Hydrogène : pour une collaboration optimale entre la recherche et l’industrie
Marie-Cécile Péra, Directrice de FCLAB, Centre de Recherche et de Service sur l’Hydrogène Energie, Professeure de l’Université de Franche-Comté, nous explique comment cette structure accompagne les industriels dans leur appropriation des technologies relatives à l’hydrogène pour des applications mobile et stationnaire.
Pouvez-vous nous présenter votre établissement et ses missions ?
FCLAB est une structure universitaire de l’Université Bourgogne Franche-Comté, associée au CNRS. Elle s’appuie sur un montage original avec un réseau de laboratoires partenaires, dont le principal acteur est l’institut FEMTO-ST. Son but est d’accélérer le transfert des résultats de la recherche à des partenaires industriels. Ce transfert prend la forme de prestations d’ingénierie, d’expertise, de formation continue et de campagnes d’essai de tests des systèmes hydrogène
En parallèle, nous sommes en charge de l’opération d’une plateforme hydrogène énergie, une installation de pointe au niveau européen et mondial, pour le test de composants utilisés dans le développement de l’hydrogène énergie : pile à combustible, électrolyseur, stockage par hydrures métalliques et sous pression… Nous ouvrons notre plateforme à des industriels avec qui nous concevons des campagnes d’essais et réalisons les analyses des résultats. Cette démarche leur permet d’accéder aux technologies émergentes en matière d’hydrogène énergie. Et à partir de ces prestations d’essais, nous pouvons également identifier des thématiques scientifiques qui peuvent être investiguées avec les équipes de recherche des laboratoires partenaires.
Autour de quels axes travaillez-vous plus particulièrement ?
Nous sommes mobilisés sur plusieurs sujets. Nous travaillons ainsi sur la chaîne de conversion entre l’électricité et l’hydrogène ; l’électrolyse qui permet de produire de l’hydrogène à partir d’une source électrique décarbonée ; le stockage sous forme d’hydrure et sous pression ; la pile à combustible qui permet de convertir l’hydrogène en électricité…
Ces recherches visent à répondre à des usages et des applications diverses. Toutes les applications concernant la mobilité sont concernées : transport routier lourd, transport maritime, aérien, ferroviaire. Pour les applications stationnaires, nous travaillons sur des groupes électrogènes hydrogène, l’alimentation en site isolé ou connecté au réseau ; pour le résidentiel comme pour des applications spécifiques telles que les datacenters. Nous travaillons aussi sur la maximisation de la production électrique à partir de sources renouvelables (éolien et photovoltaïque) grâce au stockage par l’hydrogène.
Sur ces sujets, nous avons une vision système sur l’optimisation du dimensionnement des installations, l’hybridation avec d’autres sources énergies, telles que des batteries et des supercondensateurs…
Nous explorons aussi le contrôle tolérant aux défauts, la gestion des modes dégradés le temps que la maintenance soit réalisée. L’idée est d’adapter les conditions opératoires de ces systèmes en fonction de leur état de santé au fur et à mesure du vieillissement des composants.
Sur ce sujet, quels sont vos liens et collaborations avec le monde de l’industrie ? Comment cela se traduit-il ?
Comme précédemment mentionné, nous disposons d’une plateforme d’essai ouverte qui permet de réaliser des tests jusqu’à 120 kW en pile à combustible. Elle est accessible aussi bien aux grands groupes qu’aux PME. Il s’agit du niveau de puissance le plus élevé en Europe pour une plateforme académique. Nous nous intéressons, principalement à la technologie basse température à membrane échangeuse de protons. Pour collaborer avec les industriels, nous pouvons mettre en place des programmes-cadres pour suivre l’évolution des programmes de conception de nos partenaires industriels ou sous la forme d’interventions plus ponctuelles. Les collaborations orientées vers la recherche prennent plus particulièrement la forme de contrats impliquant des ingénieurs de recherche hautement qualifiés et le financement de doctorants via le dispositif CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche), qui sont un cadre privilégié de partenariat avec les industriels.
Quels sont les principaux projets qui vous mobilisent actuellement ?
Sur la mobilité et le transport, nous travaillons non seulement sur la propulsion mais également sur des groupes électrogènes (APU) pour alimenter le réseau de bord des véhicules. Ainsi, il y a deux ans, nous avons participé à une première mondiale : l’alimentation d’une remorque frigorifique pour laquelle le froid était généré par un groupe électrogène à hydrogène et non par des hydrocarbures. Dans l’aéronautique léger, nous avons des projets portant sur de petits aéronefs. Et dans le maritime, nous étudions l’utilisation de l’hydrogène pour de la propulsion essentiellement.
Pour des applications stationnaires, nous avons des projets visant à maximiser l’utilisation des énergies renouvelables solaires et éoliennes. Dans le cadre d’un projet européen, nous participons à l’installation d’un parc éolien au-delà du cercle polaire qui permettra d’alimenter un électrolyseur afin de stocker cette énergie renouvelable sous forme d’hydrogène. En parallèle, nous menons une étude pour remplacer le groupe secours d’un data center au diesel par un groupe hybride combinant l’hydrogène et une batterie afin de permettre rapidement la reprise de l’alimentation en cas de coupure du réseau. En Polynésie française, nous travaillons sur l’alimentation d’un conteneur à partir d’énergie solaire visant à alimenter un électrolyseur afin de générer de l’hydrogène pour une pile à combustible. Nous récupérons la chaleur produite par ces installations pour fabriquer du froid grâce à un procédé thermochimique. Cette installation qui permet de produire de l’électricité et du froid, est actuellement testée et expérimentée sur site.
Qu’en est-il des enjeux sur lesquels vous envisagez d’approfondir vos connaissances ?
Au cœur de notre activité, on retrouve la recherche appliquée et la prise en compte des usages. Ce sont là nos deux principaux vecteurs de différenciation.
Au-delà, au travers de nos travaux, nous cherchons à inclure une dimension sociétale dans un contexte où l’énergie joue un rôle majeur. En effet, l’énergie n’est pas seulement un défi technique et technologique, c’est aussi un défi social et humain. En parallèle, nous poursuivons nos travaux et recherches sur différents thèmes. Parmi ceux-ci, il y a le recours aux outils de l’intelligence artificielle pour avoir des systèmes « auto-cicatrisants » qui, en cas de défaillance, seront en capacité de se réparer et de continuer à assurer leurs missions en éliminant les défauts ou en basculant vers un mode dégradé en attendant l’intervention de maintenance.
Pour creuser cette piste, il nous faut pouvoir collecter, analyser et exploiter les données de ces systèmes en temps réel. C’est ce qui permettra d’avoir des systèmes auto-adaptatifs qui évoluent au fil de la collecte et du traitement de la donnée. À partir de là, il sera aussi possible de développer des outils de diagnostic plus pertinents et efficients afin d’avoir un contrôle intelligent des systèmes tout au long de leur durée de vie et d’optimiser, in fine, leur fiabilité et leur coût.