Kevin Ha (X13) : le polytechnicien devenu Ninja Warrior grâce au parkour
Rencontrer Kevin Ha (X13), directeur de projet au service du tourisme pour la Direction générale des entreprises et pratiquant professionnel du parkour, ne laisse pas indifférent. Passionné de ce sport riche d’acrobaties et de grande résistance physique, ce polytechnicien raconte comment la persévérance et la discipline acquises grâce au parkour lui ont permis de surmonter les obstacles de la vie.
D’où viens-tu ? Quelles sont tes origines ?
Kevin Ha : Mes parents sont chinois, mais nés au Vietnam : ils ont grandi là-bas, fait leurs études dans un lycée français et ils ont fui le régime communiste il y a plus de quarante ans pour venir en France à la recherche d’une vie meilleure. Ils étaient sans ressources ; ils m’ont inculqué la valeur des choses et la culture de l’effort. Quand mes parents sont arrivés, mon père a fait un IUT avant d’intégrer Supélec et d’être ingénieur. Ma mère est styliste et travaille aujourd’hui dans la haute couture ; elle a toujours bien dessiné, elle a une âme d’artiste et le regard très aiguisé. Je suis fils unique et mes parents m’ont fait voyager dès ma naissance. J’ai voyagé partout : en Europe, en Asie, aux États-Unis et au Canada parce que j’ai des membres de la famille qui y résident. J’ai grandi en banlieue, dans le 94 à Joinville-le-Pont, et, enfant, j’ai pratiqué la gym artistique, un sport qui m’a formé et m’a fait prendre conscience de mon côté compétiteur, mais aussi de mon côté mauvais perdant. J’étais aussi un enfant assez timide et le sport m’a fait prendre confiance en moi. Pour vaincre sa timidité il faut trouver des moyens d’expression qui ne sont pas forcément verbaux. Petit, je n’étais pas quelqu’un de très bavard. Grâce au sport et au fait de donner libre accès à la créativité, j’ai vu s’ouvrir des portes et j’ai assisté à des événements où j’ai été forcé à parler et à m’exprimer. Le sport m’a aussi permis de voyager : les voyages ont été des révélations pour moi.
Quel a été ton parcours avant Polytechnique ?
Kevin Ha : Après mon bac, j’ai été pris en prépa à Stanislas. Mais j’ai été malade pendant cette période, j’ai souffert d’un syndrome néphrotique qui m’a obligé à un traitement de corticoïdes : des médicaments très durs pour le corps. Cela a inévitablement influencé ma performance scolaire. Pour moi c’était la chute : je n’arrivais pas à être concentré.
“La première fois que j’ai tenté le concours, je ne l’ai pas eu. Mais je n’ai pas lâché : je n’aime pas abandonner dans la vie.”
La première fois que j’ai tenté le concours, je ne l’ai pas eu, j’étais le dernier de la classe à cause de mes problèmes de santé. Mais je n’ai pas lâché, je n’aime pas abandonner dans la vie. Je ne voulais pas décevoir tous ceux qui avaient cru en moi et je ne me suis pas laissé abattre. J’ai dû lutter pour qu’ils me gardent en 5⁄2, mais j’avais la rage de vaincre et j’étais très déterminé. Je suis donc retourné en prépa avec l’objectif d’être le meilleur de ma classe et pour cela j’ai dû énormément travailler. Le premier devoir de maths était à l’image de mon année : la prof a rendu les copies en les classant par ordre, je me suis retrouvé premier avec 18,5, le deuxième avait obtenu 9,5. L’écart était énorme. Le jour du concours j’ai bien compris qu’être le meilleur de ma classe n’était pas si important : tu n’es qu’un candidat parmi les meilleurs de France. J’avais peur de regarder les résultats du concours, mes parents y sont allés à ma place et m’ont annoncé que j’étais admissible, puis admis.
Qu’est-ce qui t’a le plus aidé quand tu étais au fond du trou ?
Kevin Ha : La culture de l’effort que mes parents m’ont inculquée et ma culture de l’échec comme rebond : tomber pour redevenir deux fois plus fort. Je dis toujours : il ne s’agit pas d’un échec, mais d’un essai. Demain je pourrai être mis en cage et sortir en étant plus fort.
Pourquoi as-tu choisi l’X ? Pourquoi une formation d’ingénieur ?
Kevin Ha : Mon père, qui avait fait Supélec, m’a dit : « Ah ! mon fils, j’ai envie que tu fasses mieux que moi. » J’ai accepté le défi et j’ai voulu rendre mes parents fiers. Faire la meilleure école d’ingénieur en France était tout d’abord un rêve et un moyen de leur montrer que ce qu’ils ont sacrifié pour moi a porté ses fruits. À l’X j’ai participé à tous les événements possibles et je suis aussi parti à l’étranger : au Japon et aux États-Unis. J’étais inséré dans la section volley pour améliorer mon esprit de groupe et apprendre à penser collectif. J’aimais avoir des passions dans la perspective d’apprendre quelque chose de nouveau. J’ai exploré des sports extrêmes pour pouvoir me mettre à l’épreuve. Je ne retiens que du positif de l’X.
Plus tard j’ai intégré le corps des Ponts. J’ai choisi la fonction publique pour travailler dans l’intérêt général ; chaque individu est capable de faire quelque chose d’incroyable au service du collectif. L’État a une grosse marge de manœuvre sur des sujets qui ne sont pas forcément bien traités par les entreprises comme l’environnement, le climat, la RSE… Juste avant mon premier poste, je voulais utiliser mes compétences scientifiques au service d’une bonne cause. J’ai toujours rêvé de faire des campagnes océanographiques, j’adore l’océan et je me suis donc lancé à l’aventure. J’ai effectué ma thèse en océanographie et j’ai pris beaucoup de plaisir dans mes recherches. Sur le plan intellectuel c’était enrichissant.
Je retiendrai toujours une expérience qui a bouleversé ma façon de voir le monde du travail : ma mission professionnelle pour le corps des Ponts. Au sein de l’équipe innovation de la direction transformation et efficacité opérationnelle d’EDF dans le pôle en charge de l’open innovation, j’étais à la recherche de start-up. Je proposais des solutions numériques pour accompagner la transformation numérique des métiers du groupe comme des chatbots pour la direction juridique ou des solutions de réalité augmentée pour former les salariés dans les centrales nucléaires. J’aime beaucoup le lien direct avec l’écosystème innovant ; j’avais la possibilité de fluidifier les relations avec les start-up, les fonds d’investissement, les IRT (instituts de recherche technologique) et les territoires. L’innovation dans la tech est quelque chose sur laquelle je voulais revenir après ma thèse. C’est chose faite depuis que je suis devenu directeur de projet sur les sujets d’économie, innovation et données à la sous-direction du tourisme pour la Direction générale des entreprises et, à la tête d’une équipe de neuf personnes, je vais être challengé et j’espère pouvoir m’épanouir.
D’où vient ta passion pour le parkour ? Qu’est-ce que tu aimes dans ce sport ?
Kevin Ha : Depuis l’enfance, je suis fan des superhéros, en particulier de Batman. J’avais son costume : ma mère m’avait même cousu la cape ! C’était mon idole. Mon goût pour les superhéros et mon attrait pour le sport m’ont introduit au parkour. À l’âge de 15 ans j’ai regardé le film Yamakasi qui a popularisé le parkour en France. J’ai appris ce sport grâce à YouTube : j’ai commencé à regarder des vidéos et je me suis formé en autodidacte. C’est un sport en évolution permanente. Ce qui attire les traceurs – les pratiquants du parkour – est la performance, la créativité, la maîtrise du corps combinées au sentiment de liberté. Le parkour permet de ne pas être prisonnier de ce que la ville nous offre comme espaces mais de les valoriser, de les habiter autrement. C’est dans la ville et, en particulier, en banlieue, qu’est né le parkour. À Évry et à Lisses on trouve deux spots mondialement connus, le Man Power et la Dame du lac, qui attirent l’attention du public. Nous, les traceurs, y allons chaque année pour nous entraîner, il s’agit d’une sorte de pèlerinage. Pour moi le parkour n’est pas juste un sport, mais une véritable philosophie de vie.
Comment en es-tu venu à participer à l’émission Ninja Warrior : Le Parcours des héros ?
Kevin Ha : Ninja Warrior apparaît en France en 2016, j’ai participé à la septième saison. Je me suis fait repérer car la production a suivi dans la presse mon groupe On the Spot Parkour connu pour éteindre les enseignes lumineuses dans les rues de Paris. Ils cherchaient un profil un peu atypique. Le fait que ma première participation m’a permis d’arriver tout de suite en finale a été source de fierté pour moi. J’ai pu mettre des paillettes dans les yeux de mes parents qui m’ont accompagné tout au long de l’aventure. C’était déterminant d’avoir leur soutien : je ne serai clairement pas là sans eux.
L’expérience à Ninja Warrior a‑t-elle été difficile pour toi ?
Kevin Ha : D’année en année le niveau monte et, cette année, c’était particulièrement dur. Mes adversaires avaient un très haut niveau et avaient déjà participé à l’émission contrairement à moi. J’ai buzzé deux fois, j’ai complété deux parcours, je me suis qualifié pour la demi-finale et je suis tombé en finale à cause d’un obstacle difficile. Nous sommes tous tombés au même endroit ; c’est énervant, ça s’est joué au mental. Ninja Warrior demande une préparation physique particulière, il faut être adaptatif, avoir de la coordination dans les jambes, la force des bras et, surtout, il faut être assez polyvalent. Le plus important pour moi était de voir mes parents fiers et de continuer d’être fier de moi-même. Pendant l’émission la caméra nous suivait partout, même dans les coulisses de la compétition. Mes parents étaient avec moi à chaque moment, c’étaient mes fidèles supporters. Plus tard en regardant l’émission, j’ai pu revoir des moments passés avec eux, notamment après mes qualifications pour la finale, où, ému, je leur ai exprimé mon affection. C’était touchant de pouvoir revivre ce moment dont je ne me souvenais plus dans le feu de l’action.
Est-ce que tu pourrais révéler ta routine d’entraînement quotidienne ?
Kevin Ha : J’ai créé ma routine sur mesure. Dans le parkour il y a trois actions qui correspondent à trois styles différents : courir, sauter et grimper. Personnellement j’ai un style grimpe et course. Auparavant j’aimais bien effectuer des acrobaties, mais, avec le temps, j’ai fait évoluer mon style. La devise du parkour est être et durer, la persévérance a donc un rôle fondamental. J’ai trois routines qui correspondent à mes trois faiblesses. Je suis très exigeant : grâce à la compétition j’ai découvert des choses sur moi et mes routines se sont développées à la suite de ma défaite. Je sais sur quoi je dois travailler et je reviendrai plus fort que jamais.
“Je sais sur quoi je dois travailler et je reviendrai plus fort que jamais.”
Tu as l’air d’être très discipliné, dans le sport comme dans la vie. Les traceurs sont-ils majoritairement des têtes brûlées ou des gens disciplinés ?
Kevin Ha : Il est sûr que, pour avoir un certain niveau, il faut faire preuve d’autodiscipline. Souvent les gens voient le résultat spectaculaire, mais ils n’imaginent pas les jours intenses de préparation nécessaires. Souvent il faut cinq à dix ans d’entraînement quotidien. Si les pratiquants du parkour étaient des têtes brûlées, il y aurait plus d’accidents que dans le foot alors que c’est le contraire. Aujourd’hui le coaching existe et permet d’avoir une discipline, mais, avant tout, c’est de l’autodiscipline. Cette autodiscipline mène à une prise de conscience du risque et à la mesure du danger à chaque saut que l’on entreprend.
Es-tu considéré aujourd’hui comme une personnalité publique ?
Kevin Ha : Je ne suis pas assez célèbre pour être arrêté dans la rue, mais j’ai été reconnu dans une salle de gym habituellement fréquentée par des grimpeurs. J’ai reçu aussi beaucoup de messages de personnes qui affirment que j’étais leur candidat préféré et qui espèrent me revoir l’année prochaine.
La notoriété a commencé un peu plus tôt avec On the Spot Parkour, un groupe de parkour qui éteint les lumières des boutiques le soir, dont je suis le leader. La loi affirme que les enseignes lumineuses doivent rester éteintes de 1 h à 6 h du matin. Nous n’avons pas une posture militante ni écologiste ; pour nous c’est une forme d’entraînement : nous mélangeons le sport avec une bonne cause. Plus l’interrupteur est haut, plus on s’amuse en rendant service à la planète. Nous n’éteignons que l’interrupteur de l’enseigne, celui réservé à l’opération des pompiers en cas de départ de feu pour éviter que celui-ci ne se propage au niveau des enseignes. Nous recevons plein de messages de soutien, même de la part des policiers. C’est grâce à cette action que la production de Ninja Warrior m’a remarqué et contacté. De plus le coût de l’électricité a augmenté : depuis la crise ukrainienne c’est devenu un enjeu économique. On avait estimé que si toutes les enseignes étaient éteintes, ça permettrait d’économiser 200 millions d’euros par an, l’équivalent de la consommation annuelle de 370 000 ménages, chiffres de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).
Es-tu en lien avec des anciens camarades ?
Kevin Ha : Je travaille à la Direction générale des entreprises : je croise beaucoup d’X au ministère, c’est un peu un « X‑Land » à Bercy. Beaucoup d’entre eux ont suivi Ninja Warrior. Je suis resté proche des camarades du corps des Ponts, même si nous avons des carrières professionnelles différentes. Nous nous revoyons souvent pour une soirée au restaurant. À l’X on aimait bien découvrir des restos à Paris donc on maintient les mêmes traditions. C’est important de garder le lien : cette année on fête les dix ans de la promo, j’ai donc hâte de revoir mes anciens camarades.