Le Private Equity : pilier du financement des transitions
Pour financer les transitions actuelles qui redessinent nos sociétés, l’investissement et notamment le Private Equity ont un rôle clé à jouer. Emmanuel Laillier (X94), directeur du Private Equity au sein de Tikehau Capital, nous en dit plus dans cet entretien et revient également sur le positionnement et la stratégie de l’asset manager dans ce cadre.
Dans un contexte marqué par de forts enjeux environnementaux et sociétaux, quel rôle doit jouer l’investissement ? Comment un acteur comme Tikehau Capital appréhende ce sujet ?
Tikehau Capital est un gestionnaire d’actifs alternatifs. Nous collectons ainsi l’épargne mondiale afin de la flécher et de l’investir dans les besoins de l’économie réelle. Pour ce faire, nous sommes positionnés sur différentes classes d’actifs : le Private Equity, qui permet d’investir au capital des entreprises pour les accompagner dans leur développement et dans leur croissance, la dette privée et les actifs réels (immobilier et infrastructure). Tikehau dispose aussi d’une activité nommée Capital markets stratégies, qui gère les stratégies à liquidité quotidienne du Groupe, et opérant à travers des fonds actions et obligations.
« Nous sommes positionnés sur différentes classes d’actifs : le Private Equity, qui permet d’investir au capital des entreprises pour les accompagner dans leur développement et dans leur croissance, la dette privée et les actifs réels (immobilier et infrastructure). »
Au travers de l’ensemble de ces classes d’actifs, Tikehau Capital gère près de 40 milliards d’euros pour compte de tiers. Dans ce cadre, notre enjeu premier est d’aller chercher du rendement, mais aussi une forme d’impact sur les entreprises que nous finançons, et plus largement sur la Société.
Nous voyons émerger plusieurs tendances : la nécessité de faire évoluer les chaînes de valeurs, le souhait des consommateurs pour de plus en plus de durabilité et une prise en compte plus forte de l’aspect humain par les acteurs économiques. Ces changements incitent les entreprises à se transformer, ce qui engendre des besoins de financement. Nous les accompagnons dans cette démarche car nous sommes convaincus car nous sommes convaincus qu’elle est de nature à leur faire gagner des parts de marché aux dépens d’entreprises ayant des modèles économiques plus traditionnels.
Dans ce cadre, quels sont les axes autour desquels s’articule votre politique d’investissement durable et responsable alors que vous privilégiez une logique d’investissement dit « ESG by design » ?
Au niveau du Private Equity dont j’ai la responsabilité, nous avons principalement trois axes d’investissement qui sont « ESG by design ». En 2018, nous avons lancé un fonds dont la vocation est d’accompagner la décarbonation au travers d’investissements dans des acteurs qui participent, avec leurs produits ou leurs services, à décarboner l’économie et à contribuer à cette transition vers un monde bas carbone. Dans ce cadre, nous nous sommes concentrés sur trois axes : le développement des énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, notamment des bâtiments, et la mobilité bas carbone (véhicule électrique, rail…). À l’époque, en 2018, Tikehau Capital était l’un des premiers asset managers à se positionner sur ce segment. Aujourd’hui encore, ce fonds est le plus important en Europe sur cette thématique avec un milliard d’euros investi dans onze sociétés. Son déploiement se poursuit actuellement.
Fin 2022, nous avons renforcé notre plateforme d’impact avec le lancement, en partenariat avec AXA Climate et Unilever, d’une nouvelle stratégie dédiée à l’investissement dans des projets et des entreprises qui soutiennent et accélèrent la transition vers une agriculture régénératrice. Les Nations Unies estiment que plus de 40 % des sols sont aujourd’hui dégradés, notamment du fait d’une exploitation intensive et de l’utilisation excessive d’engrais*. Or, les sols sont des réservoirs de carbone et permettent de produire 95% de la nourriture mondiale.
« Aujourd’hui encore, ce fonds est le plus important en Europe sur cette thématique avec un milliard d’euros investi dans onze sociétés. »
L’agriculture régénératrice se présente ainsi comme une alternative bas carbone et plus respectueuse des sols, de la ressource en eau et de la biodiversité. Elle privilégie le recours à la chimie verte et aux techniques agricoles plus adaptées et s’appuie sur les nouvelles technologies, comme l’IA, pour être plus efficace et performante tout en réduisant son impact sur l’environnement de manière générale.
Enfin, nous avons une troisième stratégie, dite de capital-croissance, se concentrant sur les entreprises aux objectifs durables affichés.
Les enjeux environnementaux et sociétaux font partie intégrante de notre stratégie d’investissement et sont au cœur de notre offre et de notre positionnement.
Concrètement, comment cela se traduit-il ? Pouvez-vous nous donner des exemples d’investissement que vous avez réalisés ?
Nous avons ainsi investi dans la société Isotrol, un éditeur espagnol de logiciels pour le pilotage de la performance des centrales solaires ou éolienne. Aujourd’hui, plus de 130 gigawatts de production d’électricité renouvelable dans le monde sont pilotés par ces solutions qui permettent, entre autres, d’optimiser et d’augmenter le niveau de productivité de ces infrastructures.
En France, nous avons notamment investi dans l’entreprise VALGO, qui est un spécialiste du désamiantage, du démantèlement, de la dépollution et de la réhabilitation des sols, des friches et des sites industriels. Cette activité représente un enjeu clé dans le cadre de la Loi ZAN (Zero Artificialisation Nette). En effet, il s’agit dorénavant de réhabiliter les sites et friches industriels afin de construire de nouvelles usines et d’éviter ainsi d’artificialiser des sols.
On peut aussi citer l’entreprise GreenYellow, qui était le premier investissement de notre fonds dédié à la décarbonation en 2018. L’entreprise installe des panneaux photovoltaïques sur le toit des hypermarchés et développe des solutions d’efficacité énergétique qui permettent à ces hypermarchés de diminuer de près de 30 % par an leur consommation et donc leurs factures énergétiques. Enfin, nous venons d’accompagner l’introduction en Bourse de la société italienne Eurogroup Laminations, sur la bourse de Milan.
Et dans cette démarche, quels sont les principaux enjeux et freins auxquels vous êtes confrontés ?
Notre principal défi est d’être en mesure d’accompagner efficacement la transition écologique et énergétique de nos sociétés en portefeuille. Pour ce faire, il est important d’avoir une stratégie claire et documentée adossée à des indicateurs pertinents en termes de performance. Par exemple, en matière de décarbonation, nous mesurons différents éléments comme la production d’énergie renouvelable, les émissions de CO2 évitées, ou encore l’empreinte carbone des produits et des services proposés par les sociétés dans lesquelles nous investissons… Pour notre stratégie dédiée à l’agriculture régénératrice, nous allons regarder plutôt l’impact sur la biodiversité et les ressources naturelles.
Et au-delà du suivi de ces différents indicateurs, nous nous engageons aussi sur des objectifs.
Comment vous projetez-vous sur ces questions alors que nous visons la neutralité carbone à horizon 2050 et que la transition environnementale s’accélère ?
Pour atteindre la neutralité carbone, Tikehau Capital s’est doté d’un plan qui est structuré autour de plusieurs jalons. D’ici à 2030, notre objectif est de diviser par deux nos émissions de CO2 en privilégiant l’investissement dans des sociétés qui vont nous permettre de concrétiser ce but grâce à leur savoir-faire ou à des solutions technologiques matures et éprouvées. Nous nous engageons également à ce que d’ici à 2030, toutes les sociétés que nous accompagnons aient un plan de réduction de leurs émissions validé par l’organisme SBTi.
Et pour conclure ?
Plus que jamais, la mobilisation de l’épargne et, in fine, le capital-investissement vers lequel cette épargne est fléchée, constituent l’un des principaux leviers de financement et d’accélération des transitions.
*(1) FAO, 2021. The State of the World’s Land and Water Resources for Food and Agriculture – Systems at breaking point. Synthesis report. Rome