« L’hydrogène est incontestablement une très belle opportunité pour la France et l’Europe »
Olivier Perrin Senior Partner Energy, Resources and Industrials, Monitor Deloitte, dresse pour nous un état des lieux de la filière de l’hydrogène émergente en France et en Europe. Il revient sur les opportunités qu’elle représente en termes de décarbonation, de neutralité carbone, mais aussi de réindustrialisation tout en relevant les freins et enjeux que l’Europe et la France doivent encore lever. Explications.
L’hydrogène est aujourd’hui un pilier majeur de la stratégie de décarbonation et de neutralité carbone européenne. Qu’en est-il ?
L’hydrogène est un vecteur d’énergie auquel sont attribués de nombreux atouts. Il peut, en effet, contribuer à décarboner les activités industrielles les plus intensives en carbone ainsi que les différents types de transport. À l’heure actuelle, plusieurs technologies sont matures ou en bonne voie de développement. Toutefois, de nombreux sujets technologiques persistent, notamment autour de la production, du stockage et de la distribution de l’hydrogène quel que soit la couleur de la molécule (gris, brun, noir, bleu, vert et jaune). Pour l’hydrogène vert qui retient toute l’attention des européens, il est nécessaire d’avoir de très importantes capacités de renouvelables installées. L’Europe doit faite preuve de lucidité quant à son potentiel réel, même si elle dispose de zones très favorables comme le Nord-Ouest de l’Europe (éolien) et une large bande autour de la Méditerranée (solaire), pour tenir les ambitions de décarbonation et de neutralité carbone, les pays européens vont nécessairement devoir s’approvisionner en « hydrogène » auprès d’autres pays. Il convient donc de travailler dès maintenant au niveau européen avec ces nouveaux partenaires et de ne pas réitérer les erreurs du passé sur les énergies fossiles par exemple. Enfin, nos économies s’électrifient fortement, il est donc nécessaire d’augmenter toutes nos productions « bas carbone » et de ne s’interdire aucune source ni technologie pour répondre aux besoins.
“Dans ce contexte énergétique difficile marqué par une hausse des prix très forte de l’ensemble des énergies fossiles, l’hydrogène est incontestablement une très belle opportunité pour la France et l’Europe de se poser les bonnes questions. Il faut considérer l’hydrogène vert notamment comme une des solutions pour retrouver une certaine souveraineté énergétique mais aussi de tenir les engagements pris lors de la COP21 tout en acceptant un coût supérieur.”
En parallèle, se posent aussi la question du prix de l’hydrogène et des besoins en investissement pour sécuriser et réussir la transition énergétique de l’Europe. Pour des pays qui, pendant des décennies, ont eu accès à une énergie fossile et/ou nucléaire « bon marché », ce qui a notamment permis à l’Allemagne d’accroître son leadership industriel et à la France d’avoir une facture énergétique abordable et une économie peu carbonée, c’est un véritable choc. Toutefois, dans ce contexte énergétique difficile marqué par une hausse des prix très forte de l’ensemble des énergies fossiles, l’hydrogène est incontestablement une très belle opportunité pour la France et l’Europe de se poser les bonnes questions. Il faut considérer l’hydrogène vert notamment comme une des solutions pour retrouver une certaine souveraineté énergétique mais aussi de tenir les engagements pris lors de la COP21 tout en acceptant un coût supérieur.
Pour produire de l’hydrogène vert, l’électrolyseur est un maillon stratégique de la chaîne de valeur. Qu’en est-il ? Quels sont les enjeux et freins dans cette continuité ?
Actuellement, nous disposons de trois technologies d’électrolyse pour produire de l’hydrogène : l’électrolyse alcaline qui a atteint son niveau de maturité il y a déjà plusieurs années, l’électrolyse à membrane échangeuse de proton qui a atteint un bon niveau de maturité, l’électrolyse à oxyde solide pour laquelle il faut encore fournir un travail technologique. Ces trois technologies répondent aussi à des besoins spécifiques (ie pureté).
L’enjeu pour l’Europe et la France est de se doter des capacités pour massifier la production de ces électrolyseurs afin de ne pas se retrouver dans une situation où nous serions dépendants d’autres pays pour accéder à ces équipements, qui sont un maillon essentiel de la chaîne de valeur de l’hydrogène vert. Au-delà, cela représente aussi une opportunité pour développer un savoir-faire européen et un leadership sur le sujet. En effet, nous disposons des capacités de R&D, des industriels sont prêts pour passer à l’échelle et les premiers financements existent. L’Europe doit encourager ses états membres dans cette démarche qui sécurisera l’indépendance de la chaîne de valeur, la souveraineté énergétique (bas carbone) et par effet ricochet la réindustrialisation et le maintien d’activités critiques pour nos pays.
Peut-on parler d’une filière hydrogène française et européenne ?
En France, la filière hydrogène est naissante. Dans son développement, elle peut s’appuyer sur des champions et grands groupes nationaux d’envergure mondiale qui vont viser des projets à grande échelle : Air Liquide, TotalEnergies, Engie, Alstom ou encore EDF… Les laboratoires, des centres de recherche et des entreprises développent des partenariats qui ont permis de créer des structures comme Genvia ou encore Hympulsion ce démontrent la mobilisation et l’intérêt de la filière. L’écosystème de start-up et de PME comme Elyse Energy et McPhy est aussi extrêmement dynamique. Tous les éléments sont rassemblés pour pouvoir parler d’une véritable filière : des acteurs de taille et de maturité différentes qui couvrent l’ensemble de la chaîne de valeur. En parallèle, les financements et les investissements existent.
On peut notamment citer les différents plans nationaux et à l’échelle européenne, ainsi que des initiatives comme le fonds Hy24, qui est dédié au développement des infrastructures. Par ailleurs, les collectivités locales sont aussi très actives dans le développement de cette filière à l’échelle de leurs territoires. À ce niveau, une coordination entre les régions, les départements, voire les nations est préférable pour un développement pertinent et rapide. La filière hydrogène européenne a donc tout intérêt à s’investir dans des grands projets pour se positionner comme un acteur de taille mondiale. Cela passe entre autres par la mise en place d’alliance entre des pays, des industriels, des entreprises européennes de toutes tailles et des centres de recherche.
Quelles sont les perspectives que ce secteur peut offrir ?
Pour décarboner les mobilités, il faut adopter une démarche « multi-usages » qui permettra de réduire les coûts de l’hydrogène : mobilité lourde et légère (flottes captives), ferroviaire, aéroportuaire… Penser que les batteries sont l’unique solution pour tous les véhicules serait une erreur et se limiter à la pile à combustible pour intégrer l’hydrogène une seconde erreur. Le développement de moteurs à combustion avec de l’hydrogène liquide est testé par plusieurs constructeurs.
Pour l’industrie, la démarche est différente. Au cours des décennies, notre tissu industriel surtout en France s’est fortement contracté. Nous avons tout de même encore sur le territoire des industries très énergivores qui s’intéressent à l’hydrogène, font des essais et développent des démonstrateurs à grande échelle. La filière hydrogène étant encore à ses débuts, de nouveaux usages ont vocation à émerger.
“L’accélération du développement de l’hydrogène laisse également entrevoir des perspectives en matière de réindustrialisation. En effet, on peut imaginer que le coût de l’énergie, la législation et la taxe carbone à l’entrée en Europe pourraient permettre de contrebalancer les autres alternatives et renforcer la volonté de relocaliser des industries essentielles.”
L’accélération du développement de l’hydrogène laisse également entrevoir des perspectives en matière de réindustrialisation. En effet, on peut imaginer que le coût de l’énergie, la législation et la taxe carbone à l’entrée en Europe pourraient permettre de contrebalancer les autres alternatives et renforcer la volonté de relocaliser des industries essentielles. Dans cette réflexion, l’accès à une énergie fiable et décarbonée reste un critère très souvent décisif. Plus que jamais, l’État a un rôle important à jouer en termes de stabilité fiscale, simplification et harmonisation des démarches pour faire aboutir plus vite les projets.
Quelles sont les pistes de réflexion que vous pourriez partager avec nos lecteurs à ce sujet ?
Pour donner les moyens à cette filière d’hydrogène vert de passer à l’échelle, la première des priorités est de développer des capacités significatives d’énergies renouvelables, solaire et éolien notamment en Europe et dans le reste du monde. Au cours des derniers mois, nous avons pu nous rendre compte qu’en France nous étions très en retard sur les plans de développement des énergies renouvelables. Ce retard est concomitant à d’importants problèmes sur notre parc nucléaire et à la situation du marché mondial du gaz ou la demande est nettement supérieure à l’offre (guerre Russie – Ukraine, embargo sur l’Iran…) ce qui créent des tensions très fortes sur les prix et se répercutent sur le client final, particulier ou l’entreprise.
Cela doit nous faire comprendre que toutes les énergies ont des inconvénients, des risques et des contraintes. La transition vers une économie décarbonée sera longue, couteuse financièrement et socialement mais les solutions existent.
La France et l’Europe doivent faire feu de tout bois et mobiliser tous les acteurs possibles pour créer des nouveaux écosystèmes. Le projet pilote NortH2 aux Pays-Bas par exemple permet de tester des nouveaux « business model » sur toute la chaine de valeur. Nous devons poursuivre et accélérer ces initiatives. Nous avons une opportunité exceptionnelle que de pouvoir créer un nouveau système énergétique pour une population de huit milliards d’habitants.