Aucun ours / Les miens / Le lycéen / Nos frangins / Mes rendez-vous avec Léo
Que retenir ce mois de janvier 2023 des presque vingt heures passées dans un fauteuil de cinéma ? Le divertissement pur ou l’intérêt premier des questions posées ? Les Amandiers (de Valeria Bruni-Tedeschi) ne parvient pas en 2 h 05 à restituer le génie théâtral de deux autocrates tyranniques (Patrice Chéreau et Pierre Romans), réduits à leur pouvoir sur une troupe de disciples sous emprise. Reste un peu (1 h 33), drôle d’objet en forme de thérapie narcissique teintée d’autodérision et d’ode à l’amour maternel, paternel, filial, réalisé et joué par un Gad Elmaleh tombé dans la passion mariale, laisse coi. On peut (ou pas) sauter à pieds joints par-dessus Maestro(s) (de Bruno Chiche – 1 h 27), sans grand intérêt mais avec Yvan Attal, Pierre Arditi et Miou-Miou. Pourquoi ne pas observer une tranche de la vie ordinaire de gens ordinaires, bousculée par un drame et servie par de bons acteurs dans Le Torrent (Anne Le Ny – 1 h 42) ? Ou bien, mieux, plonger dans le romanesque pour se divertir grâce à Clovis Cornillac qui réussit superbement le pari difficile de donner avec Couleurs de l’incendie (2 h 16) une suite à Au revoir là-haut ? Soit, soit, mais sinon ?
Les miens
Réalisateur : Roschdy Zem – 1 h 25
Roschdy Zem (excellent) est de ces acteurs qui semblent porter en eux une humanité profonde. Dans ce film très personnel, il livre sa déstabilisation intime au sein d’un univers affectif et familial magnifiquement contrasté, coloré, d’une sincérité si touchante que l’on n’est plus spectateur mais témoin impliqué. Sami Bouajila, tenu par son personnage à des rigidités exigeantes, est d’une efficace crédibilité. Chez tous les autres, la spontanéité, le naturel jusque dans la caricature (le jeune platiste-complotiste immature qu’incarne vigoureusement Carl Malapa est très réjouissant), la vaillance dans l’investissement dramatique, la liberté de jeu, portent le film à un haut degré de véracité. Maïwenn est épatante dans un emploi difficile, en léger retrait.
Aucun ours
Réalisateur : Jafar Panahi – 1 h 47
L’Iran répressif. Impressionnante valse de mises en abyme où, dans les entrecroisements de trois niveaux de réalité, on suit le tragique tissage des événements lorsqu’ils dépendent des traditions obscurantistes d’une ruralité profonde et du poids accablant d’un régime policier. La sourde inquiétude de perdre pied au sein du récit s’installe même, quand la fiction échappe à son auteur et quand la quête de réalisme la retourne en drame. Tout à fait passionnant.
Le lycéen
Réalisateur : Christophe Honoré – 2 h 02
Une peine immense noyée dans une homo-sexualité envahissante. Le film est ancré dans l’expérience de deuil du réalisateur, qui y incarne le père auquel son travail est dédié. L’explicite de l’envahissement susdit (une sodomie lycéenne, par exemple) peut bousculer le spectateur d’un parcours par ailleurs bouleversant, filmé dans des séquences d’une étonnante justesse (magnifique première partie) et des moments de grâce portés par le charme de Paul Kircher. Juliette Binoche est parfaite. En contre-emploi, Vincent Lacoste convainc moins que d’habitude. Mais in fine l’émotion l’emporte sur les réserves.
Nos frangins
Réalisateur : Rachid Bouchareb – 1 h 32
Au mauvais endroit, au mauvais moment, deux fois. Malik Oussekine et Abdel Benyahia. Et la douleur, la réaction des familles, l’embarras des autorités, la poussière sous le tapis, si on peut. C’est très bien construit, adossé à des documents d’époque. Les acteurs sont convaincants (mention spéciale à Raphaël Personnaz, formidable de doute, et à Samir Guesmi, à la densité douloureuse et soumise). L’impardonnable de la rue Monsieur-le-Prince, la violence aberrante des voltigeurs sont là. Pourtant, quelque chose manque. L’hébétude devant l’atroce demeure. On sait l’horreur. On sait aussi la vanité des « Plus jamais ça ». On voudrait davantage, un dépassement dans la réflexion que le film n’apporte pas.
Mes rendez-vous avec Léo
Réalisatrice : Sophie Hyde – 1 h 37
Le long dernier plan, la nudité frontale d’Emma Thompson, sidère. Et signe le militantisme de l’actrice. Assumer à ce point un physique qui semble alors celui d’une septuagénaire (… quand on a 63 ans !) relève d’une volonté d’exemplarité sacrificielle, au service de la réconciliation des femmes avec leur corps et de leur épanouissement le plus intime, au-delà des conventions et des normes. La sexualité inquiète, suspendue, curieuse et timide de l’héroïne parcourt sur la pointe des pieds ce film sans vulgarité qui sait saupoudrer d’humour un sujet très sérieux.