Dérèglement climatique le stress-test climatique, un outil de mesure et d’anticipation
Himadou Alou, Head of Public Affairs & Regulations au sein de Sequantis, revient sur les risques que pose le dérèglement climatique sur le système financier et décrypte pour nous les pistes afin de mieux anticiper et mesurer ces risques potentiels.
Quels risques représente le changement climatique pour le système financier ?
Une banque est exposée via son portefeuille de crédit (financements aux particuliers et aux entreprises). En effet, le portefeuille de trading, à court terme, peut être débouclé rapidement, contrairement aux prêts long terme portés jusqu’à maturité.
Une société d’assurance peut être exposée simultanément au travers de son actif (diminution des réserves) et son passif (augmentation des dommages), c’est-à-dire assurer un actif contre un aléa climatique (inondation, …) et investir dans des entreprises soumises au risque climatique.
Les régulateurs sont extrêmement attentifs à ces risques systémiques, et procèdent depuis 2019 à une série d’exercices pilotes pour les quantifier. Ces risques sont décomposés en deux catégories : le risque de transition et le risque physique.
Pouvez-vous détailler les risques de transition et physique ? Comment ces deux risques sont-ils liés ?
Le risque de transition est lié à la transformation de nos sociétés vers des économies décarbonées.
Cette migration vers des économies bas carbone peut avoir plusieurs origines :la mise en place de politiques de réduction des émissions de GES de la part des États (mise en place de taxes carbone, de normes…). Dans le cadre des différentes COP organisées par les Nations Unies, les États doivent s’engager sur des réductions de leurs émissions de GES ; des innovations technologiques rendant caduc certains processus de productions existants ; le changement dans les préférences des consommateurs, qui délaisseraient certains produits jugés trop nuisibles du fait de leurs empreintes carbones. Le transport aérien en est un exemple, avec le Flygskam né dans les pays scandinaves ; des procès pour non prise en compte du risque climatique.
« La relation entre le risque de transition et le risque physique est intuitive : le plus tôt nous agissons pour réduire nos émissions de GES, donc générons un risque de transition élevé, le plus nous réduisons le risque physique. »
L’actualité récente a notamment mis en lumière que les Majors pétrolières étaient au courant depuis les années 1970 de l’impact de leurs activités sur le climat.
Lutter contre le changement climatique implique donc une transition de nos sociétés vers un monde bas carbone (et plus généralement utilisant moins de pesticides, de plastiques…), et expose de larges pans de l’économie à un risque de transition.
La relation entre le risque de transition et le risque physique est intuitive : le plus tôt nous agissons pour réduire nos émissions de GES, donc générons un risque de transition élevé, le plus nous réduisons le risque physique.
Le risque physique peut être de deux natures :
- les phénomènes météorologiques soudains et violents, tels que cyclones, inondations, sécheresses, vont voir leur intensité et fréquence augmentées. On parle ici de risque aigu ;
- Le changement climatique va avoir des effets de long terme, notamment une transformation graduelle des habitats – montée de la mer, désertification, sécheresses… – rendant certaines zones inhabitables, ou impropres à la production agricole par exemple. Il s’agit du risque chronique.
Les risques physiques ne sont pas indépendants, par exemple l’effet d’une inondation est démultiplié après une sécheresse.
De quels outils disposent les entreprises pour y faire face ?
Le GIEC produit un consensus scientifique conduisant à plusieurs scénarios RCP1 – trajectoire carbone, donc hausse de la température – couplé à des scénarios SSP2 – changements socio-économiques (démographie, croissance du PIB…). Plusieurs combinaisons RCP / SSP sont possibles, toutes ne sont pas applicables.
À partir des travaux du GIEC, plusieurs travaux sont menés, notamment ceux du NGFS, regroupant 65 banques centrales. Le NGFS transforme les scénarios du GIEC en scénarios de transition et physique.
Au final les régulateurs des organismes privés construisent des modèles applicables pour quantifier les risques financiers sur ces scénarios de transition et physique.
Ces modèles sont aujourd’hui applicables, sous forme d’exercices pilotes, par les banques, les assurances et les fonds de pension. Et ces exercices peuvent mettre en lumière un très faible niveau de préparation du secteur financier à faire face à ces nouveaux risques, comme l’a montré le récent exercice mené par l’EIOPA auprès des fonds de pensions3. Cet exercice porte sur un risque de transition désordonnée, c’est-à-dire l’introduction tardive de politiques climatiques contraignantes. Il se traduit par une hausse soudaine et importante du coût du carbone, obligeant les acteurs économiques à s’adapter brutalement. Dans cet exercice, la valeur des investissements des fonds de retraites pourraient baisser de près de 13 %, soit 255 Milliards d’euros.
Mais ces outils font également sens pour les « Corporates » qui souhaitent comprendre les impacts, et mesurer les changements ou transformations de business model qui s’imposent à eux, ainsi que les risques physiques liés à leurs implantations.
1 Representative Concentration Pathways
2 Shared Socia-economic pathways
3 https://www.eiopa.europa.eu/sites/default/files/financial_stability/occupational_pensions_stress_test/2022/report_-_iorp_stress_test_2022.pdf
Changement climatique, limites planétaires et impacts sur les entreprises
Il existe un fort consensus scientifique pour imputer le changement climatique à l’activité humaine. Ce changement trouve son origine dans la concentration de Gaz à Effet de Serre (GES) dans l’atmosphère. Dans son dernier rapport, le GIEC a estimé à 300 giga tonnes équivalent CO2 le budget carbone disponible si nous voulons limiter la hausse des températures à 1.5°. Sachant que nous émettons environ 36 giga tonnes par an, il nous reste moins de 10 ans pour agir et atteindre les objectifs de l’accord de Paris.
Le risque climatique fait partie des limites planétaires dépassées, au même titre que la biodiversité, les engrais azotés et phosphatés, les microplastiques,… D’ailleurs le risque climatique n’est pas le plus important selon les scientifiques.
Les entreprises peuvent agir sur deux axes différents, l’adaptation et l’atténuation.
L’adaptation consiste à se préparer aux conséquences du changement climatique, par exemple déménager une usine située dans une zone soumise au risque de submersion marine. L’adaptation est une forme de réponse au risque physique.
L’atténuation consiste à agir pour réduire ses émissions de GES – spontanément, ou sous la contrainte des autorités publiques. Pour les entreprises à forte émission, l’atténuation est synonyme de transformation de leur business model (optimisation des processus, augmentation de l’efficacité énergétique, …), voire dans un cas extrême, un abandon de plusieurs activités.
Quant au système financier, il est soumis à un risque d’instabilité – détenir des produits dont la valeur peut fortement baisser, voire tendre vers zéro (stranded asset). Ce risque est systémique pour le système financier, particulièrement pour les banques et les assurances.