Le Grand Paris Express : le plus grand projet d’infrastructure en Europe
Quatre nouvelles lignes, 200 kilomètres de nouveau métro, 68 nouvelles gares et autant d’ouvrages annexes sont les principales composantes du Grand Paris, un projet hors norme, qui repense le transport dans les territoires de l’Île-de-France et contribue au réaménagement de la région. Bernard Cathelain (X80), membre du directoire de la Société du Grand Paris, revient pour nous sur ce projet, ses caractéristiques et son potentiel, notamment économique, dans cet interview.
Pouvez-vous nous rappeler le contexte autour du projet du Grand Paris et les ambitions de ce projet dont l’envergure reste inégalée à une échelle mondiale ?
Pour comprendre le contexte dans lequel s’inscrit ce projet ambitieux, il faut remonter aux émeutes urbaines qui ont éclatées dans les banlieues de l’Île-de-France en 2005. Ces événements ont permis de mettre en évidence des inégalités, des fractures et des déséquilibres qui existent au sein de la région Île-de-France, entre les territoires situés à l’est et à l’ouest de la région. Au cœur de ces problématiques, on retrouve notamment la question du transport et le fait que les différents pôles de la région étaient très mal reliés entre eux.
Les constats et les réflexions qui en ont résulté ont mené à la mise en place d’un Secrétariat d’État au Grand Paris, en 2007. L’idée était alors de réfléchir aux moyens et aux projets à déployer pour, en quelque sorte, rééquilibrer ce déséquilibre et faire du concept du Grand Paris une réalité, à savoir une métropole mieux équilibrée et plus attractive.
Au-delà, l’enjeu était aussi de repenser le transport dans ces territoires afin que les déplacements ne se fassent plus via des lignes radiales et afin d’éviter aux Franciliens de prendre leur voiture pour aller d’une banlieue à une autre.
Le 3 juin 2010 a ainsi été votée la loi qui pose les principes de ce projet et structure la construction du Grand Paris Express. Dès le départ, il y a une volonté forte de l’État de mettre en place un cadre clair et lisible nécessaire à la bonne conduite de ce projet.
En 2010, nous sommes donc partis d’une feuille blanche. Entre 2010 et 2011 se sont tenus les premières concertations et un grand débat public. Fin 2011, le schéma d’ensemble du projet a été approuvé. Ce dernier fixe le périmètre d’action de la Société du Grand Paris et définit les nouvelles lignes et gares du Grand Paris Express.
Sur le plan du transport, quels sont les grands changements et évolutions apportés par le projet du Grand Paris Express ?
Le Grand Paris Express prévoit la construction d’un nouveau réseau de 200 kilomètres de lignes. À titre comparatif, le métro parisien historique mesure un peu plus de 200 kilomètres.
Ce projet va donc venir doubler la longueur du métro parisien actuel. Il prévoit de prolonger la ligne 14 au sud, jusqu’à l’aéroport d’Orly, et au nord, jusqu’à Saint-Denis Pleyel, de créer 4 nouvelles lignes qui ont la particularité d’être toutes situées hors de Paris et d’assurer la connexion entre les différentes lignes de la métropole hors de Paris, les aéroports, les sites scientifiques, les grands pôles de santé comme l’Institut Gustave Roussy, les pôles économiques comme la Défense… ; et de créer 68 nouvelles gares, dont 80 % seront des gares de correspondance avec le réseau existant. Ce maillage renforcé du territoire va, in fine, permettre de se déplacer d’un point à l’autre de la métropole sans nécessairement avoir à passer par Paris.
« Le Grand Paris Express prévoit la construction d’un nouveau réseau de 200 kilomètres de lignes. »
Le nouveau métro est à 100 % automatique. Il est aussi plus rapide avec une vitesse commerciale de l’ordre de 50 km/h et jusqu’à 110 km/h en pointe, contre une moyenne de 20 km/h sur le réseau existant.
Enfin, c’est aussi un réseau qui est à plus de 90 % souterrains ce qui représente un enjeu technique de grande envergure.
Qu’en est-il en termes d’aménagement du territoire ?
L’objectif du Grand Paris Express est d’assurer une meilleure connexion et desserte entre l’ensemble des pôles afin d’équilibrer les territoires et d’offrir de nouvelles opportunités de développement.
Prenons un exemple. Dans un rayon de 45 minutes en transport autour du secteur de Clichy- Montfermeil, on estime à 300 000 le nombre d’emplois potentiels aujourd’hui. Demain, avec les possibilités en termes de mobilité que le Grand Paris Express va apporter à terme, ce chiffre va être multiplié par 10. Cette dynamique est aussi vraie en matière d’éducation et de santé et va rendre plus facile l’accès aux écoles, aux universités, à la culture et aux centres de soin. Ces liaisons qui seront largement facilitées par le nouveau réseau vont complètement changer la perspective et la vie des populations.
« L’objectif du Grand Paris Express est d’assurer une meilleure connexion et desserte entre l’ensemble des pôles afin d’équilibrer les territoires et d’offrir de nouvelles opportunités de développement. »
En parallèle, la mise en place des nouvelles gares ouvre des perspectives de transformation urbaine. Nous avons ainsi mené des études pour comprendre la dynamique et l’activité autour des gares dans un rayon de 800 mètres, soit environ 10 minutes à pied. Le potentiel d’aménagement autour de ces gares est considérable alors que l’Apur, l’Atelier parisien d’urbanisme, a évalué à 32 millions de mètres carrés les espaces à transformer. Cela va permettre de repenser la ville et l’urbanisation, de combattre les logiques d’étalement urbain et de privilégier une démarche de densification avec des réaménagements axés, entre autres, sur la notion de proximité.
Il est évident que le Grand Paris est bien plus qu’un projet de transport, c’est aussi un projet qui a vocation à favoriser le développement urbain autour des gares, l’intermodalité et les mobilités douces. C’est une invitation à penser autrement la ville de demain.
Quel est l’impact du projet en termes de développement économique et d’emploi ?
Les études réalisées dans le cadre de la mise en service du réseau permettent d’envisager un fort développement, qui est directement lié aux nouvelles perspectives offertes par le métro. D’ailleurs, l’impact économique est d’ores et déjà mesurable. Les différents projets du Grand Paris ont créé un nombre important d’emplois.
Depuis le lancement du projet, c’est plus de 5 000 entreprises françaises, dont 3 000 sociétés franciliennes, notamment des PME et des TPE, qui ont été mobilisées sur les différents chantiers et opérations. Nous accordons une attention particulière à la question de l’insertion économique : nos contrats incluent des clauses qui demandent aux entreprises que 10 % des salariés soient des personnes en insertion. À l’heure actuelle, plus de 4 millions d’heures d’insertion ont été réalisées et ce chiffre va continuer à augmenter.
Le projet a remis en avant les travaux souterrains, les tunnels et les grandes infrastructures. Qu’en est-il concrètement ?
Le projet du Grand Paris renvoie, en effet, aux grands projets historiques d’infrastructures et d’aménagement de la capitale. Toutefois, nous sommes sur des échelles et des dimensions techniques qui sont très différentes de celles relatives à la construction du métro historique, notamment au niveau des travaux souterrains et des tunnels étant donné que 90 % des lignes sont souterraines.
Pour ces travaux, nous utilisons des tunneliers, des outils extrêmement sophistiqués, qui font une centaine de mètres de long et qui permettent de creuser des tunnels avec un diamètre de plusieurs dizaines de mètres. Au pic des creusements en 2020 et 2021, nous avons eu jusqu’à une vingtaine de tunnelier en action de manière simultanée pour les besoins du projet, c’était inédit en France. À la fin des travaux, une trentaine de tunneliers aura été mobilisée pour réaliser l’ensemble des tunnels.
« Le projet du Grand Paris renvoie, en effet, aux grands projets historiques d’infrastructures et d’aménagement de la capitale. »
De nombreuses gares se situent à très grande profondeur, je pense notamment à deux gares de la ligne 15 sud : la gare de Villejuif Institut Gustave-Roussy et celle de la gare de Saint-Maur-Créteil qui dont les quais seront situés à plus de 50 mètres de profondeur. A titre de comparaison, la gare la plus profonde du réseau de métro actuel est située à une trentaine de mètres de profondeur. Enfin, ces travaux souterrains impliquent aussi un enjeu technique colossal en termes de gestion des déblais : nous avons, en effet, 47 millions de tonnes de déblais à évacuer.
Le projet est aussi une illustration concrète de la capacité d’ingénierie publique française…
Très peu d’entreprises étrangères interviennent sur le projet. Ce projet hors du commun est porté par l’excellence de notre ingénierie, de notre génie civil, mais aussi les savoir-faire et les expertises de nos entreprises de toute taille.
Pour ces dernières, au-delà du caractère emblématique de ces chantiers, le Grand Paris Express est aussi une opportunité pour se perfectionner, innover et tester de nouvelles techniques et modalités de réalisation. C’est véritablement une chance à saisir pour progresser et se développer.
Quels sont les projets qui ont été réalisés jusqu’à ce jour ? Qu’en est-il de l’état d’avancement ?
À l’heure actuelle, nous avons réalisé 85 kilomètres de tunnels. Plus de la moitié des tunnels ont également été réalisés. Sur l’ensemble du territoire francilien, 180 chantiers sont en activité afin de réaliser les tunnels et les gares, ainsi que tous les ouvrages annexes dédiés notamment à la ventilation, à l’évacuation… Cela représente 7 200 personnes qui travaillent directement sur les chantiers. Ces chiffres vont augmenter, car nous en sommes encore majoritairement aux phases de génie civil et les phases suivantes, d’aménagement et d’équipement, devraient mobiliser encore d’avantage de personnes sur les chantiers.
Dans le détail, l’ouverture des prolongements nord et sud de la ligne 14 est prévue pour les Jeux Olympiques et paralympiques de Paris 2024. Le génie civil est bien avancé et la finalisation de la gare de Saint-Denis Pleyel est prévue pour la fin de l’année.
Au niveau de la ligne 15, le génie civil de la section sud entre Pont de Sèvres et Noisy-Champs est terminé. La pose des rails et des systèmes ferroviaires a commencé sur l’ensemble de la ligne. Les essais devraient commencer pour ce tronçon dès l’automne. Les sections Est et Ouest de la ligne font l’objet d’une procédure d’appel d’offre dites de conception-réalisation. Les premiers marchés devraient être notifiés cet été pour un démarrage des travaux de génie civil à partir de 2024 et une perspective de mise en service après 2030.
« À l’heure actuelle, nous avons réalisé 85 kilomètres de tunnels. »
Sur la ligne 16, qui couvre la partie nord et est de la Seine-Saint-Denis, le tunnel entre Saint-Denis Pleyel et Clichy-Montfermeil sera achevé d’ici la fin de l’année. La pose des voies et les travaux d’aménagement des différentes gares ont été engagés. L’ouverture de la ligne Saint-Denis Pleyel et Clichy-Montfermeil est prévue pour 2026 avec un achèvement complet de la ligne jusqu’à Noisy-Champs en 2028.
Pour la ligne 17 qui se dirige vers l’aéroport de Roissy et qui dessert au passage l’aéroport du Bourget et le Parc des expositions, les travaux sont en cours dans la partie sud, avec un premier tunnel qui a été creusé ce qui devrait permettre d’ouvrir la ligne jusqu’à l’aéroport du Bourget d’ici la fin 2026. Nous avons engagé cette année les travaux préparatoires de la partie aérienne pour aller jusqu’au Parc des expositions. Le dernier marché, qui permettra d’aller jusqu’à l’aéroport de Roissy et le Mesnil-Amelot, sera attribué d’ici la fin de cette année.
Enfin, sur la ligne 18 qui va relier Versailles à l’aéroport d’Orly en passant par le plateau de Saclay, les tunnels sont en cours de creusement. La partie aérienne est bien avancée et sera achevée d’ici la fin de l’année. La mise en service de la ligne va s’échelonner entre 2026, pour le premier tronçon, et 2030, date à laquelle elle sera totalement achevée.
Comment avez-vous intégré la dimension environnementale et l’urgence climatique dans le cadre du projet ?
En tant que projet de transport en commun, le Grand Paris Express est un projet, par sa nature même, qui contribue la transition écologique du pays. En effet, d’une part il va contribuer au report modal qui réduira le nombre voiture individuelle en circulation et donc les embouteillages qui sont fortement générateur de pollution de l’air, et d’autre part, la construction en rocade va permettre de limiter l’étalement urbain et permettre un développement d’une métropole mieux équilibrée et plus durable.
Bien sûr les métro en eux-mêmes répondront à des exigences environnementales fortes avec ce qu’il se fait de mieux aujourd’hui en terme de matériel roulant pour limiter la consommation énergétique, les métro utiliseront notamment un système de récupération d’énergie au freinage. Cependant, nous avons souhaité que, dès la phase de travaux, l’impact environnemental du projet soit limité. Nous considérons également qu’un grand projet comme le Grand Paris Express est une formidable opportunité pour faire bouger les lignes et expérimenter de nouvelles techniques qui pourront profiter à d’autres maîtres d’ouvrage.
« En tant que projet de transport en commun, le Grand Paris Express est un projet, par sa nature même, qui contribue la transition écologique du pays. »
Ainsi, nous avons calculé que la réalisation du projet générerait 4,4 millions de tonnes de CO2. Nous nous sommes fixé l’objectif de les réduire de 25 % en explorant plusieurs pistes innovantes. Cela passe par l’utilisation de matériaux moins émissifs en CO2. Par exemple, pour les voussoirs des tunnels, qui sont traditionnellement réalisés avec du béton armé et des armatures de métal, nous avons remplacé le métal par des fibres métalliques qui offrent une résistance comparable et qui permettent de diviser par 2 le volume d’acier utilisé et, donc, de réduire directement les émissions de CO2.
Nous avons généralisé le recours au béton bas carbone et avons même testé, sur la ligne 18, les bétons ultra bas carbone, qui permettent de diviser par 4 les émissions de CO2 par rapport au béton traditionnel. Ces innovations se font de concert avec les entreprises de travaux. L’idée avec cette expérimentation est aussi de voir comment capitaliser sur cette expérience au service de futurs chantiers.
» Nous nous sommes fixé l’objectif de revaloriser 70 % des déblais du projet. »
La gestion et l’évacuation des déblais représentent un autre défi majeur sur le plan environnemental. On a mis en place tout un dispositif pour évacuer ces 47 millions de tonnes. Nous les caractérisons afin de les envoyer vers les sites les plus appropriés. On a, d’ailleurs, développé une méthode unique en Europe qui nous permet de suivre les déblais et de nous assurer qu’ils sont bien envoyés sur le bon site. Pour les transporter, nous favorisons des modes alternatifs : le ferroviaire et le fluvial, qui se prête particulièrement bien à cet exercice.
Plus de 15 % des déblais ont ainsi pu être évacués via ces deux modes de transport. Enfin, nous avons aussi travaillé sur la valorisation de ces déblais. Ils sont notamment utilisés pour de l’aménagement paysager ou produire des éco-matériaux destinées au monde de la construction. Et ils sont aussi utilisés pour transformer des anciennes carrières en parc urbain, comme le parc du Sempin à proximité de Chelles. Nous nous sommes fixé l’objectif de revaloriser 70 % des déblais du projet.
À terme, quels seront les bénéfices de ce projet à terme pour les Franciliens ?
Les bénéfices sont en phase avec l’ambition initiale du projet : une meilleure desserte des territoires, le désenclavement des territoires, la lutte contre l’étalement urbain et le développement du report modal de la voiture particulière vers les transports en commun. Au-delà, le Grand Paris Express offre aussi de nouvelles perspectives à l’ensemble des populations en termes d’accès à la culture, à la santé, à l’éducation et à l’emploi.
Et pour conclure ?
Pour réaliser ce projet, l’État a mis en place une société spécifique, la Société du Grand Paris, pour en assurer la maîtrise d’ouvrage. Aujourd’hui, plus d’un millier de personnes travaille dans cette entreprise qui a rassemblé toutes les compétences nécessaires à ce projet hors du commun.
Partie d’une feuille blanche en 2010 et avec comme échéance 2030, la Société du Grand Paris, malgré les contraintes et les problèmes techniques, s’est organisée au fil du temps et a mis en place une dynamique d’échanges avec les territoires concernés qui sont, par ailleurs, une partie prenante de la construction du projet. C’est la combinaison de toutes ces dimensions qui a permis la réussite de ce projet hors norme et inégalée à une échelle mondiale.