De Tanger à Polytechnique : itinéraire d’un élève marocain
Chaque année, un nombre croissant d’élèves issus des classes préparatoires marocaines est admis à l’École polytechnique. Fort de ses 19 prépas scientifiques dont 4 filières MP*, le Maroc permet à ses étudiants les plus brillants de préparer les concours dans les mêmes conditions que leurs homologues français. C’est le cas de Mohamed Amine Bouguezzoul, en 1re année de classe préparatoire à Tanger puis en 2e année à Casablanca, admis dans la promotion X21.
Quel a été ton parcours avant Polytechnique ? Où es-tu né ? Où as-tu grandi ?
Je suis né à Meknès, mais j’ai grandi dans une zone rurale un peu reculée où mes parents étaient professeurs d’histoire-géographie au collège. Je suis l’aîné, j’ai deux frères et une sœur. Ma mère s’est chargée de mon enseignement dès les petites classes. À 6 ans, nous avons déménagé à Tanger.
Après le collège, j’ai choisi une filière technologique au lycée technique Moulay Youssef, puis je me suis orienté en sciences mathématiques. J’ai eu mon bac avec mention très bien et j’ai été admis en classe préparatoire à Tanger dans la filière MPSI. J’ai demandé à aller en MP* en deuxième année.
« Au Maroc, il existe 4 lycées publics qui hébergent une filière MP* : à Rabat, à Casablanca, à Marrakech et à Fès. »
Au Maroc, il existe 4 lycées publics qui hébergent une filière MP* : à Rabat, à Casablanca, à Marrakech et à Fès. J’ai été pris à Casa au lycée Mohammed‑V. J’ai passé à peu près tous les concours sauf Centrale, car je n’avais pas les moyens financiers de passer vraiment tous les concours. J’ai choisi un concours difficile, celui de l’X, car c’était un rêve pour moi, et d’autres un peu plus accessibles comme le concours CCP et Mines-Pont. J’ai été admissible à l’X, j’ai passé les oraux en France en période Covid, c’était difficile car je passais aussi le concours national commun (CNC), concours qui clôt les deux années de prépa au Maroc et pour lequel j’ai été major.
Lire aussi : Le projet Université Mohammed VI Polytechnique
Ensuite j’ai eu une période de doute, car les frais de scolarité à l’X sont très élevés et mon statut de major au CNC m’ouvrait automatiquement l’école de mon choix au Maroc. J’ai demandé conseil à mes proches, ils m’ont tous encouragé à tenter l’X jusqu’au bout. J’ai été tenté de passer le concours de l’X pour dire : « J’ai le niveau » et aller dans une école au Maroc. À Polytechnique, j’ai pris connaissance des possibilités de financement, notamment un prêt sans intérêt financé par des banques partenaires, à rembourser cinq ans après ma diplomation, et une exonération partielle des frais de scolarité sur critères sociaux. Je bénéficie également d’une bourse du Maroc pour vivre en France.
D’où vient ton goût pour les sciences et les mathématiques ?
Ça ne vient pas spécialement de ma famille car ils sont plutôt littéraires. Ce sont les dessins animés scientifiques de mon enfance qui m’ont donné le goût des sciences. Puis une enseignante à l’école primaire, excellente pédagogue, m’a donné le goût des mathématiques. Dès que je tombais sur des problèmes mathématiques que je ne connaissais pas, j’avais la curiosité d’aller effectuer des recherches pour comprendre. Mes frères et ma sœur n’ont pas le même goût pour les mathématiques que moi ; pour la médecine, mais pas pour les maths.
Comment ont réagi tes parents lorsque tu as été reçu ?
Ils étaient très fiers car Polytechnique a une très belle réputation au Maroc. Ma mère avait découvert l’École six ans avant que j’intègre et elle en rêvait pour moi. Elle me l’a avoué après que j’eus intégré. J’ai senti qu’elle était très heureuse. Mes parents ont mis ma photo en GU sur le fond d’écran de leur téléphone !
Le français n’est pas ta langue maternelle. Peux-tu nous dire en quelle langue tu as reçu ton enseignement ?
Au Maroc, les matières scientifiques sont enseignées en français, mais l’explication nous est donnée en arabe dialectal (darija) mélangé au français. Je crois que c’est plus simple [rires].
Avant d’arriver en France comment imaginais-tu l’École ? Savais-tu qu’il y avait un uniforme ?
Je savais qu’il y avait un uniforme, une tangente, etc. Mais je pensais que l’École était très militaire, qu’on portait l’uniforme tout le temps [rires]. J’avais une vision un peu enfantine de l’École mais je savais que j’y recevrais un enseignement de qualité.
Est-ce que tu as défilé le 14 juillet 2022 ?
Comme le défilé coïncidait avec une grande fête religieuse, j’ai préféré rentrer au Maroc.
Quelles sont selon toi les différences entre un profil comme le tien, un étranger qui arrive à Polytechnique en ayant fait une prépa à l’étranger, et le profil d’un Français qui arrive d’une prépa française parisienne ?
Au niveau académique, je ne remarque pas de différence. Ce qui change, c’est le fait que beaucoup d’élèves français viennent des mêmes prépas donc se connaissent avant d’intégrer. Alors que, lorsqu’on vient de l’étranger, on est plus isolé et on doit tisser de nouvelles relations avec les autres. Ça demande de sortir de sa zone de confort.
La majorité des élèves marocains viennent du Lydex, le lycée Mohammed VI d’excellence à Ben Guerir. Dans mon année, un élève venait de Fès, j’étais le seul de ma prépa, je ne connaissais pas les autres Marocains.
Comment s’est passée ton arrivée à l’X ?
J’ai été bien accueilli, je n’avais pas besoin de m’occuper de mon logement, ce qui me laissait de la disponibilité pour les démarches administratives et financières, et j’en suis très reconnaissant à l’École.
Ce que j’ai moins bien vécu, c’est le stage de six mois. J’étais au lycée François-Villon aux Mureaux dans les Yvelines en tant que tuteur. C’était un beau challenge de transmettre, d’expliquer les matières scientifiques à ces élèves. Mais j’ai trouvé ça long ! Certains élèves d’origine marocaine étaient intrigués par mon parcours car notre différence d’âge était minime ; j’avais 19 ans et certains 18. Mais la plupart ne connaissaient pas Polytechnique.
Comment s’est passée ton intégration ?
Je suis dans la section équitation où l’environnement a été très accueillant. Les élèves sont très courtois et bienveillants, je n’ai eu aucun problème pour m’intégrer. Je fais partie du binet AstronautiX, notre club dédié à l’astrophotographie où ça se passe bien également. J’assume également le rôle du président au sein du binet AMX (Association des musulmans de l’X) où j’ai trouvé un sentiment d’appartenance profond et où j’ai tissé des liens avec des gens qui me sont très chers, une proximité qui a tout simplement une valeur incommensurable à mes yeux.
Que penses-tu du niveau de mathématiques ?
J’ai été à l’aise, j’avais déjà vu en prépa une partie des enseignements de première année. Je n’ai pas senti de décalage, plutôt un peu d’avance.
Que vas-tu choisir pour la suite ? en 3A ?
J’ai choisi la mécanique, choix surprenant pour mes collègues marocains car il existe une sorte de mythe : un polytechnicien marocain doit faire des maths. Les autres Marocains ont choisi en majorité de faire des maths. Pour ma 4A, la question de son financement limite automatiquement mes choix. C’est ma plus grande difficulté actuelle. Je chercherai la solution la moins chère pour ne pas trop m’endetter. Et, pour travailler au Maroc, il n’est pas nécessaire d’ajouter Harvard au diplôme de Polytechnique qui est très bien reconnu.
“J’ai choisi la mécanique, choix surprenant car il existe une sorte de mythe : un polytechnicien marocain doit faire des maths.”
Quels sont tes projets pour la fin de tes études ?
Mon projet professionnel est a priori de rentrer au Maroc dès que possible pour travailler dans la mécanique des fluides ou l’énergie. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de faire mon stage de 2A au Maroc à Casablanca, pour étudier l’écosystème des entreprises ici, pour faire connaissance avec les personnes en direct dans le but de confirmer ou révoquer ce choix de carrière. Ça a aussi surpris les autres élèves marocains, que je veuille revenir très tôt au Maroc, car beaucoup souhaitent aller aux États-Unis ou commencer leur carrière en France. Je suis pour ma part très attaché au Maroc et à ma famille.