Ambassadeurs AX au Japon : les X au pays des samouraïs
Pascal Gerbert-Gaillard (X00) et Jean-Baptiste Bordes (X01), ambassadeurs AX au Japon, nous racontent leurs expériences dans ce pays marqué par le progrès scientifique qui attire l’intérêt de la communauté polytechnicienne.
Du fait de l’éloignement géographique et de la barrière de la langue, le Japon est un pays fascinant. Nous avons donc demandé aux ambassadeurs AX à Tokyo d’exposer leurs points de vue complémentaires : Pascal Gerbert-Gaillard (X00) y est depuis près de quinze ans dans des postes de management, Jean-Baptiste Bordes (X01) y est arrivé en septembre 2022 comme attaché scientifique à l’ambassade de France au Japon.
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Pouvez-vous nous expliquer votre parcours et ce qui vous a amené à travailler au Japon ?
Pascal : D’aussi loin que je me souvienne, le Japon m’a toujours intrigué. C’est la pratique du judo que j’ai commencé à 6 ans qui m’a fait découvrir ce pays fascinant. Adolescent, je dévorais tous les livres sur le sujet, et je me suis vite rendu compte que, pour bien comprendre ce pays et ses habitants, il me faudrait apprendre la langue. L’X proposait des cours de japonais sous la direction d’Ishii Sensei : j’ai donc intégré la section judo. Pendant ma scolarité j’ai relancé le Binet Japon et j’ai visité le pays trois fois.
Mon premier voyage au Japon remonte à plus de vingt ans déjà, dans le cadre de l’échange de la section judo de l’X. La visite fut courte et éreintante, mais essentielle pour mon choix de connaître le pays plus avant. Après avoir oscillé entre la Chine et le Japon, je me suis stabilisé à Tokyo depuis 2016, initialement pour lancer Bio c’ Bon Japon, une joint-venture entre le plus gros distributeur japonais Æon Group et le supermarché Bio français, et maintenant comme directeur Asie de SES-imagotag, le leader mondial de la digitalisation du retail. Le choix du Japon a donc été une prolongation naturelle de l’activité commencée à l’X.
“Le choix du Japon a été une prolongation naturelle de l’activité commencée à l’X.”
Jean-Baptiste : Mon projet scientifique collectif de deuxième année, qui portait sur la reconnaissance automatique de sons instrumentaux, m’a littéralement changé la vie : j’ai alors décidé de me consacrer à l’intelligence artificielle. Après trois ans à la DGA, j’ai travaillé comme ingénieur de recherche pour l’Université de technologie de Compiègne sur l’analyse et la compréhension automatique de scènes routières multicapteurs pour les véhicules autonomes, dans le cadre d’une coopération franco-chinoise. Mes trois ans se sont déroulés à Pékin et, en parallèle de mon travail de recherche, je me suis dédié à l’enseignement.
Je suis ensuite retourné en France : trois ans à l’École polytechnique puis deux ans à l’Ensta Paris. J’avais pris goût à l’expatriation et j’allais souvent à l’étranger. Quand le ministère des Affaires étrangères m’a proposé un poste d’attaché scientifique au consulat général de San Francisco, je me suis dit que c’était une occasion exceptionnelle. Après trois ans passionnants, j’ai eu la possibilité de changer de pays et j’ai choisi le Japon. Le 1er septembre 2022 je suis donc arrivé à l’ambassade de France au Japon.
Comment s’est passée votre arrivée au Japon ?
JB : Quand je suis arrivé, le Japon était encore très coupé du reste du monde. À l’exception des diplomates, peu de Français pouvaient rentrer et il y avait une procédure assez complexe. Avec une application smartphone assez déconcertante (MySOS), l’arrivée à l’aéroport était longue et très balisée, avec une série de stands à traverser… Mais, une fois arrivé, quel bonheur ! L’ambassade de France au Japon est un environnement exceptionnel avec des locaux très récents et des collègues extrêmement sympathiques et compétents à la fois. Le travail de réseautage avec les Japonais est très agréable : les Français sont appréciés et les relations entre les deux pays sont très bonnes.
Combien d’X sont-ils présents au Japon ? Que font-ils ?
P : À la différence de certaines écoles partenaires, comme HEC ou Sciences Po qui ont plusieurs promotions mixtes de Français et de Japonais, nous n’avons pas une population très nombreuse au Japon. Je crois que nous avons en tout trois camarades ayant la nationalité japonaise, et ils ne résident pas au Japon, donc c’est très français parmi les X ! J’estime le nombre de camarades à moins d’une trentaine et nous sommes généralement une quinzaine lors d’événements à Tokyo.
On peut distinguer trois populations parmi nos camarades. Les expatriés qui arrivent plutôt en deuxième partie de carrière pour prendre des postes de responsabilité dans les filiales locales d’entreprises généralement françaises ou en ambassade, les camarades en formation, généralement en PhD ou en postdoc à Tokyo ou Kyoto qui rentreront une fois leur formation achevée (une vingtaine depuis dix ans, presque cinq par an ces dernières années) et enfin les locaux constituant le noyau dur de notre présence ici. On retrouve des camarades dans la finance, dans l’industrie, dont notamment l’énergie, l’automobile et l’aéronautique, la santé… sans oublier le luxe et l’agroalimentaire. Enfin l’univers de la tech, et notamment les start-up, commence à attirer quelques-uns d’entre nous, mais je pense que nous en sommes encore au début de l’aventure.
“La vie de Jules Brunet (X1857) a inspiré le film Le Dernier Samouraï.”
JB : Ce que je vais dire est un peu daté par rapport aux informations de Pascal, mais saviez-vous que le dernier samouraï… est un polytechnicien ? Je vous invite à regarder la vie de notre camarade Jules Brunet, X1857, qui a été instructeur auprès du shogunat Tokugawa et a participé à la guerre de Boshin contre la restauration Meiji. Le film Le Dernier Samouraï est inspiré de la vie de ce camarade.
Comment décririez-vous la vie au Japon ?
P : Elle serait parfaite s’il était possible d’y être un flâneur perpétuel ! C’est un pays à la géographie magnifique qui a une histoire et une culture extrêmement riches. Il est possible d’y passer une vie sans faire le tour du sujet et c’est pour moi une raison d’émerveillement constant. Dans la vie quotidienne, ce sont la ponctualité, la propreté, la sécurité, les relations sociales bien huilées, le respect des délais qui rendent le pays agréable à vivre. Bien évidemment, la médaille a un revers comme la difficulté de changer le statu quo, le fait de passer énormément de temps pour convaincre ses interlocuteurs, la faible productivité, la tendance du pays à se replier sur lui-même, la nécessité de maîtriser la langue et les codes pour arriver à faire avancer les sujets dans le long terme.
Il y a donc plusieurs versions du Japon, suivant le temps que chacun est prêt à lui consacrer et le degré d’implication de la personne. Il est possible de n’en voir que le côté carte postale, tout comme il est possible de passer de l’autre côté du miroir, par-delà ce qui est donné à voir, les tatemae (mot japonais qui désigne les comportements sociaux et respectueux à adopter en public), pour découvrir une réalité un peu différente.
JB : La vie en ambassade n’est pas représentative car je vis le plus clair de mon temps dans un environnement français et sur un territoire français. Néanmoins mes premières impressions sont excellentes : l’environnement est très propre, sûr, la politesse des Japonais n’est pas qu’une légende et les services proposés, quels qu’ils soient, sont toujours de grande qualité.
Quels sont les avantages comparatifs de la France par rapport au Japon qui pourraient attirer davantage d’X au Japon ?
JB : En forçant le trait pour simplifier la compréhension, d’autant que cela dépend des domaines, on peut dire que dans la recherche en numérique on a une certaine avance en France à conceptualiser, alors que les Japonais réussissent à tester et à développer des prototypes. Ils sont excellents en mécatronique et, à chaque fois que je vais dans un laboratoire, je vois des étudiants de master qui montent seuls et en un temps record des machines qui permettent d’avoir rapidement des cas concrets d’utilisation. En France, on ne voit jamais ça : les étudiants ne sont pas assez formés et les financements le permettent rarement.
Pour ce qui concerne les coopérations de recherche, les rapports sont florissants : les laboratoires internationaux franco-japonais se multiplient et les liens, quand ils existent, sont souvent extrêmement fructueux et très durables. Malgré les cultures, indiscutablement très différentes, il y a une véritable synergie. De plus le Japon est un pays qui partage beaucoup de valeurs avec la France en termes de droits des individus et de liberté de parole.
« Le Japon est un pays qui partage beaucoup de valeurs avec la France en termes de droits des individus et de liberté de parole. »
P : Le Japon est la troisième économie au monde, avec énormément d’opportunités qui restent à saisir. Le vieillissement de la population va créer un appel d’air pour des biens, compétences et services afin d’alimenter la silver économie, ainsi qu’un besoin de reprise pour beaucoup de PME du tissu industriel japonais.
Les Français bénéficient en général d’une image positive au Japon, avec une communauté franco-japonaise locale très soudée et bien organisée, autour de l’ambassade, de la chambre de commerce, des diverses associations. Le Japon a mis en place une politique d’immigration préférentielle pour les étrangers hautement qualifiés, qui permet d’obtenir la résidence permanente en deux ans au lieu de dix, ce qui est assez attractif. Depuis novembre il est maintenant possible de se rendre au Japon pour un court séjour sans visa ou test particulier.
Pour qui souhaiterait s’installer sur le long terme, l’obstacle principal est le visa. Dans le cadre d’un transfert vers une filiale locale, c’est assez simple. Pour qui voudra s’installer sans avoir un contrat en place, il faudra trouver d’autres moyens, pouvant aller de la création d’une société au portage salarial par exemple. Enfin, dans une vie professionnelle, c’est généralement un accélérateur de carrière, car quelqu’un qui réussit dans un environnement aussi complexe et exigeant que le Japon saura mettre à profit cette expérience ailleurs pour réussir.