Comment mesurer l’inflation ? Indicateurs conjoncturels et évolution
L’inflation, ce n’est pas exactement l’évolution de l’indice des prix, mais l’indice des prix à la consommation est encore ce qu’on fait de mieux pour la mesurer. Cet indice est en perpétuelle amélioration depuis des décennies, pour refléter toujours mieux la réalité de l’inflation vécue par les agents économiques. Il est diffusé par de nouveaux moyens, pour toucher notamment les jeunes.
En France, l’indice des prix à la consommation est le lointain descendant de l’« indice des 13 articles », établi par la Statistique générale de la France, ancêtre de l’Insee, à partir de 1913 (Un siècle d’indice des prix de détail français (1913−2013) ou la métamorphose d’un pionnier de la politique du chiffre, Béatrice Touchelay, Politiques et management public, 2014). Depuis lors, la mesure de l’évolution des prix n’a eu de cesse de couvrir un champ de plus en plus complet de la consommation en termes de biens et de services et de représentativité de l’ensemble du territoire, de répondre de mieux en mieux aux attentes des économistes et des utilisateurs, de satisfaire des normes de plus en plus précises, en particulier pour permettre des comparaisons et des utilisations au plan international.
L’indice des prix à la consommation a de multiples usages : indicateur macroéconomique des tensions inflationnistes, indicateur de référence pour des indexations, comme celle du Smic, déflateur d’évolutions nominales comme celles des salaires, du revenu disponible des ménages, de la consommation, pour en déduire les évolutions « réelles »… Comment mesure-t-on l’évolution des prix en pratique ?
Inflation et indice des prix
L’inflation est la perte de pouvoir d’achat de la monnaie, qui se traduit par une augmentation générale des prix : prix de production, prix
à la consommation… Parmi les indicateurs conjoncturels qui la mesurent, le plus fréquemment commenté est l’indice des prix à la consommation, consumer price index en anglais. C’est un indicateur mensuel, présenté le plus souvent en évolution sur douze mois ou en moyenne annuelle. On mesure ainsi l’évolution du prix d’un panier de différents produits et services représentatifs de la consommation finale des ménages.
L’apparition de produits nouveaux est prise en compte pour que l’indice soit représentatif. En revanche, l’inflation mesure une évolution des prix à qualité constante : une amélioration de la qualité procure un meilleur service au consommateur (les économistes parlent d’une utilité plus importante), qui justifierait un prix plus élevé.
Couvrir l’ensemble de la consommation
Pour couvrir de manière complète le champ de la consommation, les statisticiens se réfèrent à une nomenclature, la classification européenne des fonctions de consommation, qui comprend plusieurs centaines de postes. L’indice des prix couvre aussi bien les loyers, les assurances, l’achat de véhicules, les voyages, que les produits alimentaires, manufacturés ou les carburants. Il s’agit également de couvrir l’ensemble de la consommation sur le territoire, y compris les départements et régions d’outre-mer, et l’ensemble des formes de vente, la vente en magasin comme les achats sur internet ou les marchés sur éventaire.
En cela, l’indice des prix se distingue fortement d’indices construits par des sociétés d’études ou des associations de consommateurs, qui couvrent des segments de la grande distribution ou du commerce spécialisé, ou suivent des prix sur internet à partir de comparateurs.
La collecte des tarifs
Le prix de certains produits est suivi à partir de tarifs (gaz et électricité pour la partie tarifs réglementés, données de la Sécurité sociale pour les biens et services de santé, etc.), de relevés de prix réalisés par d’autres organismes (prix du transport aérien de passagers relevés par la direction générale de l’aviation civile, prix des carburants relevés par le ministère de la Transition énergétique, etc.) ou de relevés de prix sur internet, soit manuels et unitaires, soit automatisés par moissonnage (web scraping) en relation avec les sociétés concernées (le prix du transport ferroviaire de voyageurs à partir du site de la SNCF notamment). Au total, 500 000 relevés de prix sont réalisés chaque mois sur internet.
La nécessité des enquêtes sur le terrain
Une part importante de la consommation des ménages est localisée et relève de différentes formes de vente, y compris des formes de vente traditionnelles comme les marchés. Il est donc nécessaire de réaliser des relevés de prix « sur le terrain » : 260 enquêteurs effectuent, chaque mois, 150 000 relevés de prix dans 26 000 points de vente. La recherche d’efficience demandant d’optimiser les déplacements des enquêteurs, un échantillon de 99 agglomérations est sélectionné parmi l’ensemble des agglomérations de plus de 2 000 habitants.
Le choix des agglomérations est effectué aléatoirement au sein de différentes strates de taille d’agglomération, pour optimiser la précision sous contrainte de coût. Chacune des 1 100 familles de produits au niveau le plus fin est alors suivie mois après mois dans chaque agglomération et dans les diverses formes de vente. Dans ces conditions, la précision (écart type) de l’indice d’ensemble est évaluée à un ordre de grandeur inférieur à 0,1 % (L. Jaluzot et P. Sillard, Échantillonnage des agglomérations de l’IPC pour la base 2015).
Un panier évolutif
Un indice de prix doit s’adapter à l’évolution de la consommation. Chaque année, un nouveau « panier » est constitué en cherchant à couvrir tous les types de produits et services représentant au moins 0,1 % de la consommation des ménages. Leur part dans la consommation est également réévaluée, pour servir de pondération des différents postes. Cet exercice revêt une importance particulière, notamment sur les segments de consommation en forte évolution. C’est par exemple le cas, ces dernières années, pour les véhicules automobiles : outre l’évolution des modèles, l’échantillon comprend une part de plus en plus importante de véhicules électriques.
L’effet qualité
En cours d’année, il s’agit de suivre les mêmes produits au fil des mois, pour mesurer l’évolution des prix de produits identiques ou de caractéristiques comparables. Le principe est simple mais la prise en compte de « l’effet qualité » constitue en pratique l’un des principaux enjeux méthodologiques pour le statisticien. Des produits disparaissent ou sont remplacés. Parfois, pour des produits de caractéristiques simples, on trouve un produit équivalent. Dans d’autres, on observe un nouveau produit de la même famille, dans le même point de vente, sans qu’il soit de la même qualité.
Comparer directement le prix du produit initial et celui de son successeur fausserait la mesure de l’indice des prix. Lorsque les caractéristiques qui diffèrent sont simples, en particulier un volume ou une contenance pour un produit de même gamme, on en tient compte directement (par exemple : une baisse de contenance d’un paquet de gâteaux est prise en compte comme de l’inflation ; c’est la shrinkflation. Lorsque les différences sont plus subtiles, on applique faute de mieux l’évolution de familles de produits les plus proches. Pour certains types de produits, il est possible d’établir un modèle dit hédonique : partant de l’observation du prix et des caractéristiques d’un assez grand nombre de produits, on modélise par des techniques économétriques le prix comme une fonction des caractéristiques.
En cas d’apparition d’un nouveau modèle, l’équation ainsi obtenue permet de distinguer l’évolution du prix et l’évolution de la qualité du produit.
L’apport des données massives privées
L’Insee utilise également depuis 2020 les données de caisse transmises par les grands distributeurs (Utiliser les données de caisse pour le calcul de l’indice des prix à la consommation, M. Leclair, Courrier des statistiques, 2019). La loi pour une République numérique de 2016 a établi un cadre pour la transmission obligatoire de données privées, aux fins exclusives d’établir des statistiques publiques et pour remplacer une enquête statistique obligatoire (comme l’est l’indice des prix à la consommation). Elle apporte aux distributeurs toutes les garanties nécessaires sur le traitement et la confidentialité de ces données.
L’Insee dispose ainsi, à un rythme quotidien, du prix et du volume vendu par code-barres (Global Trade Item Number) et par point de vente et de libellés descriptifs de l’article. L’utilisation des données de caisse constitue un véritable changement d’échelle. Environ 80 millions d’enregistrements sont suivis chaque jour, couvrant environ 8 000 points de vente. Les données utilisées chaque mois se comptent en milliards, même si elles ne concernent pour l’instant qu’une partie du champ de la consommation (alimentation industrielle, produits d’entretien et hygiène-beauté).
Les avantages de données de caisse
Les données de caisse offrent des avantages importants par rapport à une collecte par échantillonnage. Elles couvrent un champ de manière complète et continue dans le temps. Cela supprime toute erreur statistique due à l’échantillonnage spatial, au choix des produits et points de vente dans chaque zone, au choix de la date à laquelle le relevé du prix d’un produit dans un point de vente est effectué. L’utilisation des données de caisse demande en revanche de concevoir une méthodologie spécifique, de manière à respecter les concepts que l’indice de prix doit satisfaire.
Le code-barres serait un niveau de calcul trop fin : des marques utilisent des code-barres différents selon l’usine de fabrication, le code-barres est modifié en cas de modification de l’emballage pour des relances commerciales… On suit donc environ 200 000 « classes d’équivalence » de code-barres, en fonction des caractéristiques du produit (10 à 30 caractéristiques selon les familles de produits) telles que le poids ou la contenance, la marque, l’emballage, le taux de matière grasse, le fait qu’il s’agisse ou non d’un produit bio, etc. La prise en compte de l’effet qualité en cas de remplacement de produits est améliorée par rapport à des relevés sur le terrain : avec des données quotidiennes, il est le plus souvent possible d’observer dans les bases de données l’ancien et le nouveau produit simultanément ou à des dates proches.
Un cadre juridique et conceptuel précis
La mesure de l’inflation s’inscrit dans un cadre précis. Un règlement européen définit depuis 1996 le champ, les concepts, le calendrier de diffusion de l’indice des prix à la consommation harmonisé. Ce dernier a été mis en place avec l’Union économique et monétaire et constitue un indicateur central pour la politique monétaire de la BCE. Il diffère légèrement de l’indice des prix à la consommation national, du fait d’écarts de périmètre (Indice des prix à la consommation vs indice des prix harmonisé au niveau européen, A. Daubaire, blog de l’Insee, 2022).
Les règles suivies pour mesurer l’indice des prix s’inscrivent plus largement dans le corpus des règles et recommandations d’un manuel international régulièrement actualisé et diffusé par le FMI, l’OCDE, l’ONU, la Banque mondiale, l’OIT et Eurostat. En France, l’indice des prix à la consommation est une production de la statistique publique. Il fait l’objet d’un avis d’opportunité du Conseil national de l’information statistique et le Comité du label de la statistique publique lui attribue périodiquement le label d’intérêt général et de qualité statistique. Les choix méthodologiques sont donc présentés et discutés avec les utilisateurs, les chercheurs, les représentants des partenaires sociaux notamment. La diffusion de l’indice des prix obéit à des règles strictes.
Faire parler les chiffres
L’Insee consacre un effort particulier à la communication sur ses statistiques et ses études, auprès des experts comme du grand public. Le principe est celui de la pédagogie et de la transparence. L’Insee diffuse chaque mois près de 260 indices de prix à la consommation élémentaires (360 dans les données annuelles, plus détaillées) et différents niveaux d’agrégation. La documentation méthodologique est en ligne, tout comme la liste détaillée des familles de produits. La diffusion des chiffres d’inflation suscite chaque mois de nombreuses questions ou demandes d’interviews des médias, auxquelles l’Insee répond.
“L’indice des prix n’est pas un indicateur reflétant l’évolution du coût de la vie.”
Au-delà de ce canal, il est nécessaire de « faire parler les chiffres » pour les expliquer, leur donner du sens et répondre aux multiples interrogations soulevées dans le débat public par un indicateur qui a des conséquences concrètes : indexation du Smic, revalorisation des retraites, utilisation pour l’indice de référence des loyers, pour la politique monétaire et le niveau des taux d’intérêt… Il s’agit d’expliquer que le pouvoir d’achat est autant une question de revenu que d’inflation, que les indicateurs sont des moyennes qui ne reflètent évidemment pas la diversité des situations individuelles, que l’indice des prix est un indice à qualité et caractéristiques constantes et non un indicateur reflétant l’évolution du coût de la vie, qui tiendrait compte de l’évolution des normes de consommation.
Lire aussi : Inflation : apports et limites de l’indice des prix à la consommation
Personnaliser l’inflation
Une manière de répondre à ce besoin est de fournir des indicateurs statistiques au plus près de réalités vécues. C’est ainsi que l’Insee diffuse des indices des prix selon différentes catégories de ménages : par décile de niveau de vie, selon la composition familiale, le statut d’occupation du logement, la catégorie socioprofessionnelle.
La proportion de chaque produit diffère selon la catégorie, menant à une moyenne pondérée différente. Cet exercice mené à un rythme annuel a été réalisé sur données mensuelles lors de la période inflationniste récente. Il a montré que les écarts d’inflation effective étaient particulièrement importants entre les ménages vivant en zone rurale ou périurbaine et ceux vivant dans les zones les plus urbanisées, en période de hausse des prix de l’énergie. Une variante de ce type d’approche est le « simulateur personnalisé d’inflation » disponible sur le site insee.fr : chacun peut entrer la part des principaux produits dans son budget et calculer sa propre inflation (https://www.insee.fr/fr/statistiques/2418131).
Moderniser la communication
Enfin, il est désormais nécessaire d’investir toutes les formes de communication pour être entendu et compris dans le débat public, particulièrement auprès des jeunes générations. L’Insee est ainsi présent sur des réseaux sociaux et utilise des supports diversifiés, qui permettent de parler des statistiques de façon plus évocatrice. Une série de courtes vidéos sur l’inflation et sa mesure a ainsi été mise en ligne en 2021 : en quelques minutes, elle permet d’en savoir presque autant, de manière simplifiée, qu’à la lecture de cet article (https://www.insee.fr/fr/statistiques/4268033#onglet‑3).
Glossaire en ligne
Déflateur : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1715
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Merci pour ce commentaire. Le lien est corrigé.