Étymologie :
À propos des soft skills
L’expression soft skills s’est popularisée aux États-Unis au début des années 1990. Elle est apparue explicitement au cours de la Soft Skills Training Conference organisée par l’état-major de l’armée américaine en décembre 1972. Il s’agissait de développer les compétences mettant en jeu le côté émotionnel de l’homme en complément des compétences relevant de connaissances techniques et formelles, qualifiées en anglais de hard skills. À partir du contexte militaire, cette approche s’est largement étendue au monde de l’entreprise, un peu comme on a pu le voir à propos de la logistique (cf. ÉtymologiX de fév. 2022).
En direction des ressources humaines, on tient compte de plus en plus des soft skills. Cette locution anglaise s’emploie telle quelle en français car elle se traduit mal par « compétences ou habiletés sociales », « compétences interpersonnelles et de savoir être », ce qui n’est pas sans rapport avec le savoir-vivre ou le savoir-faire relationnel…
Dans les dictionnaires usuels, le français emprunte hard et soft en tant qu’adjectifs invariables, et quelques expressions comme hard-rock, hardware… ou soft-drink, software… mais pas encore soft skills alors que, dans un registre voisin, soft power est entré au Petit Larousse 2023. Quant au dictionnaire de l’Académie, il n’admet de tous ces anglicismes que softball (variante du base-ball, appelée balle molle au Québec), ainsi que software, tout en recommandant l’emploi de logiciel, néologisme introduit avec succès au début des années 1970. On voit que le sens de soft est variable selon ses usages, et il est utile d’invoquer ici son étymologie.
Que dit l’étymologie ?
Tout d’abord, l’anglais skill est d’origine scandinave. À l’ancien norrois skilja « diviser, distinguer », skila « décider », skil « raison, discernement » se rattachent le suédois skäl « raison », skicklig « compétent, habile » et l’anglais skill « compétence, habileté ».
L’origine de l’anglais soft est plus complexe : du vieil anglais sefte « agréable, gentil, doux », lui-même relié à une racine germanique *samft- dont dépendent aussi l’allemand sanft, le néerlandais zacht « doux, mou ». Cette origine germanique elle-même peut être rapprochée de la racine indo-européenne *som-, *sem- relative à l’égalité, la similitude (cf. ÉtymologiX de fév. 2018), visible dans le latin simul (archaïque semul), l’anglais same « semblable » : en effet, l’égalité de niveau d’une surface se traduit par une douceur du contact, et le pied d’égalité entre personnes apporte une douceur, au sens figuré, dans les relations.
Ainsi, soft a pour premier sens « agréable, doux » avant de signifier plus concrètement « mou », le contraire de « dur », et même de s’opposer à « dur, matériel » pour signifier carrément « immatériel, abstrait », comme dans software. On peut trouver dans l’expression soft skills (comme dans soft power) ces différents niveaux de signification de soft : l’agrément dans les attitudes respectueuses des personnes, l’absence de dureté dans les relations interpersonnelles et l’abstraction des qualités humaines et aptitudes non techniques.
Épilogue entre soft et hard
On parle aussi de sciences dites molles (soft sciences) par opposition aux sciences dures (hard sciences) comme la physique, y compris la physique de la matière molle (soft matter) ! À ce propos, l’ingénierie du logiciel (software engineering) est bien malgré son nom une science dure (hard science). Cependant l’ingénieur en logiciel doit aussi faire preuve de soft skills, tout en travaillant dur (hardworking).
Commentaire
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Merci pour ce traditionnel billet « Étymologie » qui, à chaque fois, émaille le dossier de La Jaune et La Rouge et qui, en rappelant que l’expression « soft skills » est apparue explicitement chez l’armée américaine en décembre 1972, invite à rechercher si c’est bien en 2013 que celle-ci serait apparue explicitement dans le cursus Cycle ingénieur de l’X.