Réduction des émissions de gaz à effet de serre où en est la France ?
Une enquête du Binet NeXt analyse la trajectoire de la France en ce qui concerne son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 et indique que les émissions importées doivent être prises en compte dans le calcul de l’empreinte carbone.
Le ministère de la Transition écologique dans une note méthodologique d’octobre 2021 affirme : « L’empreinte carbone représente la quantité de gaz à effet de serre (GES) induite par la demande finale intérieure d’un pays […], que ces biens ou services soient produits sur le territoire national ou importés. En tenant compte du contenu en gaz à effet de serre des importations, l’empreinte carbone permet d’apprécier les pressions sur le climat de la demande intérieure française, quelle que soit l’origine géographique des produits consommés. »
Le calcul de l’empreinte carbone
Autrement dit, l’empreinte carbone est composée par les émissions territoriales – les émissions des produits exportés + les émissions des produits importés. Cela permet de prendre en compte uniquement les émissions liées à la consommation des Français. Ce dernier point a des limites puisque nous ne pouvons pas, par exemple, changer le mix énergétique des pays dont on importe nos biens de consommation, qui représente une part de notre empreinte carbone.
Les GES pris en compte varient : le Service des données et études statistiques (SDES) prend en compte le CO2, le CH4 et le N2O, là où par exemple l’OCDE ne s’intéresse qu’au CO2. C’est le SDES qui calcule l’empreinte carbone de la France pour le ministère de la Transition écologique. Une méthode de calcul détaillée est impossible pour les années les plus récentes (à ce jour de 2019 à 2022) à cause d’un manque de données. Pour cela des estimations ont été faites à l’aide d’autres critères.
Par ailleurs, il faut distinguer les émissions brutes et les émissions nettes. Les émissions brutes sont celles lâchées directement dans l’atmosphère, tandis que, dans le calcul des émissions nettes, sont déduites les absorptions de CO2 par les puits de carbone. L’empreinte par pays est différente de celle par habitant. L’empreinte d’un pays est l’empreinte cumulée de tous ses habitants, là où l’empreinte par habitant est la moyenne de cette dernière. Enfin, lorsque sont énoncés des objectifs de réduction des émissions, l’année de référence est presque toujours l’année 1990.
L’évolution des émissions territoriales de la France depuis 1990 jusqu’à 2050
Ce sont les émissions territoriales de la France, et pas l’empreinte carbone, qui sont prises en compte dans les objectifs climatiques de la France et de l’union européenne.
Le nouvel objectif européen pour 2030 est de réduire les émissions territoriales nettes de GES de 55 % par rapport à 1990. La France s’est donc donné comme objectif ‑50 % sur ses émissions territoriales brutes. Or les émissions de GES pour 2021 sont estimées à 418 Mt éqCO2, ce qui représente une baisse de 23,1 % par rapport à 1990. Le rythme annuel moyen de réduction a ainsi été de 1,9 % sur la période 2019–2021, de l’ordre de 1,71 % de réduction annuelle moyenne sur la période 2010–2019.
Pour atteindre ses objectifs, la France devra donc réussir à récupérer les 26,9 % manquants sur une période de neuf années (2022−2030) ! Cela représente une baisse d’environ 16 Mt éqCO2 par an en moyenne, à comparer aux 8,1 Mt éqCO2 par an en moyenne depuis 2010. Vu autrement, cela revient à réduire de 4,7 % par an les émissions par rapport à l’année précédente, contre un rythme moyen de 1,8 % depuis 2010.
La neutralité carbone passe par la réduction des émissions territoriales de GES
Depuis 2015, la France a une Stratégie nationale bas-carbone (SNBC), qui définit des objectifs détaillés pour chaque secteur concernant les émissions de GES. Cette feuille de route fixe des objectifs d’émissions moyennes à ne pas dépasser sur des périodes de plusieurs années. Or ces objectifs n’ont pas été atteints sur la période 2015–2018. Et pour la période 2019–2023, ils sont à ce jour respectés grâce aux mesures liées à la pandémie et au relèvement du budget fait en 2020. Pour donner un ordre d’idées, le budget annuel sur 2019–2023 est de 422 Mt éqCO2 selon la SNBC, juste au-dessus des 418 Mt éqCO2 de 2021. Alors que le budget a été réhaussé en 2020 et que les objectifs initiaux étaient de ‑40 % en 2030 au lieu de ‑50 % !
Quant à la neutralité carbone, l’objectif de la France est de l’atteindre en 2050. La neutralité carbone signifie une captation à 100 % des gaz à effet de serre émis par les puits de carbone. D’après la SNBC, cela signifie réduire les émissions territoriales par un facteur 6 au moins par rapport à 1990, ce qui signifie atteindre environ 91 Mt éqCO2 en 2050. Cela nécessiterait une baisse des émissions de 5,3 % par an chaque année jusqu’en 2050.
La nécessité de penser la neutralité carbone au niveau global
Les discours et les promesses s’enchaînent, mais l’accélération de la réduction des émissions se fait toujours attendre. Et il y a d’autres éléments que ces émissions territoriales ne montrent pas.
Tout d’abord les émissions territoriales et l’empreinte carbone sont différentes. Délocaliser une production émettrice de gaz à effet de serre peut certes réduire les émissions territoriales, en revanche augmenter l’empreinte carbone, notamment si la consommation et les GES par produit augmentent du fait de la délocalisation dans un pays où la main‑d’œuvre est moins chère et l’énergie plus carbonée. À l’inverse, relocaliser une production en France peut augmenter les émissions territoriales et diminuer l’empreinte carbone. Cet exemple montre que regarder les GES uniquement via les émissions territoriales occulte une partie du tableau.
Ainsi, l’empreinte carbone de la France est entre 1,4 et 1,5 fois plus élevée que ses émissions territoriales. Et, du fait que les émissions des produits exportés depuis la France ne sont pas comptées dans l’empreinte carbone, celle-ci est en fait composée à 50 % d’émissions importées.
« Atteindre la neutralité carbone en 2050 avec une courbe concave ou une courbe convexe ne donne pas le même climat à la fin. »
De plus, ce n’est pas l’année où la neutralité carbone est atteinte qui compte, mais le cumul des GES émis ! Atteindre la neutralité carbone en 2050 avec une courbe concave ou une courbe convexe ne donne pas le même climat à la fin, puisque la hausse de température dépend des GES émis au total.
Enfin, il ne faut pas oublier que le réchauffement climatique n’est qu’un des nombreux bouleversements que subit notre planète. Même si les différents enjeux sont imbriqués, ces courbes d’émissions de GES ne résoudront pas les problèmes de l’acidification des océans, de la perte de biodiversité, des microplastiques dans les océans, des pénuries de ressources, des inégalités ou de la pollution de l’air.
Article initialement paru dans l’IK n° 1432 du 4 janvier 2023 à l’initiative du NeXt (association d’écologie et de promotion de la transition durable des modes de vie à l’École polytechnique).
Merci à Sofiane Aïssani (X21) et à la rédaction
de l’IK pour l’aimable reproduction de cet article.
Sources :
https://drive.google.com/drive/folders/1jKBGAg9D3xhY1gkjQ_zWx7-kYxKDAU7g?usp=sharing