaux réacteurs, sur un rythme annuel de 4 à 5 nouvelles unités. Et, pour cette seule année 2022, 10 nouveaux projets ont été annoncés.
Une double ambition politique de neutralité carbone et d’indépendance technologique
La Chine a le programme nucléaire le plus ambitieux au monde. 23 tranches sont actuellement en construction et les autorités annoncent avoir la capacité de mener de front plus de 30 chantiers de réacteurs nucléaires. Même si la fission compte encore peu dans son bilan énergétique (2,3 % de l’énergie primaire et 5 % de l’électricité), l’énergie nucléaire dispose pour l’avenir de deux atouts majeurs dans ce pays. Il participe d’une part à la transition énergétique mise en avant au plus haut niveau de l’État ; les régions, les mégapoles et les entreprises déclinent comme un seul homme les nouveaux objectifs du pays. Dans cette volonté de neutralité carbone, le nucléaire est porté par les instances politiques comme une énergie de la transition, au même titre que les renouvelables. D’autre part la Chine a travaillé de longue date à la sinisation des concepts importés : leur nouveau réacteur Hualong est certes dérivé des modèles français, mais il est maintenant considéré comme 100 % chinois dans sa conception et bénéficie d’un taux de localisation supérieur à 90 %. Dans sa forte volonté politique d’indépendance technologique, c’est aussi un atout majeur pour le développement de l’énergie nucléaire.
Le réacteur Hualong
Il ne fait aucun doute que le Hualong, réacteur à eau pressurisée de 3e génération, dont le premier exemplaire a démarré en janvier 2021, constituera la grande majorité des futurs réacteurs chinois. D’ailleurs, onze sont actuellement en construction et cinq autres en phase projet. Disposant d’une durée de vie de soixante ans, ces réacteurs sont l’avenir nucléaire de la Chine pour le XXIe siècle et pour l’accompagner dans sa transition énergétique, puisqu’ils fonctionneront au-delà de 2080. La Chine a consommé en 2020 plus de deux fois plus d’énergie que l’Europe des Vingt-Sept, à 85 % basée sur des énergies fossiles. Son besoin en énergies de remplacement non productrices de CO2 est donc gigantesque. En complémentarité du solaire et de l’éolien, plutôt implantés dans le nord-ouest du pays aux conditions météorologiques favorables et peu peuplé, c’est d’une production d’énergie concentrée dont la Chine a besoin dans l’ouest du pays, le long de ses côtes, pour laquelle seules de grosses unités de production – des Hualong de 1 150 MWe – peuvent répondre.
Des SMR pour remplacer les centrales à charbon
Pour autant, au-delà de la production d’électricité, la Chine compte également sur le nucléaire – les SMR en particulier – pour répondre à d’autres besoins et elle déploie des moyens humains et techniques considérables pour parvenir à ses fins. Ainsi les petits réacteurs modulaires (SMR) sont étudiés pour le remplacement de centaines de centrales à charbon vieillissantes (plus de 3 000 centrales à charbon sont en fonctionnement en Chine), pour la production d’hydrogène, pour des implantations dans l’ouest du pays qui est isolé des principales lignes électriques ou dans le nord du pays pour le chauffage urbain.
“L’innovation n’est pas recherchée à tout prix.”
Les électriciens chinois, CNNC (China National Nuclear Corporation), CGN (China General Nuclear) et SPIC (State Power Investment Corporation), se livrent une compétition sur le sujet et une dizaine de modèles différents sont à l’étude, couvrant une gamme de puissance allant de 25 à 400 MW thermiques. La Chine travaille de front sur tous les types de SMR, des plus innovants comme les réacteurs à sels fondus, aux plus conventionnels comme ceux directement dérivés des centrales à eau sous pression. L’innovation n’est pas recherchée à tout prix et, sur cette dernière gamme, l’impératif est avant tout de maîtriser les coûts, avec un double objectif : remplacer les centrales à charbon sans renchérir le prix de l’électricité et disposer de SRM chinois très compétitifs à l’export.
Les recherches et innovations chinoises
Les universités et l’Académie des sciences chinoise s’impliquent également dans le nucléaire du futur. L’université Tsinghua – grande université pékinoise qui a joué historiquement un rôle dans le développement de la propulsion nucléaire en Chine – investit depuis de nombreuses années dans les réacteurs à haute température. Elle dispose sur son site à Pékin d’un petit réacteur expérimental à haute température de 10 MW et elle vient de mettre en service, en collaboration avec l’électricien CNNC, le premier réacteur à haute température chinois situé sur le site de Shidaowan, dans la province du Shandong. D’une puissance de 210 MWe, ce réacteur de 4e génération à lit de boulets et refroidi à l’hélium fait partie des modèles que la Chine souhaite ultérieurement exporter. L’Académie des sciences chinoise travaille de son côté sur la filière des réacteurs à sels fondus où le combustible est liquide – en l’occurrence du thorium dissous dans un sel de fluorure – mettant en avant le caractère plus sûr, plus propre (le retraitement est réalisé en ligne) et plus économe des ressources naturelles, le thorium étant abondant en Chine. Un projet est en cours pour coupler ce type de réacteur à de la production d’hydrogène, tandis qu’un autre consortium vient de se créer en vue de promouvoir la production d’hydrogène à partir de réacteurs à gaz à haute température. La CNNC travaille également dans le développement des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Un premier réacteur expérimental de 20 MW a divergé en 2014, et l’entreprise, qui dispose de moyens considérables, s’est aussi engagée dans la réalisation de deux réacteurs de 600 MWe, dont le premier devrait démarrer en 2023.
Une vision à long terme
Ce ne sont là que quelques exemples qui viennent démontrer que la Chine croit et investit dans le nucléaire. Au-delà des premiers réacteurs de 3e génération qui viennent de démarrer en Chine (Hualong, AP1000 et EPR), des SRM et des réacteurs de 4e génération seront bientôt en service dans le pays pour répondre à une gamme plus large d’applications. Le gouvernement chinois encadre avec pragmatisme (plans quinquennaux) le développement du nucléaire et suit les différentes initiatives pour les filières du futur, se réservant d’infléchir sa politique en fonction des résultats obtenus. Il est clair qu’en Chine le nucléaire n’est pas considéré comme une énergie du passé, mais comme une énergie du présent et du futur, à même d’apporter une contribution aux besoins énergétiques gigantesques du pays sans émettre de gaz à effet de serre et sans pollution de l’air, par opposition notable au charbon vis-à-vis duquel le pays va devoir réduire sa dépendance.
L’industrie nucléaire est un secteur d’activité à temps long, dans lequel il est beaucoup plus rapide de perdre des acquis que d’en constituer de nouveaux. Dans ce domaine, la Chine dispose aujourd’hui d’un tissu industriel unique au monde, performant et capable de mettre en service dix à douze réacteurs par an, en toute autonomie. Elle dispose également d’un potentiel humain dans la R & D qui va la placer d’ici peu à l’avant-garde pour les générations futures de réacteurs, avec la capacité d’en maîtriser les coûts et les délais. Ses atouts industriels et humains poussent dorénavant la Chine à exporter ses modèles, comme elle le fait déjà au Pakistan où deux réacteurs Hualong sont en service ou en Argentine où elle vient d’en vendre un, clés en main. Ces contrats nucléaires ne sont rien de moins qu’une nouvelle déclinaison de leur Belt and Road Initiative…