La biodiversité, indispensable à l’existence humaine et à la qualité de vie
La croissance économique dans nos sociétés a été fondée sur une exploitation toujours plus intense de la nature, avec des effets délétères sur la biodiversité. Or la réduction de la biodiversité a en retour des effets négatifs sur l’homme et sur l’économie. Il faut d’abord mesurer les services rendus par la biodiversité, puis intégrer cette mesure dans l’évaluation des politiques publiques et les décisions économiques. Mais au-delà il faut changer notre relation à la nature si nous voulons survivre dans notre humanité.
Les sociétés humaines dépendent de la nature pour des activités essentielles comme se nourrir, se loger, respirer, se soigner ou se divertir. Pourtant, les décisions politiques ou économiques négligent encore trop souvent les multiples services que nous rendent les écosystèmes, ce qui contribue à l’érosion de la biodiversité.
Mesurer la valeur de la biodiversité
Mieux comprendre les multiples valeurs de la biodiversité reste cependant un défi. Au niveau international, l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services – Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques en français, l’équivalent du GIEC en matière de biodiversité) a travaillé à la conceptualisation des valeurs de la nature et des services écosystémiques. En France, le programme Efese (évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques), piloté par le Commissariat général au développement durable, a pour objectif d’éclairer les multiples valeurs de la biodiversité pour les intégrer dans les décisions publiques et privées.
Une croissance fondée sur l’exploitation de la nature
La croissance démographique ainsi que le développement économique ont conduit à une augmentation sans précédent de la demande pour les biens issus des écosystèmes, notamment ceux issus du prélèvement d’espèces sauvages (pêche maritime par exemple) ou domestiques (agriculture, élevage). Depuis 1970, la production a augmenté dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche, des bioénergies et des industries extractives, comme le montre le graphique ci-dessous.
La valeur économique issue de cette exploitation directe des écosystèmes par l’homme est significative, tout particulièrement en France. Par exemple, la valeur marchande des captures issues de la pêche maritime française dépasse le milliard d’euros par an (Efese, 2018). De la même manière, le bois récolté dans les forêts françaises de métropole représente une valeur de près de 3 milliards d’euros par an (Efese, 2020).
Le cas de la production agricole
Environ 50 % de la production agricole végétale totale serait imputable à des services rendus par les écosystèmes des milieux agricoles : les micro-organismes et les animaux vivant dans les sols contribuent à la structuration de ces derniers et à la fourniture d’éléments nutritifs aux plantes cultivées, influent aussi sur la capacité des sols à stocker l’eau et à la restituer aux végétaux. Les oiseaux et les insectes qui vivent dans les parcelles cultivées régulent les populations de ravageurs. Les insectes pollinisateurs, quant à eux, sont indispensables à certaines cultures (fruitiers, légumes, oléagineux…) : à lui seul, le service de pollinisation des cultures présentait une valeur comprise entre 5 % et 12 % de la valeur totale des productions végétales destinées à l’alimentation humaine française (Efese, 2016). Au total, la valeur de la contribution des écosystèmes à la production agricole française atteint de l’ordre de 10 milliards d’euros par an (Efese, 2017).
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Des menaces sur la biodiversité
Cette augmentation de la production s’accompagne néanmoins de nombreuses menaces pour la biodiversité, au premier rang desquelles l’artificialisation, la surexploitation des écosystèmes et la pollution. Ces menaces mettent en péril la capacité des écosystèmes à répondre à la demande des populations humaines. Par exemple, la capacité de pêche en Europe est deux à trois fois supérieure à la quantité de poissons disponibles (Efese, 2018). Elles compromettent également la capacité des écosystèmes à fournir des services de régulation (régulation du climat, de l’eau, lutte contre les incendies ou l’érosion, etc.) et des services culturels, pourtant essentiels à notre bien-être.
Des menaces sur les services écosystémiques
On estime par exemple qu’environ la moitié des zones humides françaises a disparu entre 1960 et 1990 (Efese, 2018), en grande partie du fait de l’urbanisation et du développement de l’agriculture. Cette dégradation s’accompagne inévitablement d’un déclin des nombreuses fonctions assurées par ces écosystèmes. Ils agissent comme des éponges, qui jouent un rôle de tampon lors des inondations et relarguent l’eau en période de sécheresse. Ils jouent un rôle de filtration de l’eau et permettent des économies sur le traitement de l’eau potable de l’ordre de 2 000 €/ha.an.
La forêt française, qui constitue un puits de CO2 essentiel représentant près du quart des émissions annuelles françaises (Efese, 2018), est menacée par les sécheresses et les scolytes (coléoptère creusant sous l’écorce des arbres des systèmes de galeries maternelles et larvaires caractéristiques de l’espèce), alors même que la stratégie nationale bas carbone prévoit un doublement du puits de carbone d’ici à 2050. Le service de séquestration de carbone dans les écosystèmes est estimé à 1 500 euros par hectare dans les forêts métropolitaines (Efese, 2019). Les services de régulation du climat global de rafraîchissement urbain présentent une nette baisse en Île-de-France entre 1982 et 2017 (voir la figure ci-dessus).
La multiplication des épidémies
L’érosion de la biodiversité est également associée à une moindre régulation des pathogènes (CGDD, 2021). En effet, les pressions associées aux activités humaines (urbanisation, activités extractives, déforestation, etc.) entraînent une perturbation de la biodiversité par destruction de ses habitats naturels.
Le renforcement des contacts entre les humains, les animaux domestiques ou d’élevage et la faune sauvage qui en découle favorise le franchissement de la barrière des espèces par les agents pathogènes et contribue ainsi à la nette augmentation du nombre d’épidémies d’origine zoonotique observée ces dernières décennies : ainsi, alors qu’avant le XXe siècle le monde vivait une pandémie par siècle environ, depuis le début du XXIe siècle six émergences épidémiques de grande ampleur se sont déjà produites (SRAS, grippe A H1N1, MERS-CoV, Zika, Ebola et Covid-19).
Les zoonoses représentent 60 % de toutes les maladies infectieuses et 75 % des maladies infectieuses émergentes. Le coût de l’inaction, c’est-à-dire le coût des pandémies, est estimé par l’IPBES comme 100 fois supérieur aux coûts de la prévention amont, à la source, des risques d’émergence, qui passe par la protection des écosystèmes, la restauration et la préservation de la biodiversité des habitats et des espèces.
Les services culturels rendus
Enfin les écosystèmes servent à des usages de loisirs, avec ou sans prélèvement, ou à éduquer ou produire des connaissances (services « culturels »). Une évaluation monétaire des services culturels associés à la récréation dans les forêts métropolitaines a fourni une valeur des usages récréatifs non marchands des forêts métropolitaines située entre 13 à 45 milliards d’euros par an, ce qui est plus de quatre fois supérieur au chiffre d’affaires total de la vente de bois.
La biodiversité comme patrimoine
La valeur que nous accordons à la nature ne dépend pas uniquement de l’usage que nous en faisons. Par exemple, des espèces charismatiques comme le hérisson contribuent certes au fonctionnement de certains écosystèmes, mais ce n’est probablement pas ce qui motive les efforts de conservation de cette espèce. De la même manière, une forêt que nous arpentions enfant ou qui est représentée dans des peintures célèbres possède une valeur dite « patrimoniale », ou « relationnelle ».
Mieux intégrer les valeurs de la biodiversité dans la prise de décision
L’IPBES estime que moins de 5 % des évaluations publiées rapportent une intégration des valeurs obtenues dans les décisions politiques. Ce faible pourcentage s’explique par le fait que ces évaluations ne sont souvent pas associées à un processus d’élaboration d’une politique publique ou que les parties prenantes n’ont pas été suffisamment impliquées dans l’évaluation. Les valeurs monétaires de la nature en particulier sont peu prises en compte dans les processus de décision. Par exemple, l’ensemble des grands projets d’investissement public sont soumis à une évaluation socio-économique obligatoire, permettant de soupeser les coûts et les bénéfices à long terme de ces projets (France Stratégie, 2017).
“Assurer la pleine intégration de la biodiversité et de ses multiples valeurs dans les politiques.”
Les coûts associés intègrent les effets du projet sur la santé (valeur statistique de la vie humaine, coût des nuisances sonores, etc.) ou sur le climat (valeur du carbone). Ces projets, qui peuvent être des projets d’infrastructure mobilisant des surfaces importantes, présentent souvent un impact résiduel non négligeable sur la biodiversité. Il serait envisageable d’intégrer à ces calculs socio-économiques des valeurs de référence de certains services écosystémiques, comme la séquestration de carbone dans les écosystèmes ou les services récréatifs en forêt.
Changer la relation à la nature
Pour répondre à cette problématique, le nouveau cadre mondial pour la biodiversité, adopté en décembre 2022 lors de la COP15 de la Convention sur la diversité biologique, prévoit d’« assurer la pleine intégration de la biodiversité et de ses multiples valeurs dans les politiques, les régulations, les processus de planification et de développement (…) à tous les niveaux de gouvernement et à travers tous les secteurs (…) ». Ce n’est cependant pas suffisant. En effet, un changement profond de notre relation à la nature, fondé sur un renforcement des valeurs patrimoniales de la nature, est nécessaire afin de surmonter la crise de la biodiversité et ainsi vivre en harmonie avec cette nature (IPBES, 2022).
Bibliographie
- CGDD (2011). Évaluation économique des services rendus par les zones humides : enseignements méthodologiques de monétarisation.
- CGDD (2020). Quelle évolution des sites humides emblématiques entre 2010 et 2020 ?
- CGDD (2021). Atteintes aux écosystèmes et à la biodiversité : quels liens avec l’émergence de maladies infectieuses zoonotiques ?
- Commission européenne (2022). Proposition de règlement modifiant le règlement (UE) n° 691⁄2011 en ce qui concerne l’introduction de nouveaux modules relatifs aux comptes économiques de l’environnement.
- Convention pour la diversité biologique (2022). Kunming-Montreal Global Biodiversity Framework.
- Efese (2016). Le service de pollinisation.
- Efese (2017). L’évaluation des services rendus par les écosystèmes agricoles.
- Efese (2018). Les milieux marins et littoraux français.
- Efese (2018). Les milieux humides et aquatiques continentaux.
- Efese (2020). Les usages récréatifs des forêts métropolitaines.
- Efese (2020). Rapport de première phase de l’Efese.
- Efese (2021). Prise en compte des services écosystémiques dans les décisions d’aménagement urbain.
- Efese (2022). Les ongulés sauvages de France métropolitaine.
- France Stratégie (2017). Guide de l’évaluation socioéconomique des investissements publics.
- IPBES (2022). Methodological assessment regarding the diverse conceptualization of multiple values of nature and its benefits, including biodiversity and ecosystem functions and services.
- Nations unies (2022). Implementation Strategy for the System of Environmental-Economic Accounting – Ecosystem Accounting.
- IPBES (2020). Échapper à l’« ère des pandémies » : les experts mettent en garde contre de pires crises à venir ; options proposées pour réduire les risques.