Hubert : nouvelle en 3e place du 25e concours X Mines Auteurs
Avec sa nouvelle intitulée Hubert, François-Xavier Martin (X63) est arrivé 3e du 25e concours d’X Mines Auteurs dont le thème était : « Les tribulations d’un honnête homme du XVIIe siècle dans la France d’aujourd’hui ». Voici son texte dans son intégralité. Vous pouvez aussi découvrir 14 May, texte proposé par Brigitte Calot (Mines de Nancy 1990) qui a remporté le concours, et L’égaré du village d’Auteuil, de Jean-François Guilbert (X67), arrivé 2e. Les 17 autres nouvelles peuvent être lues sur le site de XMA : http://www.xm-auteurs.com (rubrique « Concours »).
« Monsieur le Comte … venez voir, il y a un mort dans la glacière ! »
Le Comte Thibaut de Montorgueil constata la vive émotion de Paul, le responsable de la transformation en boîte de nuit de l’ancienne glacière souterraine de son château de Sauveterre, propriété de sa famille depuis la Renaissance. En hiver, par temps de gel, étaient amenés dans cette grande cavité cylindrique de gros blocs de glace qui fondaient très lentement, offrant toute l’année le même service qu’un gigantesque réfrigérateur.
Cette glacière maintenue en fonctionnement avait été longtemps une attraction-clé pour les visiteurs payants du château, devenus indispensables pour financer l’entretien du domaine. Cependant de récentes études marketing avaient montré tout l’intérêt de transformer la glacière en boîte de nuit, malgré le coût élevé d’un système ultra-moderne d’animation par hologrammes.
« Monsieur le Comte … vos archives indiquent que peu avant 1700, en fin de construction de la glacière, la belle paroi circulaire initiale restait tiède sur plusieurs mètres en raison d’une source souterraine d’eau chaude inconnue jusque-là. Pour éviter que la glace fonde trop rapidement à cet endroit, vos ancêtres y ont érigé une cloison intérieure afin de constituer une zone isolante. Nous étions en train de démolir cette cloison maintenant inutile et là ! … nous tombons sur un cadavre costumé ! »
Le Comte et Paul escaladèrent la cloison partiellement abattue. Une forme humaine gisait sur le sol, le torse vêtu d’un justaucorps brodé.
« Sans doute un figurant de notre spectacle historique. Mais est-il vraiment mort ?»
Appelée en urgence, la jeune docteure roumaine de permanence au centre médical voisin, examina le cadavre et s’exclama :
« Il est vivant ! … mais dans un coma profond. Il semble être dans cet état depuis vraiment très longtemps. »
Le Comte était songeur. Serait-il possible que … ? Cette vieille histoire de disparition mystérieuse vers 1700 de son aïeul, le Comte Hubert de Montorgueil …
Des analyses ADN ultérieures et la consultation des archives permirent de reconstituer les faits. En 1699, le Comte Hubert entreprit un soir de visiter le chantier de la glacière sans prévenir personne. Il avait dû escalader la cloison en construction puis chuter lourdement du côté du mur extérieur, tombant alors dans un coma profond. Les jours suivants, les ouvriers terminèrent la cloison sans le voir. Le Comte s’était trouvé enfermé, en hibernation dans un espace maintenu toute l’année à une température tout juste supérieure à zéro. Ses besoins alimentaires avaient alors disparu et son vieillissement s’était arrêté. Né en 1650, il était toujours vivant en 2022 !
Pour que son aïeul inconscient ne soit pas trop perturbé lors de son éventuel réveil, Thibaut le fit installer dans sa chambre du château telle qu’elle était en 1700. Un processus médical de sortie de coma fut mis en route.
Au bout de quelques jours, Hubert ouvrit les yeux et son regard balaya la pièce. Il reconnut son cadre habituel et au bout d’un long moment se tourna vers Thibaut :
« Qui êtes-vous ?
— Je suis Thibaut, votre arrière-arrière- arrière … petit-fils.
— Mon Dieu, en quelle année sommes-nous ?
— Vous avez dormi extrêmement longtemps … nous sommes en 2022 !
— Seigneur Jésus, Thibaut, nous sommes alors au moins sous Louis XXV ?
— Grand-père, si je peux me permettre de vous appeler ainsi, il n’y a plus de roi en France. Il y a maintenant un président élu par tous les Français tous les cinq ans.
— Tous les Français … y compris les manants ?
— Oui, tous les Français et toutes les Françaises d’au moins dix-huit ans
— Sacrebleu ! les femmes aussi votent ? Drôle d’idée ! »
Hubert était abasourdi. Thibaut pensa préférable de le laisser se reposer.
Le lendemain Thibaut voulut profiter de la fermeture hebdomadaire du domaine pour parcourir, seul avec son aïeul, le château et lui montrer son évolution depuis 1700.
« Grand-père, mon père a réalisé en 1960 qu’il n’allait plus pouvoir entretenir Sauveterre avec les ressources traditionnelles du domaine. Il l’a donc ouvert à des visites payantes et installé dans certaines pièces des scènes historiques avec des personnages de cire en costumes d’époque. »
Ils virent tout d’abord la représentation d’un lever du Roi Soleil à Versailles auquel Hubert avait été convié en 1690.
« Pour habiller votre personnage, nous avons utilisé vos véritables vêtements qui avaient été pieusement conservés au château après votre disparition.
— Morbleu, vous vous êtes trompés de justaucorps ! Celui qui est là, je ne l’ai acheté qu’en 1692 … »
En plus de trois siècles de coma, le Comte Hubert n’avait visiblement perdu ni intelligence, ni mémoire ; il montrait une vivacité d’esprit de quadragénaire !
Thibaut l’emmena ensuite visiter le petit musée sur les moyens de transport installé dans les anciennes écuries. Hubert y reconnut immédiatement son carrosse et ses chaises à porteurs. Une autre salle contenait plusieurs automobiles allant d’une De Dion Bouton à une Traction Avant Citroën de 1950.
« Quelles drôles de formes ! je vois bien l’habitacle des passagers, mais pas les brancards auxquels attacher les chevaux, ni le siège du cocher …
— Il y a des chevaux mécaniques dans un coffre à l’avant de la voiture. Ils sont alimentés par une substance liquide issue du naphte.
— Ces étranges carrosses ne sont pas trop lents ?
— Non, vous allez voir. »
Ils s’installèrent dans la voiture de Thibaut. Après quelques kilomètres à vive allure sur les routes voisines, la voiture entra dans le village de Sauveterre et s’arrêta devant l’église.
« Ton carrosse roule vraiment très vite et pourtant j’y suis moins secoué que dans le mien. Mais j’ai besoin marcher un peu. »
Hubert pénétra dans le vieux cimetière paroissial adossé à l’église. Les lieux avaient peu changé depuis le dix‑septième siècle et il reconnut la partie hébergeant les tombeaux des Montorgueil. Très ému, il découvrit celui de sa femme, morte en 1709, et ceux de ses enfants et de ses petits-enfants. Il demanda à se recueillir quelques instants dans l’église.
« Grand-père, l’église n’est ouverte que pour la messe du samedi soir. Il n’y a plus de curé au village.
— Plus de curé à Sauveterre ? Sacrebleu, n’y aurait-il plus que des huguenots ?
— Non, c’est simplement que la majorité de la population ne pratique plus aucune religion
— Tudieu ! La France est donc devenue un pays sans chevaux gouverné par des manants et des femmes ne croyant plus en Dieu … Franchement, plutôt que de voir ça, j’aurais préféré mourir trois cents ans plus tôt ! Au moins je reposerais déjà aux côtés de ma chère épouse dans notre caveau familial.
Ecoute j’ai besoin d’être seul. Je vais rentrer à pied. Je connais le parcours par cœur »
Ce furent ses dernières paroles. Comme il n’était toujours pas arrivé deux heures plus tard, Thibaud alla à sa recherche sur chemin qui menait du château au village. Lorsqu’il passa le long des douves il découvrit avec horreur que son aïeul y était tombé. Cette fois la jeune docteure roumaine ne put que constater son décès.
Thibaut décida alors d’organiser une magnifique cérémonie d’obsèques où tous les participants devraient payer le droit d’entrée au domaine et porter une tenue du dix-septième siècle louée obligatoirement auprès du château.
Les recettes de ces funérailles dépassèrent toutes les prévisions. Thibaut put faire installer le système d’animation par hologrammes de ses rêves. Par clin d’œil à son aïeul et à l’année de sa disparition, il appela sa boîte de nuit « Uber 1699 ».