Le Maroc : une future start-up nation africaine ?
Le Maroc se rêve en terre d’entrepreneuriat et d’innovation. Le Royaume dispose d’atouts qu’il faudra articuler les uns avec les autres. Pour aider à faire converger toutes les initiatives, rien de mieux que de disposer d’un exemple inspirant, un pionnier qui aurait déjà réalisé un tel parcours. La société marocaine HPS qui a réussi à se hisser parmi les leaders mondiaux de l’industrie des paiements électroniques pourra-t-elle occuper cette fonction de rôle modèle ?
Le Maroc est devenu, au cours des vingt dernières années, la première destination de la sous-traitance technologique francophone (développement logiciel et centres d’appels) avec une part de marché estimée à 50 %. Pour Youssef Chraibi, président de la Fédération marocaine de l’externalisation des services (FMES), « elle est surtout la plus qualitative face à des concurrents très agressifs sur les prix ». Le secteur qui totalise plus de 125 000 emplois est considéré comme stratégique par le gouvernement. D’ailleurs, les entreprises internationales de l’offshoring bénéficient d’une exonération de l’impôt sur les sociétés pendant les cinq premières années et d’un taux réduit de 20 % au-delà. La compétitivité du coût horaire n’est pas le seul argument du Maroc. Sa situation géographique stratégique, la qualité et le coût compétitif de son infrastructure d’hébergement et de télécommunication, la maîtrise du français, l’amélioration de l’environnement des affaires sont des arguments qui pèsent dans les choix des donneurs d’ordre.
Un écosystème start-up avec de hautes ambitions
Encore modeste et freiné par plusieurs handicaps, l’écosystème start-up marocain nourrit l’ambition de devenir un carrefour de l’innovation entre l’Afrique, l’Europe et les pays du Golfe. Si le Maroc occupe encore une place modeste dans les classements internationaux, il pourrait rapidement gagner en visibilité. Par exemple, c’est Marrakech qui a accueilli en juin 2023 le premier Gitex Africa, la déclinaison africaine du célèbre salon technologique de Dubaï consacré à l’innovation technologique et aux start-up. Accueillant 900 exposants et start-up, le salon s’est tenu à guichets fermés et sera donc agrandi pour les prochaines éditions, signe d’une attente continentale pour des événements de ce genre et d’une bonne place du Maroc pour y jouer un rôle majeur.
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HPS : un modèle inspirant
Pour concrétiser un rêve un peu fou, il est souvent utile de s’appuyer sur un modèle inspirant et fédérateur qui a déjà réussi un exploit du même type, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles vocations. Créée en 1995 par Mohamed Horani avec trois associés, HPS est un éditeur de logiciels qui est aujourd’hui l’une des références mondiales du secteur des paiements électroniques. Dans un marché où la crédibilité technique et la confiance sont des éléments clés, l’émergence dans les premières places mondiales d’une société marocaine est une aventure entrepreneuriale particulièrement inattendue. L’entreprise opère dans une industrie mondialisée complexe, critique pour l’économie et cependant assez mal connue du grand public. L’industrie des paiements électroniques historiquement liés aux cartes bancaires, connue en France sous le nom de monétique, a émergé en 1976 avec la naissance du réseau de cartes bancaires Visa, qui organise entre les banques les échanges électroniques d’argent générés par les cartes bancaires. Le réseau Mastercard a de son côté été créé en 1979. Les banques qui veulent intégrer un ou plusieurs réseaux doivent y adhérer, c’est-à-dire payer pour participer et s’engager à respecter les nombreuses règles communes fixées par le réseau.
L’industrie monétique
Après avoir adhéré à un réseau les banques peuvent émettre des cartes bancaires qu’elles distribuent physiquement à leurs clients sous forme de services (moyennant cotisation annuelle et frais). Elles ne se ressemblent pas toutes. En effet, il y a différents réseaux (Visa, Mastercard…), différentes catégories (classique, Premier, Elite, Gold, Infinite, Platinum…), certaines ne sont dédiées qu’aux paiements (cartes prépayées et cartes de débit), alors que d’autres sont de véritables cartes de crédit. Les autorisations de paiement ou de retrait diffèrent d’un client à un autre. Les banques peuvent aussi distribuer auprès de leurs clients commerçants (appelés les acquéreurs) non pas des cartes mais des terminaux de paiement électronique (TPE), là encore sous forme de services (cotisation ou commission).
Un business complexe, mondialisé et exigeant
Le secteur est très encadré et les banques doivent respecter la réglementation locale toujours complexe. La gestion de toutes ces spécificités, auxquelles s’ajoutent celle des innovations technologiques, est un véritable casse-tête, d’autant que les règles changent souvent. Il faut les prendre en compte très rapidement sans perturber le système, qui doit rester disponible quels que soient l’heure et le lieu où un client veut faire un paiement ou un retrait. L’informatique joue donc, depuis l’origine, un rôle central dans cette industrie dans laquelle le service doit fonctionner 24 h / 24 et 7 j / 7.
Bien choisir son fournisseur
La monétique constitue pour les banques une source significative de revenus. Il s’agit d’un réel métier bancaire, cependant moins central et prestigieux que l’octroi de crédits. Pour ces différentes raisons, la plupart des banques se font aider à des degrés divers par des prestataires technologiques spécialisés. Certains sont des acteurs globaux qui prennent en charge toutes ces fonctions sous forme de services partagés à distance, d’autres proposent aux banques des logiciels plus ou moins sophistiqués pour automatiser une partie des fonctions qui doivent être assurées par la banque, généralement dotée d’une direction spécifique dédiée aux moyens de paiement.
Un métier en forte évolution
Le métier de « monéticien » a connu d’importantes transformations avec l’arrivée d’internet et du téléphone mobile, mais aussi des extensions au-delà des institutions financières notamment dans la santé (carte vitale…), les transports (passe Navigo), etc. Le paiement sur mobile (mobile money) et les cryptomonnaies constituent ces dernières années les menaces et les opportunités les plus importantes pour cette industrie.
Un champion de classe mondiale
HPS est un éditeur de logiciel monétique (PowerCard) qui permet aux institutions financières de gérer leurs activités de paiement par cartes, aussi bien pour collecter les données de transaction auprès des commerçants que pour diffuser des cartes auprès de leurs clients particuliers désireux de disposer de cartes de paiement. Ce logiciel figure parmi les trois leaders mondiaux du secteur. Il est distribué soit sous licence d’utilisation (logiciel installé sur les ordinateurs du client), soit sous forme de logiciel comme un service (SaaS), c’est-à-dire un logiciel installé sur les ordinateurs de HPS et accessible aux clients abonnés via internet. PowerCard est en 2022 utilisé par plus de 450 entités dans plus de 90 pays et traite tout type de cartes (crédit, débit, prépayée, entreprise, fidélité, carburant). Pour mettre en œuvre le logiciel PowerCard, HPS propose également des services d’installation, de paramétrage et d’interfaçage avec les spécificités du système d’information de la banque et les réglementations locales en vigueur. Ces projets sont gérés par l’agence régionale HPS chargée du client (Afrique francophone, Afrique anglophone, Europe, Asie, Amérique…). On trouve également dans ces projets d’intégration des actions de formation qui sont dispensées selon les besoins des clients par HPS Academy.
Le switching
Par ailleurs, HPS Switch, filiale à 100 % de HPS SA, est titulaire d’une licence d’opérateur de switch (rapprochement-compensation entre banques de commerçants et banques de particuliers, qui tiennent les comptes des clients qui ont effectué des paiements). Elle est le seul opérateur de ce type au Maroc. Son activité est régulée par la banque centrale marocaine et repose sur le logiciel PowerCard et les infrastructures techniques de HPS. HPS accompagne les switches de plusieurs pays (Sénégal, Ghana, Gambie, Chypre…) en leur fournissant le logiciel PowerCard et la montée en compétence adéquate des opérateurs locaux. L’infrastructure de switching a également permis à HPS de proposer un service d’interfaçage universel pour le mobile payment (portefeuille ou wallet) entre les acteurs bancaires, mais aussi avec les wallets des opérateurs de télécommunications, ce qui, par exemple, donne la possibilité aux clients de services mobile money des opérateurs de télécommunications de retirer de l’argent dans un distributeur automatique (DAB).
Une taille imposante
HPS a créé son propre club utilisateur dès 1999, le PowerCard Users Club, qui comprend aujourd’hui plus de 450 organisations utilisatrices, parmi lesquelles les plus grands noms de la banque et de la finance, que l’entreprise réunit régulièrement. L’entreprise compte plus de mille collaborateurs dont 800 experts et ingénieurs. Environ 200 sont affectés au développement du produit et à sa maintenance, 250 à la gestion des infrastructures SaaS, la plupart des autres collaborateurs sont logés dans les cinq agences régionales. Les équipes commerciales et administratives du siège social sont relativement peu nombreuses. Fin 2006, l’entreprise a été introduite avec succès à la Bourse de Casablanca, où elle est aujourd’hui devenue la première capitalisation du compartiment des entreprises technologiques. En 2018, le Boston Consulting Group a classé HPS dans sa liste des 150 entreprises africaines qui contribuent le plus à l’intégration économique du continent africain.
Les défis entrepreneuriaux et la nécessaire adaptation culturelle
Trouver le premier client à l’étranger dans un tel domaine a été difficile pour une entreprise marocaine. « Nous avions répondu à un appel d’offres d’une banque au Koweït et notre solution avait beaucoup intéressé, mais nous n’avons pas été retenus, probablement parce que la banque ne voulait pas prendre le risque de contracter avec une entreprise sans référence internationale. Un an plus tard, les Koweïtiens sont cependant revenus vers nous, car le contactant initialement retenu ne savait pas résoudre un de leurs problèmes. Il s’agissait d’un pur problème technique. Nous leur avons immédiatement proposé une solution efficace et ils nous ont alors attribué le marché », se souvient Mohamed Horani.
L’avenir des moyens de paiement et les nouvelles opportunités
La crise de la Covid-19 a accéléré le développement du e‑commerce, et donc du paiement à distance. C’est particulièrement vrai au Maroc où le nombre de cartes bancaires en circulation a augmenté. Mais les paiements par mobile ont vocation à les remplacer. L’écosystème des paiements est plus large que celui des cartes bancaires. Au-delà des banques, les fintechs revendiquent de prendre une place grâce à leurs solutions technologiques – souvent sur smartphone. Mais les grandes plateformes comme les Gafa ou Alibaba, qui drainent des millions de clients et offrent désormais leurs propres moyens de paiement comme Apple Pay ou Alipay, veulent aussi jouer un rôle croissant, comme le relève Mohamed Horani : « On observe que la pandémie a finalement réussi à dynamiser la coopération de ces trois catégories d’acteurs, jusqu’alors en rivalité, chacun apportant des solutions adaptées à ses technologies propres. Cette coopération généralisée est plutôt une chance pour HPS qui est un acteur clé d’un écosystème ouvert dans lequel aucun acteur n’est en situation de dominer tous les autres. »
Les cryptomonnaies au Maroc
Les cryptomonnaies représentent une autre évolution potentiellement importante en termes à la fois de menaces et de possibilités. Mohamed Horani rappelle que, « en 2019, un événement intitulé Africa Blockchain Summit s’est tenu à Rabat, sous l’égide de la banque centrale du Maroc. Nous avons été sollicités pour monter un proof of concept fondé sur une plateforme blockchain destinée à optimiser les aides directes et indirectes, distribuées par l’État marocain à travers une centaine d’organismes. Nous avons monté, de A à Z, une plate-forme identifiant les potentiels bénéficiaires les plus dans le besoin, à qui nous attribuons un wallet mobile destiné à être abondé par l’aide gouvernementale. Quand une personne aidée va chez le commerçant acheter, par exemple, une bouteille de gaz qui vaut 120 dirhams, elle ne paie avec son wallet que 40 dirhams, les 80 restants étant versés par la caisse concernée, directement et en temps réel, au commerçant pour qui l’opération est donc transparente. Notre expérience en matière de cryptomonnaies repose donc, en tant que spécialistes de la transaction, sur leur utilisation au même titre que n’importe quelle autre monnaie, davantage que sur leur émission. Nous laissons aux banques centrales le soin de mettre en place ces monnaies souveraines. »
“Un succès construit de longue date.”
Une surprise qui vient de loin
Le Maroc réussira-t-il dans le domaine de la technologie et de l’entrepreneuriat l’exploit réalisé par l’équipe nationale de football lors du Mondial 2022 ? Si tel est le cas on pourrait s’apercevoir, comme dans le cas des Lions de l’Atlas, que cet effet de surprise était en réalité un succès construit de longue date par de multiples contributions, des infrastructures de haut niveau, des moyens financiers, mais aussi des figures emblématiques incarnant le rêve : des joueurs talentueux ayant appris leur métier auprès des meilleurs mondiaux avant de tenter d’écrire leur propre histoire.
Le parcours inattendu d’un entrepreneur citoyen
L’émergence improbable de ce champion mondial de la monétique qu’est HPS est une aventure collective, mais aussi une histoire entrepreneuriale de quatre copains audacieux qui puise ses racines dans un parcours individuel plutôt atypique. Ingénieur statisticien diplômé de l’Insea, l’une des écoles d’ingénieurs marocaines réputées, Mohamed Horani a commencé sa carrière à la fin des années 1975 comme agent public du ministère du Plan marocain. Il repère un programme de formation à l’informatique par IBM et sept mois plus tard est certifié par IBM. Il entre alors comme informaticien à la Sacotec, une filiale de l’Omnium nord-africain – ONA, dont il devient rapidement directeur technique informatique. Il entre ensuite chez Bull Maroc, la filiale du constructeur français, où en plus de la responsabilité des terminaux bancaires il devient chef de département réseaux et grands systèmes.
En 1983, il est repéré par l’homme d’affaires Abdelhak Andaloussi qui est en train de créer une joint venture avec le groupe français Sligos, fondé par Gérard Bauvin (X52) et n° 1 français de la monétique. Ce sera la S2M (société magrébine de monétique) dont Sligos, qui deviendra Atos en 1995, sera actionnaire minoritaire. En 1995, fort de ses compétences et de sa connaissance du marché, Mohamed Horani décide de fonder la société Hightech Payment Systems (HPS) avec trois collègues et associés. En 2009, Mohamed Horani a été élu président de la Confédération générale des entreprises du Maroc – CGEM (2009−2012). Il est par ailleurs nommé membre expert du Conseil économique, social et environnemental – CESE, depuis 2011. Il est également consul honoraire de Singapour.
Les citations sont extraites d’un témoignage public reproduit avec l’autorisation de l’École de Paris du management : https://ecole.org/fr/seance/1539-limprobable-ascension-dune-multinationale-marocaine-de-la-tech