Les mathématiques à Polytechnique vues par un élève : une approche fondamentale
Voici le point de vue d’un élève, certes qui a choisi d’approfondir sa formation mathématique, donc qui a une appétence particulière pour cette matière, sur la place et l’enseignement des mathématiques à l’École polytechnique. On en déduit que cette place et cet enseignement sont finalement très cohérents avec l’objectif de formation de l’institution : produire des individus qui en maths maîtrisent « tout » suffisamment bien pour agir comme interface entre les parties prenantes de la société et de l’économie.
L’École polytechnique est fondamentalement une école de mathématiques. Si une matière existe à l’École, alors elle sera mathématisée et modélisée en profondeur. Lorsque je rencontre d’anciens camarades des classes préparatoires, je m’aperçois que mon approche des mathématiques est radicalement différente de la leur. En effet, pour eux les mathématiques sont un outil ; pour nous, elles sont un objectif du cours. Il suffit de prendre un quelconque polycopié d’un cours, même peu théorique, pour s’apercevoir qu’au bout de la dixième ou vingtième page des formules mathématiques sont de plus en plus présentes, pour déboucher sur de grands modèles, de grands théorèmes et de « grands » résultats. Ces derniers pourraient être triviaux, mais ils sont développés dans une théorie mathématique.
Tout cela illustre le fait que les maths tiennent un rôle fondamental au sein de notre formation polytechnicienne. C’est ce qui, à mon avis, nous met à mi-chemin entre les grandes écoles d’ingénieurs traditionnelles, qui ont pour but de former des futurs techniciens-gestionnaires de projet, et les universités telle l’École normale supérieure, où l’on forme de futurs chercheurs. C’est, pour moi, cette formation et donc cette orientation mathématique qui font la force de la formation à l’X. Par cette approche très mathématique, nous devenons le vecteur de communication entre les chercheurs (qui produisent un résultat de recherche profondément mathématique) et les techniciens et ingénieurs (qui sont responsables du génie technique).
L’organisation des mathématiques à l’X
Les mathématiques à l’X s’organisent en fonction des trois années passées sur le campus.
La première année est commune à tous et forme le tronc commun (TC). Les mathématiques ne font pas exception. L’enseignement forme ce qui est appelé dans d’autres écoles « les mathématiques pour l’ingénieur » (à la grande différence que le sujet y est développé en plus grande profondeur). En effet, le TC est censé préparer tant les élèves qui visent des sciences appliquées que ceux qui feront des mathématiques plus tard. On y voit les bases de la topologie, les espaces usuels, les bases de l’intégrale de Lebesgue et son application à la théorie de Fourier et de Sobolev, et les débuts de l’analyse différentielle.
L’intérêt de cette année est de former les élèves à la base de la mathématique physique et de pousser l’étude plus loin, afin de fournir aux élèves une vision globale mais poussée du monde mathématique. Ce cours est le plus difficile et le plus complet de tous ceux de la première année. Mais, à mon avis, il est le plus important du TC puisque tous les cours dispensés ensuite s’appuient sur les fondements ainsi apportés. On trouve par exemple les cours de mathématiques appliquées qui travaillent sur les raisonnements stochastiques et leur application dans le monde de l’aléatoire, les cours de physique quantique qui utilisent les espaces de Hilbert, voire les cours d’économie qui se fondent fortement sur les notions de topologie afin de réaliser de l’optimisation.
“L’X ne cherche pas à former des chercheurs de pointe en maths.”
La deuxième année à l’X est la première année pendant laquelle les élèves peuvent choisir quelles matières ils souhaitent continuer. Dès lors, les cours sont plus poussés et ont pour but de donner une base très solide dans les matières choisies. Le cursus de maths ne fait aucune exception. Le département de mathématiques fournit alors quatre cours de mathématiques théoriques, au grand plaisir des élèves.
La majorité des cours sont de l’analyse (fonctions holomorphes, études de distribution, analyse fonctionnelle) à l’exception d’une introduction à la théorie de Galois (qui est le seul cours d’algèbre de la 2A). Cela est d’ailleurs la plus grande critique de la 2A de la part des élèves à l’X. Pour beaucoup, le cursus manque d’algèbre. En effet c’est cette dernière qui est actuellement utilisée pour la recherche mathématique. Au contraire, l’analyse de 2A est le fondement de toute la physique mathématique et donc de la physique théorique.
La troisième année est un approfondissement des cours de 2A, à la grande différence que l’algèbre tient une place beaucoup plus importante au sein du cursus. D’ailleurs les cours d’algèbre sont très variés (allant de la théorie algébrique des nombres à l’introduction de la géométrie et de la topologie algébrique). Ces cours sont souvent pleins. Au contraire, les cours de physique mathématique (équation d’évolution, système dynamique) sont eux plus délaissés par les élèves (il n’est pas rare d’avoir des cours à cinq élèves).
Je pense pouvoir expliquer cela par le fait que les cours de physique mathématique sont à mi-chemin entre la physique et les maths, sans être ni l’une ni les autres. Dès lors, les élèves voulant faire des études de maths s’orientent vers les cours d’algèbre et ceux aimant la physique s’inscrivent plutôt au département de physique. Lors de la 3A, les cours sont des introductions à des théories actuellement en développement, et beaucoup d’élèves aiment cet aspect contemporain des mathématiques, trop souvent décrites comme une science figée.
Un retour difficile pour beaucoup, une vocation pour d’autres
Les mathématiques ont une place très variée dans le cœur des polytechniciens et beaucoup trouvent la formation mal adaptée à leurs besoins. On trouve d’un côté ceux qui n’aiment pas trop les maths ; ils ont réussi la prépa, mais l’approche très mathématique de toutes les matières à l’X les dégoûte assez rapidement.
C’est surtout le cours de 1A, adapté fondamentalement aux élèves de MP, qui dissuade la plupart des élèves d’aller aux cours à fondement mathématique lors de la 2A et de la 3A ; je trouve que c’est dommage puisqu’il y a des cours scientifiques très intéressants dans les hautes années, qui pourraient sûrement permettre à ces élèves de s’épanouir lors de leur formation. En ce qui concerne les élèves des autres filières, il faut vraiment s’accrocher au début de la formation afin de poursuivre la formation au département ; à titre d’exemple, je suis le seul non MP inscrit au programme d’approfondissement de maths.
Toutefois, de l’autre côté, on trouve les extrêmes férus de la matière, qui pensent que l’enseignement mathématique est insuffisant à l’X. En ce sens, je les comprends aussi. En parlant avec d’autres que des X, notamment des normaliens, qui suivent les cours avec nous, on constate que leur niveau est meilleur que le nôtre et que leur formation est plus poussée, et pour cause : les normaliens ne se focalisent que sur une matière lors de leur passage à l’école, alors que les polytechniciens doivent suivre plusieurs matières scientifiques (au moins quatre différentes en 2A). Cela se voit également chez les internationaux.
Ces derniers proviennent de filières universitaires étrangères (donc à l’américaine) où la formation ne se focalise que sur une matière. Dès lors, on s’aperçoit de leur avance de niveau, surtout s’ils décident de poursuivre leur formation mathématique à l’X. De plus, comme je l’ai dit précédemment, la formation mathématique est surtout analytique, et non algébrique. Ainsi, les élèves ne peuvent pas suivre beaucoup de cours liés à la recherche actuelle des mathématiques. Au contraire, la formation de maths à l’X est excellente si l’on souhaite faire de la physique mathématique (comme je le fais actuellement) et j’irais même jusqu’à dire qu’elle peut fortement rivaliser avec la formation d’autres grandes universités.
L’influence des maths pour mon cursus à l’X
Au cours des classes préparatoires, j’ai toujours eu une préférence pour les sciences appliquées, non seulement je trouvais que l’aspect pratique permettait de rompre avec la théorie trop souvent parachutée au profit d’une réelle explication constructive, mais les maths malgré leur côté théorique élégant (tous ceux qui découvrent leur premier objet abstrait mathématique que sont les espaces vectoriels me comprendront) étaient souvent reléguées au royaume du calcul rébarbatif et long.
Cela changea lorsque je commençai les maths à l’X. En effet, la formation est tout de suite plus complète et objectivement plus « orientée théorie ». Toutefois, la beauté de la formation mathématique est qu’elle est divisée en deux parties, une fondamentale et une appliquée. Alors que dans la première on développe les outils nécessaires pour comprendre les objets de base, les maths appliquées permettent de fournir un enjeu réel à la formation globale de maths. Malgré sa désignation de science appliquée, ces mathématiques ne sont nullement faciles et triviales, mais construisent des théories intéressantes qui s’appliquent dans le monde de la physique, de la biologie et même de l’économie.
Contrairement à d’autres formations qui seraient plus « orientées application », la formation à l’X nous permet de comprendre les fondements et les raisonnements de toutes les applications qu’on fait. C’est alors que, par intérêt pour la modélisation mathématiques des phénomènes physiques et naturels et pour comprendre les outils théoriques sous-jacents, j’optai pour un cursus mathématique en deuxième et troisième années.
Moderniser les maths à l’X
Malgré tous ses défauts, je trouve que la formation mathématique à l’X est parfaitement à sa place dans l’esprit de l’École. Cette dernière cherche à former des ingénieurs capables de comprendre le plus compliqué des phénomènes. Dans ce cas, qu’y a‑t-il de mieux que de modéliser les grands phénomènes de tous horizons et de tout type. La grande force des X est leur capacité à prendre possession de l’information à une grande vitesse, et cela puisqu’ils sont capables de comprendre tout type de document (notamment les revues scientifiques et leur modélisation).
Finalement, les limites évoquées dans un paragraphe précédent, c’est-à-dire des cours trop théoriques pour s’appliquer à l’ingénierie concrète ou un cursus trop faible pour poursuivre en recherche mathématique, ne traduisent pas les défauts de la place des mathématiques à l’X, mais plutôt la limite fondamentale de la formation de l’École, limite qui fait également la force de cette dernière. L’X ne cherche pas à former des chercheurs de pointe en maths, ni des techniciens experts dans leur domaine, mais des individus qui maîtrisent « tout » suffisamment bien pour agir comme interface entre scientifiques, techniciens, société, etc.