Crise climatique et agences de l’eau
Sonnerie d’alerte d’un Ancien saisi par la conscience de l’urgence du problème de l’eau en France, dans le cadre du changement climatique. Les agences de l’eau sont une création administrative très pertinente pour assurer une politique publique à l’échelon régional. Mais sont-elles dimensionnées pour faire face à l’ampleur du problème ? Une action nationale et même internationale est indispensable. Voilà qui apporte de l’eau au moulin écologiste, qui risque d’en manquer !
Ce qui suit est une froide réflexion sur un sujet en fait brûlant : comment nous, braves citoyens X, pourrions valoriser l’outil que possède la France pour gérer ce bien commun, essentiel et prioritaire entre tous qu’est l’eau ? Les agences de bassin, encore dites agences de l’eau. Eau super-prioritaire. Sans eau disponible et maîtrisée, pas d’agriculture ni d’industrie, et finalement pas de vie tout court. On parle d’économies et de nouvelles sources d’énergie. Il est urgent de décarboner ladite énergie. Mais manquer d’eau est bien plus mortel. La France n’a pas été capable d’afficher un plan national d’urgence, tableau de bord à la de Gaulle, non autoritaire, mais tableau combien nécessaire maintenant !
Des agences de l’eau
Les agences de l’eau en métropole sont au nombre de six : Seine-Normandie (SN), Loire-Bretagne (LB), Adour-Garonne (AG), Rhône-Méditerranée-Corse (RMC), Rhin-Meuse (RM) et Artois-Picardie (AP). Leurs noms décrivent bien leurs domaines, bassins versants de petits fleuves côtiers ou de grands fleuves, et un peu moins bien les eaux souterraines et encore les eaux marines côtières. Dans les DROM-COM, si riches en biodiversité, regrettons l’absence d’agences de coordination entre la politique de l’eau et celle de la biodiversité. Les ressources des agences viennent des principes « consommateur-payeur » et « pollueur-payeur », de grande solidarité républicaine. En retour, les fonds collectés sont attribués à des projets de création de ressources en eau ou de restauration de ressources compromises, voire de simple conservation. Au cœur du mécanisme de taxation, puis de subventions de projets, voire de partage de l’eau, figure pour chaque agence un comité de bassin, organe essentiellement politique où siègent toutes les parties concernées, collectivités, agricultures, industries, administrations, etc., toutes assoiffées mais proches de leurs sous. Les experts techniques et financiers des agences arbitrent des intérêts très opposés.
Les projets soutenus par ces agences résultent le plus souvent d’appels à projets lancés par chacune. Cela induit une régionalisation, bénéfique vu la diversité des problèmes locaux et la plus grande souplesse des solidarités régionales. Il arrive par exemple que l’aval soit sollicité pour aider un pollueur amont à s’équiper pour corriger ses méfaits. Mais cette régionalisation et son risque de saupoudrage peuvent être peu compatibles avec la prise en compte de problèmes globaux à l’échelle nationale, voire internationale. Heureusement, récemment, les agences métropolitaines ont lancé des appels d’offres communs. Et au moins RM a évidemment une sensibilité internationale.
Les agences de l’eau sont-elles de taille ?
Cet outil d’agences est-il bien employé ? Est-il de taille à affronter la crise climatique ? On peut en débattre. Voici, selon l’internet, les objectifs prioritaires nationaux : « – Gérer et partager les ressources en eau – Restaurer les milieux aquatiques, leur fonctionnement naturel et la biodiversité – Garantir le bon état des eaux en réduisant les pollutions de toutes origines et par temps de pluie – Agir pour préserver et restaurer la qualité et les habitats naturels des eaux côtières. Un enjeu fort : pour anticiper les conséquences du changement climatique, les agences se sont dotées d’un plan d’adaptation et y consacrent déjà plus de 40 % de leurs aides de 2019 à 2024. »
On voit vite (cf. encadré) que les agences rencontreraient des difficultés à envisager les travaux, aqueducs transrégionaux par exemple, que peut exiger la crise. Sachant que le chiffre d’affaires annuel de Veolia Eau + Déchets en France en 2020 est de l’ordre de 5 milliards, une si grande entreprise aurait un peu moins de mal à préfinancer une fraction de tels travaux, mais il est certain que de succulents marchés en urgence nationale la motiveraient, ainsi que ses consœurs et concurrentes françaises en eau et en BTP. La France, chanceuse, possède des pilotes mondiaux, Veolia déjà cité, Suez, Bouygues, Eiffage, Vinci, etc.
Ce n’est pas seulement l’argent qui manque, mais le temps. La durée des grands chantiers, entre conception et mise en service, peut dépasser la dizaine d’années, à cause des erreurs de conception, procès, malfaçons, voire sabotages. Si le menu des sécheresses, inondations, tornades et incendies que promet le GIEC s’installe vite, les actuels programmes d’action même après « plans d’adaptation » ne révèlent pas l’ambition nécessaire. Ce qui manque encore, c’est la coordination avec la politique énergétique. Par exemple, il y a 38 tranches nucléaires en bord de fleuves et rivières fragilisés et 18 tranches en bord de mer. Comment augmenter le nombre en bord de mer pour fournir l’énergie nécessaire au dessalement inévitable ?
La lecture des plans d’action des agences illustre bien leurs grandes compétences et leurs manques de moyens. Faute de place, je ne décris ici, trop brièvement, que deux agences. Des paragraphes dédiés aux autres sont disponibles sur demande par tout lecteur curieux.
Des moyens limités
Nos six agences affichent environ 1 600 agents et disposent en principe de 12 à 13 milliards d’euros, à partager, de ressources étalées sur six ans pour leurs 11es programmes d’action. Ça veut dire, au mieux, une pincée annuelle d’un milliard d’euros pour l’agence la mieux dotée, et plutôt entre 200 et 400 millions d’euros. Et au mieux deux ou trois centaines d’ingénieurs et techniciens pour convertir cet argent en actions concrètes. Pas de grands travaux en vue. Par comparaison et à la louche, 1 000 km d’autoroute coûtent environ 5 milliards d’euros, 1 000 km de TGV environ 15 milliards. On peut compter environ un milliard d’euros pour un parc éolien de 1 000 MW ; le tunnel sous la Manche a coûté autour de 10 milliards d’euros, et un EPR, quand sa construction sera au point, est estimé à 8 milliards. Le pont de Normandie, en incluant études, travaux annexes et frais financiers, a coûté un milliard. Le prix d’un pipe-line de 1 000 km est de l’ordre de 1 à 2 milliards d’euros.
L’agence Seine-Normandie
SN finance, entre autres, « 1) des épurations d’eaux de pluie en zone urbaine, 2) des réparations de fuites dans les réseaux de distribution, 3) des actions dans le secteur agricole permettant des changements de pratiques ou de systèmes de culture, dont le développement des filières compatibles avec la protection de la ressource en eau, et des milieux aquatiques et marins, 8) la lutte contre l’érosion des sols, la maîtrise des flux d’eaux superficielles pour limiter leurs impacts sur les nappes souterraines et les milieux aquatiques et humides, sur la ressource en eau susceptible d’être utilisée pour l’eau potable et sur les zones d’usages sensibles à la pollution microbiologique, 9) l’acquisition foncière pour la pérennisation d’une bonne gestion des surfaces pour la préservation à long terme des ressources en eau et des milieux aquatiques, humides et littoraux, et des terrains naturels connectés lorsqu’ils sont nécessaires à la bonne gestion des écosystèmes et permettent la restauration de la biodiversité, 10) des stages pour des chercheurs scientifiques. »
Le domaine d’action de SN contient 55 000 km de rivières, couvre 95 000 km2 de surface et donc implique, à la louche sur 100 m de profondeur, 10 000 km3 de roches plus ou moins aquifères. Le linéaire côtier est de 650 km, d’où, en effaçant quelques zigzags de côtes, environ 400 km² d’eau de mer au large sur un km et donc, jusqu’à 50 m de profondeur, 20 km3 d’eau de mer à surveiller… ou à guérir ! L’action de SN, quelle que soit sa qualité, ne peut être que ponctuelle. Si la grande sécheresse de 1976, année du fameux « impôt sécheresse », se reproduit, on voit mal comment ne se reproduirait pas aussi la disette de fourrages dans les élevages de Normandie.
L’agence Adour-Garonne
AG annonce disposer d’environ 250 millions d’euros par an, dont 59 % pour des actions portant sur l’agriculture, les milieux aquatiques et la biodiversité, la protection de la ressource en eau potable, la gestion des eaux pluviales, les industries, ensuite 28 % pour l’assainissement domestique et le traitement de l’eau potable, enfin 13 % pour tout le reste.
Extrait de sa prise de conscience aiguë : « Augmentation de la température moyenne annuelle estimée entre + 1,5° et + 2,8° d’ici à 2050 ; le climat actuel va se déplacer de 300 km vers le nord. L’évapotranspiration annuelle va augmenter de + 10 à + 30 % d’ici 2050 par rapport à la moyenne annuelle actuelle. Cette augmentation sera particulièrement importante au printemps et à l’automne. Une probable réduction des pluies et surtout plus d’évapotranspiration vont se traduire par moins d’écoulement des eaux et sans doute moins d’infiltration. Les étiages deviendront plus précoces, plus sévères et plus longs, les bassins du Sud-Ouest seront les plus impactés de France par cette diminution des débits des cours d’eau, notamment en été et à l’automne. D’ici à 2040, une augmentation de + 4,5 à + 20 cm du niveau moyen de l’Atlantique est prévue. L’impact des tempêtes sera amplifié, accélérant l’érosion des côtes et entraînant des submersions au moins temporaires et des risques de salinisation des espaces côtiers. En aggravant le déficit hydrique, le réchauffement climatique tend à assécher les zones humides, notamment celles de la façade littorale et celles des Pyrénées. En plus de l’évolution de la température et de la salinité, les baisses de débit d’eau douce venant de l’amont du bassin risquent d’allonger le temps de présence du bouchon vaseux, accentuant les problèmes de qualité des eaux et les impacts sur la faune, la flore, et la capacité des micro-organismes à autoépurer. L’influence du changement climatique se fait sentir sur de nombreux paramètres physicochimiques des lacs, altérant leur fonctionnement biologique. » Tout est dit.
Malgré ces sombres perspectives, je n’ai pas trouvé trace sur le site d’AG de projets d’aqueduc, digue, réaménagement urbain, mise à l’abri d’industries critiques, usine de dessalement.
“Aux plumes, citoyens !
Affûtez vos crayons !
Marchons, râlons,
Qu’une eau bien pure,
Abreuve nos régions !”
Questions à poser aux « décideurs »
S’il va y avoir trop d’eau en certains endroits et à certaines périodes, comment la faire bien s’infiltrer ou la recueillir, la conserver, l’épurer au besoin, la transporter là où elle va manquer ? S’il n’y a pas assez d’eau, comment éviter de la gaspiller et comment la partager ? Quelles prairies, quels bocages ou quelles forêts créer ou aménager ? Quid des mangroves à créer, y compris en métropole, ou à entretenir, pour protéger les zones côtières basses de tant de territoires contre l’invasion marine ? Combien coûteront ces protections et combien d’années dureront les travaux, question particulièrement critique, vu les urgences ? Comment mobiliser les outils existants, à savoir les agences de l’eau et autres compétences, entreprises, administrations ? Comment rendre démocratiquement acceptables les sacrifices devenus nécessaires et les nuisances associées ? Comment empêcher les sabotages ? Si un autoritarisme devient indispensable pour cette survie, comment en éviter les abus ?
Que fait la puissance publique ?
Faut-il s’en remettre à la « jeune génération » pour cesser de démissionner ? Des actions immédiates, prioritaires, sont nécessaires pour protéger nos cycles de l’eau à plusieurs échelles. Les agences de l’eau représentent un trésor de compétence pour l’action régionale, mais leurs budgets, même récemment augmentés, ne sont pas à la hauteur de la totalité des besoins locaux et régionaux. Surtout, ces budgets ne permettent pas des actions d’ampleur nationale, voire internationale. Des questions semblables peuvent se poser concernant le BRGM et l’Ifremer, partenaires naturels des agences. Le Commissariat au Plan et le ministère de la Transition écologique ont évidemment déjà de solides esquisses de programme à mettre en œuvre. Mais il est extrêmement regrettable que l’opinion publique, d’autant plus difficile à motiver à cause de ses soucis quotidiens et son « archipélisation », ait été laissée inconsciente desdites priorités, de leurs coûts et des sacrifices à consentir pour la survie de nos enfants et petits-enfants. Où est le plan à dix (vingt ?) ans pour l’eau, l’énergie, l’habitat, les transports, la sécurité et la défense nationale ? Comment étendre le programme Shift de l’équipe de notre camarade Jancovici (X81) ?
Que peut faire le citoyen ?
Que peut déjà faire chaque citoyen ? Si on n’a pas un ami PDG ou membre de cabinet ministériel ou autre « influenceur » à distraire de ses soucis à court (ou moyen ?) terme, une simple lettre à son député ou sénateur, disant quelque chose du genre : « Les problèmes de l’eau ne cessent de s’aggraver et menacent notre survie. Les agences de l’eau ne financent que des actions trop locales. Pourquoi ne donnez-vous pas à notre pays les moyens de traiter les problèmes à grande échelle ? », peut servir. L’auteur du présent point de vue a eu une expérience de trente ans d’interventions parlementaires. Au bout de trois ou quatre cents lettres dirigées vers des représentants appartenant à un même groupe parlementaire, ledit groupe prend le sujet au sérieux.