Marlowe / Chevalier Noir / La syndicaliste / Empire of light / The Fabelmans
Douze essais en salles obscures : trois navets avérés (Aftersun de Charlotte Wells – 1 h 42, Les choses simples d’Éric Besnard – 1 h 35, En plein feu de Quentin Reynaud – 1 h 25) ; deux bluettes, l’une simplement distrayante (Divertimento de Marie-Castille Mention-Schaar – 1 h 50) et l’autre qui a frôlé l’absolue réussite (Mon crime de François Ozon – 1 h 42) ; deux ambitions, l’une boursouflée (La femme de Tchaïkovski de Kirill Serebrennikov – 2 h 23), l’autre presque mais pas tout à fait aboutie (Goutte d’Or de Clément Cogitore – 1 h 38)… et cinq films attachants !
Marlowe
Réalisateur : Neil Jordan – 1 h 50
Un hommage au polar, au film noir « d’avant-guerre », à Raymond Chandler, à Humphrey Bogart, à Lauren Bacall. Tout est au second degré. Tout le temps. On est convié à voir des acteurs jouer des acteurs, on repeint pour nous des vignettes, on nous concocte une intrigue volontairement embrouillée sans importance, car ce qui compte c’est l’atmosphère, les bagnoles, les lumières, les attitudes, les regards qui miment des regards d’avant, les costumes, les sons. Reproduction de luxe au point de crochet avec moyens modernes, sans se presser, sans rien omettre. Ils se sont tous glissés dans les costumes de leurs aînés, tous bien appliqués, Liam Neeson, Jessica Lange, Diane Kruger, and so on… et nous, on passe réellement un très bon moment à les regarder faire.
Chevalier noir
Réalisateur : Emad Aleebrahim-Dehkordi – 1 h 42
D’abord et tout du long le lien fraternel, puissant, tangible, résilient, de ces deux frères si dissemblables : l’aîné, dont l’existence se réduit à l’usage et au petit commerce de la drogue dans un Téhéran de gosses de riches dont il est un petit pourvoyeur déclassé, et le cadet, sportif, compétiteur d’arts martiaux, calme et rangé, recours toujours présent et qui le paiera très cher sans que se brise pour autant, trop essentielle, la fraternité. Autour d’eux, des brins familiaux désolants, mère morte, père malade, débordé, sur la touche, et oncle vautour. Et puis l’espoir quand même, la bien jolie voisine divorcée, délicatement disponible, son gamin qui s’attache, et alors oui, peut-être, un avenir. Peut-être. Du très très bon cinéma !
Empire of light
Réalisateur : Sam Mendes – 1 h 59
Formidable Olivia Colman ! Et la découverte de Micheal Ward qui lui donne une belle réplique. Le film est d’une délicatesse exceptionnelle. Toutes les nuances des difficultés psychologiques et des sentiments qui traversent cette magnifique histoire sont portées par des jeux d’acteur d’une grande subtilité. L’émotion dans ce qu’elle a de meilleur est au rendez-vous et on s’attache ou l’on réagit à tous les personnages secondaires. C’est une réussite complète qui se déploie dans une narration ample et délicate, où rien n’est oublié des problèmes de fond personnels comme du contexte sociétal en filigrane de l’intrigue principale. Une peinture humaine extrêmement émouvante, qui touche à l’universel au sein du microcosme un peu suranné d’un petit cinéma de station balnéaire traversé par la houle des espérances et des désillusions et adossé à la rédemption des images.
La syndicaliste
Réalisateur : Jean-Paul Salomé – 2 h 01
Excellent, tout à fait excellent. Parfait même d’une certaine façon. L’affaire est présentée et suivie avec une clarté, une rigueur, une précision absolues. Les acteurs sont tous très bien, Pierre Deladonchamps et Grégory Gadebois exactement à leur place et Huppert impeccable, mieux même, dans ses rigidités obligées et ses replis ambigus. À côté, autour, les seconds rôles, Christian Hecq monté sur ressorts, Yvan Attal tel qu’en lui-même on le devine et Marina Foïs toute d’intériorité peut-être inquiétante, s’imposent avec force. L’évidence du souffle qui porte le spectacle dissuade presque le commentaire tant il suffit de dire que c’est de bout en bout passionnant.
The Fabelmans
Réalisateur : Steven Spielberg – 2 h 31
Merveilleux ! Inventif, riche, varié, touchant, profond dans tous ses aspects narratifs, sa galerie de personnages, les péripéties de la découverte craintive, éblouie et menaçante du monde au long d’une enfance illuminée de chaleur et d’une adolescence douloureusement affrontée à la complexité des sentiments, à la brutalité et à la violence des autres, aux étonnements et aux impasses des attirances. Où s’impose la persistance d’une vocation juvénile qui va vers son destin au milieu des vicissitudes engendrées par les déchirements affectifs des parents.
La flèche du récit vole et se plante en plein cœur.