Holivia Réinvente la prévention des risques psychosociaux
En 2020, Jérôme Crest (X04) a cofondé Holivia, qui se veut une approche moderne et éprouvée pour réinventer la prévention des risques psychosociaux (RPS). Le nom Holivia signifie « chemin holistique », une conception selon laquelle la santé mentale est aussi importante que la santé physique. Holivia est une solution qui repose sur la complémentarité de l’accompagnement humain et des sciences comportementales, en vue d’un impact réel et durable, individuel et collectif.
Quelle est l’activité d’Holivia ?
Holivia a pour mission de mettre la santé mentale au cœur des organisations. Nous venons de moderniser et d’amplifier l’approche des entreprises sur la prévention des risques psychosociaux (RPS), les aider à dédramatiser le sujet de la santé mentale jusqu’à ce que chacun se sente autorisé à l’aborder, donner aux salariés les outils pour prendre soin d’eux en autonomie et en toute confidentialité, qu’ils aillent bien ou qu’ils soient en souffrance, donner aux manageurs les clés pour accompagner les situations de mal-être. Cela permet d’accompagner plus de situations, plus tôt et plus en profondeur, et de faire de la santé mentale un levier de valeur pour l’entreprise. Nous accompagnons maintenant plus de 15 000 salariés auprès d’ETI et de grands groupes comme EDF, Vinci Construction, Air Liquide, SNCF Réseau.
Quel est le parcours des fondateurs ?
Je suis de la promotion 2004, j’ai fait ma dernière année au MIT en ingénierie mécanique. J’ai commencé ma carrière chez Dalkia (filiale du groupe EDF), chez Alstom Renewable Power dans le secteur de l’énergie et à la CMA CGM. J’ai occupé des fonctions d’ingénieur d’affaires, de business development et de direction commerciale. J’avais un vrai besoin d’autonomie, d’impact et de sens ; c’est pourquoi j’ai quitté le monde des grands groupes pour rejoindre une première start-up à Marseille avant de créer Holivia. Mon associé Imad Wakidi a fait sa carrière chez ITK dans l’agritech, comme développeur puis responsable du produit, avant d’avoir la responsabilité des projets de transformation de l’organisation.
Comment t’est venue l’idée ?
J’ai moi-même vécu un burn-out. J’étais très investi dans mon travail, sujet à un stress important ; plusieurs événements ont fait déborder la situation. J’étais incapable de travailler, j’ai quitté mon poste en deux semaines. À la suite à ce départ, j’ai vécu une phase d’introspection importante, avec du coaching, plusieurs approches de thérapie avec des psychologues ; je suis devenu un adepte du développement personnel et du développement émotionnel, ce qui a eu un impact énorme sur mon équilibre. Je souhaite transmettre cette transformation au plus grand nombre au travers des entreprises, c’est une mission qui porte un sens très important pour moi.
Qui sont les concurrents ?
Les États-Unis sont précurseurs, avec des entreprises qui ont fait des levées de fonds significatives comme Lyra Health. En France, nous venons principalement moderniser les Employee Assistance Programs (EAP) et les cellules d’écoute psychologique, avec des acteurs historiques comme Stimulus ou Workplace Options.
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
Holivia a été créée en avril 2020. Le produit a été lancé en mars 2021 auprès d’une première PME de 300 salariés. Nous avons réalisé une levée de fonds de 2 M€ début 2022, ce qui nous a permis de passer de 3 à près de 20 salariés avec deux bureaux, à Marseille et Montpellier. Nous connaissons une phase de forte croissance, le coronavirus a accéléré le processus.
Pourquoi l’entreprise est-elle concernée par la santé mentale des salariés ?
La prévention des risques psychosociaux (RPS) est une obligation légale. Les entreprises doivent préserver la santé mentale des salariés, au même titre que la santé physique.
La majorité des grands groupes réalisent des audits qui permettent de cartographier les risques, organisent des sessions de formation et mettent à la disposition de leurs équipes des cellules d’écoute psychologique utilisées trop tard et par moins de 1 % des salariés, en total décalage avec l’ampleur du sentiment de mal-être. Ces cellules d’écoute, sous la forme de numéro d’appel, sont froides, impersonnelles, axées sur la gestion de la souffrance. Il est important d’agir en prévention, de développer des facteurs de protection afin que chacun puisse avoir des outils pour gérer le stress, éviter la surcharge mentale, désamorcer des situations conflictuelles. La bonne santé mentale est le fondement d’un collectif et une mauvaise gestion a un impact sur l’organisation : absentéisme, turn-over, dégradation du climat social et désengagement des collaborateurs.
“Le bien-être au travail est le deuxième critère dans la recherche d’un emploi par les jeunes cadres.”
Si la santé mentale au travail est de moins en moins un tabou, elle reste un sujet délicat pour bon nombre d’entreprises. On a gagné le droit d’être vulnérable, mais on est alors étiqueté « maillon faible », parce que, culturellement, les choses n’ont pas tellement changé. Or il faut du courage pour montrer ses failles ; de la force pour avouer ses faiblesses. Contrairement à l’idée reçue, la vulnérabilité n’est pas faiblesse, loin de là : parce qu’elle consiste à accepter ses failles, à partager ses émotions et ses sentiments comme ses idées et ses opinions, elle rapproche et crée de la confiance, favorisant l’implication et le plaisir. Assumer ses imperfections, exposer ses doutes, demander de l’aide, c’est en effet donner à autrui la possibilité de vous connaître vraiment, de vous voir tel(le) que vous êtes, au-delà de l’arsenal ordinaire déployé pour masquer la vulnérabilité. Choisir de s’exposer, c’est prendre le parti de la confiance a priori, c’est faire le premier pas : un courage contagieux, qui se nourrit des audaces qu’il suscite.
Est-ce un sujet particulièrement lié aux entreprises qui ont une activité tertiaire ? On parle peu, après tout, du bien-être des ouvriers ou des agriculteurs ?
Tous les salariés sont concernés par la santé mentale. En revanche, nous remarquons que les entreprises qui ont une très forte politique de rétention de leurs équipes et des marques employeurs puissantes sont celles qui investissent le plus dans la santé mentale. Il faut savoir que le bien-être au travail est le deuxième critère dans la recherche d’un emploi par les jeunes cadres, le premier critère étant le sens et le troisième la rémunération. Ce n’est pas le même ordre pour des ouvriers ou des agriculteurs !
N’est-ce pas un peu un cercle vicieux : le salarié qui se sent bien travaille mieux, voire plus, jusqu’au burn-out ?
Il y a en effet un lien entre une bonne santé mentale et la performance au travail. Mais ce n’est pas un cercle vicieux. Avoir une bonne santé mentale, c’est être capable de connaître ses limites, sa zone de performance, de savoir jauger son niveau d’énergie et ses ressources pour les recharger. Comme un sportif de haut niveau, l’objectif est d’être dans sa zone de performance optimale, de développer des capacités de résilience, de faire face aux aléas du quotidien, d’appréhender sereinement des pics de charge ou des événements difficiles.
À l’heure où l’on parle de plusieurs vies professionnelles dans un même parcours, fidéliser les salariés a‑t-il vraiment un sens ?
Les talents ne se contentent plus d’énoncer leurs attentes salariales. Ils osent challenger les employeurs sur des sujets comme le sens de la mission, les valeurs de la marque (notamment en matière d’inclusion), le bien-être, la formation et le développement des compétences. La dignité de l’emploi ne se mesure plus au statut ou à la paye, mais bien davantage à l’intérêt de la mission et aux valeurs de la marque. D’où la nécessité, pour les organisations, de revoir leur discours à l’aune de ces nouvelles priorités et d’être transparentes sur la vision et l’impact.
Aujourd’hui, les talents veulent des preuves, des garanties ; ils se méfient des beaux discours. C’est pourquoi les organisations ont intérêt à travailler sur la marque employeur sans chercher à se faire passer pour ce qu’elles ne sont pas. Car il est certain que, si les promesses ne sont pas tenues, les talents n’hésiteront pas à partir. Il faut donc être en mesure de rassurer d’emblée les candidats en leur proposant une expérience qui soit véritablement épanouissante, où l’on substitue l’utilitaire à l’utile et où les perspectives sont ouvertes, non seulement en matière de développement des compétences et d’évolution de carrière, mais encore en termes de développement personnel.
Holivia est-elle une entreprise « récursive », qui utilise ses propres produits en interne, et, si oui, avec quels résultats tangibles ?
Bien sûr ! Chaque salarié a accès à l’application Holivia et jusqu’à douze séances avec des psychologues chaque année, pour tous les challenges qui se présentent à eux. Notre culture est orientée sur le care, pour créer un climat de sécurité psychologique où chacun se sente libre et autorisé à parler de ses difficultés. Nous partageons notre « météo intérieure » lors de nos réunions d’équipe, pour parler des émotions et des ressentis de chacun. Nous organisons des ateliers collectifs pour initier chacun à la communication non violente, à l’écoute active, à la méditation.