Dickran Indjoudjian (X41) chercheur et banquier d’affaires
Décédé le 1er janvier 2023, Dickran Indjoudjian a eu une double carrière de chercheur puis de banquier, qui l’amena à jouer un rôle éminent dans la modernisation de notre pays.
Né à Paris le 28 janvier 1920, Dickran Indjoudjian est issu d’une famille arménienne venue s’installer en France pour fuir le génocide. À sa sortie de l’X, les lois de Vichy ne lui permettent pas d’entrer dans un corps car son père n’était pas né en France et il choisit de travailler comme mineur de fond pour ne pas aller en Allemagne. À la Libération, les portes des corps lui sont ouvertes et il choisit les Télécommunications, considérant ce secteur comme promis à un brillant avenir. Après les deux ans d’école d’application, il entre dans un service de recherche des PTT qui allait absorber le Cnet (Centre national d’études des télécommunications). Il y participe à la création ex nihilo d’un réseau moderne de télécommunications, en particulier de téléphonie à grande distance, avec les premiers câbles coaxiaux. Ceux-ci étaient, à l’époque, le moyen moderne de transmission et le Cnet essayait de ne pas être totalement tributaire des Américains. Appelé au cabinet du ministre des PTT, il est conseiller de Roger Duchet de 1951 à 1953 , puis retourne au Cnet où il a l’occasion de donner des cours à l’ENST (École nationale supérieure des télécommunications).
Du public au privé
Au printemps 1957, Dickran Indjoudjian entre chez Paribas comme fondé de pouvoir à la direction industrielle où il travaillera jusqu’en 1992, à 72 ans révolus, d’abord comme fondé de pouvoir puis comme sous-directeur et directeur. Il se trouve au cœur des grandes aventures industrielles de l’époque dans le secteur des télécommunications, du nucléaire, de l’informatique – en particulier le rapprochement Bull-General Electric –, de l’assurance et des services, en particulier avec la création de la SEMA (Société d’économie et de mathématiques appliquées). C’est là que je l’ai connu. C’était un homme à l’esprit fertile, sachant tourner autour d’un problème avec la subtilité nécessaire pour en faire ressortir toutes les nuances. On entrait chez lui pour prendre une décision sur un problème qui paraissait simple et l’on découvrait chemin faisant les innombrables possibilités – et traquenards – que l’on n’avait pas entrevus. Bref, le passage dans son bureau était toujours très enrichissant. Je me souviens d’une discussion sur la typologie des concessions autoroutières dans lesquelles l’État déléguait à diverses sociétés privées le soin de définir la structure des accords envisagés, valables pendant plusieurs dizaines d’années : redoutable perspective qui ouvrait la voie à de difficiles discussions, mais que soldèrent in fine des textes soigneusement élaborés, qui restent d’actualité.
Une grande curiosité d’esprit
Esprit curieux, toujours à l’affût de la dernière découverte scientifique ou sociologique, Dickran Indjoudjian a été un des artisans les plus résolus de la mise en œuvre d’internet dans les années 90, tout en prenant soin de suivre pendant des années les cours du Collège de France, s’agissant aussi bien des chaires consacrées aux mathématiques et aux sciences informatiques que de celles consacrées à l’économie des institutions. Il avait, en matière de bridge, montré aux professionnels de ce jeu que des mathématiques simples pouvaient trouver des solutions que les robots d’aujourd’hui résoudraient aisément, mais avec des algorithmes plus compliqués !
À la fin de sa longue vie, je lui rendais visite dans son bel appartement de la rue Tournefort, au centre même du Quartier latin où il se sentait chez lui, toujours accueilli par un grand sourire où se lisait la chaleur humaine qui était sa marque comme celle de son épouse. Soucieux de l’avenir de l’Arménie, il réunissait parfois autour de lui des hommes remarquables qui savaient mieux que d’autres tout ce que ce pays éternellement assiégé recelait de force cachée, d’esprit de résistance et d’intelligence.
Merci Dickran pour tout ce que tu nous as apporté. Nous ne t’oublierons pas.