« Nous travaillons avec l’IoT depuis longtemps »
En intégrant l’Internet des objets dans son système d’information pour piloter l’efficience de la logistique, La Poste entreprend sa transformation. Quels en sont les motivations et les enjeux ? Entretien avec Setra Rakotomavo Responsable strategic explorer, et Jean-Paul Fabre Responsable technologique, à la direction de l’innovation et de la prospective du système d’informations de la branche services-courrier-colis de La Poste. Dans cette direction sont réalisés des PoC (Proof of Concept) soit pour optimiser les processus soit pour avoir des relais de croissance pour la branche en réponse à l’attrition du courrier. Le travail s’effectue avec un écosystème de start-up (par ex. Kuzzle pour l’IoT, Pathway (ex Navalgo) dans les start-up d’IA, Olympe pour le low code…), de grandes écoles, etc. En 2022, nous voudrions signaler un PoC sur le métavers présenté à VivaTech ou encore le prix de l’innovation PostEurop pour le projet blockchain Douanes.
Comment l’internet des objets s’est-il intégré aux métiers du groupe La Poste ?
La Poste est une entreprise utilisatrice de technologie ; en particulier, nous travaillons avec l’IoT depuis longtemps. Les facteurs font de nous une entreprise en grande mobilité avec un maillage sur l’ensemble du territoire. Nous livrons 6 jours sur 7 courriers et colis à 68 millions de Français. Nos facteurs sont connectés avec leur téléphone mobile, qui permet de programmer leur tournée et les aider dans les opérations à effectuer. Nous menons des expérimentations dans nos établissements, nos centres de tri. Nous connectons par exemple les rampes pour connaître l’horaire d’arrivée et croisons les informations délivrées par les machines de tri. En procédant par cas d’usage, nous savons intégrer des outils intelligents dans la chaîne de production. L’enjeu est maintenant d’exploiter finement ce datalake pour en faire une extension du système d’information.
Nous avons connu plusieurs générations d’Internet des objets. Les objets sont actuellement ubiquitaires. Les capteurs bougent et sont autonomes, alors qu’ils étaient auparavant souvent fixes et liés à une alimentation électrique. Nous avons aujourd’hui besoin de traiter des objets connectés isolés. Cette étape a d’abord correspondu chez nous à la gestion des boîtes aux lettres : en connaître l’occupation (on ne peut pas ouvrir une boîte si elle est occupée), les sécuriser avec du chiffrement par exemple. Tous ces besoins nécessitent déjà un peu de calcul. Par la suite, nous avons été confrontés à la gestion à distance, avec des communications souvent imparfaites. Aujourd’hui, on a 1 600 semi-remorques et caisses mobiles qui circulent avec des colis. Nous avons eu besoin de savoir où ils se situaient, en temps réel. Dans un second temps, nous avons cherché à faire de l’événementiel, c’est-à-dire dégager une information qui déclenche une action, porteuse de valeur ajoutée pour le pilotage.
Quels sont les aspects essentiels de votre réseau ?
Notre réseau est constitué de plateformes, c’est-à-dire de nœuds agrégeant des flux, permettant de router colis et courrier et des nouveaux produits comme des plateaux repas. Nous connaissons très bien ce qui se passe à l’intérieur de nos plateformes.
Mais un des enjeux consiste à connaître ce qui se passe entre les plateformes, c’est-à-dire dans le transport (aujourd’hui essentiellement opéré par des camions). Par ailleurs, ce réseau est dissymétrique avec le possible problème du retour à vide à optimiser : c’est l’une de ses caractéristiques importantes. Par exemple, une fois qu’un camion livre une plateforme, il faut que la remorque revienne à son point de départ. Les flux partent souvent du nord de la France, et rayonnent.
Comment répondez-vous aux défis que pose le développement du commerce en ligne ?
Nous vivons actuellement une mutation majeure. Au vu des évolutions de la consommation et des usages du e‑commerce et de la livraison, La Poste est en train d’évoluer d’un modèle statique de diffusion de masse, vers un modèle de diffusion à la demande, avec des heures de rendez-vous liées aux contraintes de mobilité du client final. Il nous faut donc dimensionner un nouveau réseau, et à cette fin comprendre les habitudes des clients, les évolutions sociétales ou réglementaires comme accès au centre-ville avec notamment l’implantation et le développement des vélos cargos pour la livraison des ZFE (Zone à faibles émissions), les migrations de population.
Notre réseau était auparavant figé, programmé. Nous allons maintenant vers un réseau très élastique, capable d’absorber une forte montée en charge selon certaines périodes (Noël, Black Friday…) mais aussi selon des facteurs géographiques (déplacements pendant les vacances). Nous sommes convaincus que l’IoT permettra de mieux piloter ce réseau élastique.
De quelle manière l’IoT va-t-il évoluer chez vous ?
Nous avons déjà des capteurs sur nos semi-remorques et nos containers. Mais nous cherchons à installer maintenant des capteurs peu consommateurs d’énergie et d’une grande durabilité, pour ne pas avoir à les remplacer tous les six mois. Surtout, nous avons basculé depuis cinq ans sur une architecture évènementielle en temps réel. Les machines de tri pilotent en temps réel la lecture d’une enveloppe et la redirigent. Les centres de calcul qui permettaient cela étaient auparavant dans le centre de tri. Maintenant, comme nous avons une architecture en temps réel au niveau central et non plus local, nous pouvons articuler le monde industriel au pilotage de la supply chain de niveau global.
L’avenir de l’IoT peut être lié à la blockchain avec des informations remontées par les capteurs IoT utilisés par la blockchain.
Comment l’IA rentre-t-elle en ligne de compte ?
L’IA va nous permettre d’analyser le réseau, et surtout de détecter par apprentissage quel types de nœuds se mettent en place, les anomalies de parcours, de manière à pouvoir agir avant que le problème ne se pose concrètement. Aujourd’hui, nous restons encore dans le constat : pour un retard à tel endroit, recherche de solutions pour résoudre le problème. L’IA/machine learning nous donnera les moyens d’agir pour éviter le problème.
Quelles sont les évolutions réglementaires susceptibles de transformer votre activité ?
Les ZFE (zones à faibles émissions) vont changer la donne. Les centres-villes seront de plus en plus protégés. Il faut donc trouver une relation entre une plateforme à distance et une plateforme de proximité, où seuls des camions spécialisés pourront entrer. La nature du schéma d’implantation de notre réseau logistique va évoluer. D’un réseau d’échange, nous devenons de plus en plus un réseau d’entrée dans les villes. Cela demande du stockage, de la coordination, et surtout de la mutualisation.
En quel sens la mutualisation est-elle un grand enjeu à venir pour La Poste ?
Si l’on mutualise des flux avec d’autres clients, ils voudront savoir où sont leurs marchandises. Que faire de ces données ? Est-ce un asset commun ? Est-ce uniquement notre propriété ? L’information relative à un camion en retard pourrait avoir en effet une valeur pour le régulateur de la circulation autour de la ville de Bordeaux, par exemple. Mais inversement, savoir l’état du trafic et de la congestion, disposer des données des capteurs de la ville, pourrait nous intéresser aussi pour planifier nos tournées. Il nous faudrait donc une plateforme de médiation pour échanger ces données entre nous, les croiser, les identifier.
Le but est de capitaliser sur les données des IoT pour en tirer de multiples usages. Cet enjeu va devenir crucial à mesure que la circulation dans les villes deviendra plus contraignante. On peut imaginer que les entrées de ville soient régulées par des horaires, ou que les places de livraison soient réservées à l’avance. Il nous faudra donc être très précis dans la connaissance de nos flux et de la géolocalisation, et nous organiser collectivement entre livreurs. Nous pensons que l’évolution vers un Internet physique sera un facteur important de mutualisation pour alimenter ces ZFE.
Pour en savoir plus : https://pathway.com/