Anatomie d’une chute / Les Herbes sèches / Le ciel rouge / Fermer les yeux / Second tour
Impressions mélangées de fin d’été. Merci à Cannes pour sa palme d’or (Anatomie d’une chute) et son prix d’interprétation féminine (Les Herbes sèches). Le médiocre Anti-Squat (1 h 35) de Nicolas Silhol est un chef‑d’œuvre comparé au regrettable Hypnotic (1 h 30) de Robert Rodriguez. Le jury de la Berlinale 2023 a montré en primant Le Ciel rouge qu’il lisait entre les lignes. En 1 h 01, L’expérience Almodóvar d’un Pedro « petit bras » a été décevante, tandis que Victor Erice s’employait pendant 2 h 49 (!) à nous Fermer les yeux. Enfin Albert Dupontel est venu présenter à Saint-Jean de Luz un Second Tour inabouti. Mais encore ?
Anatomie d’une chute
Réalisatrice : Justine Triet – 2 h 30
C’est la passionnante analyse d’une situation dramatique qui couvre les problèmes d’un couple, déséquilibré dans la réussite, d’écrivains plombés par l’accident il y a quelques années d’un fils désormais mal-voyant. Menée avec une rigueur sans défaut cette analyse, à travers la mise en contexte et le cheminement de l’enquête et du procès consécutifs à la mort suspecte du mari (tombé ? poussé ? … à moins qu’il n’ait choisi de se jeter du deuxième étage) et à la mise en examen de l’épouse, procure un sentiment constant de perfection dans la profondeur et la progression, forme et fond, du récit. Tous les acteurs sont bons, et Swann Arlaud et Sandra Hüller parfaits. Du grand cinéma.
Les Herbes sèches
Réalisateur : Nuri Bilge Ceylan – 3 h 17
Un très beau film attachant à la durée justifiée. Un petit coin d’Anatolie, une école de village, l’hiver dans sa rudesse et un professeur d’arts plastiques entre deux âges, médiocre et dépassé, humain. Tout le monde d’ailleurs là-dedans est un peu débordé par sa propre impuissance et ses petitesses, sauf peut-être la figure rapidement dessinée d’un robuste septuagénaire et la foi maintenue d’une trentenaire accrochée aux espérances d’un passé militant qui lui a valu l’amputation d’une jambe. Dans sa solitude aigrie, le prof de dessin navigue sans lucidité excessive sous deux influences féminines (la collègue trentenaire et une élève adolescente, source de problèmes caractéristiques de l’ambiguïté du rapport professeur-élève), influences dont l’épilogue, de façon très inattendue et émouvante, reverra les importances relatives.
Le Ciel rouge
Réalisateur : Christian Petzold – 1 h 42
Comment trans-former un été pourri en œuvre d’art, en l’occurrence littéraire ? C’est au fond le projet du film que de répondre à cette question, servi par le charme heurté et un peu agressif de Paula Beer et, efficace et ici indispensable, le manque de charisme de Thomas Schubert. Le film est inégal, le titre est inadapté, la bluette homosexuelle maladroitement insérée court au ridicule, mais le projet, servi par les deux acteurs mis en avant, s’installe et s’impose progressivement avec une grande force. C’est dans l’épaisseur, la tension de leur relation, sa signification sous-jacente, que le film trouve sa vérité et son véritable intérêt.
Fermer les yeux
Réalisateur : Victor Erice – 2 h 49
C’est un film A sur la dis-parition d’un acteur lors du tournage d’un film B dont on voit deux extraits : le prologue et la conclusion. Le prologue, excellent, est presque le meilleur moment de la séance. La conclusion relève du mélo sirupeux et ridicule. Entre les deux, la quête du disparu, puis sa découverte, qui tournent autour du metteur en scène du film B à sa recherche, dégagent des moments pleins de nostalgie, de souvenirs, de poésie, et… d’ennui perlé, dressant le tableau de deux existences détournées de leur cours, celle du disparu-réapparu dont on n’apprendra rien et celle du metteur en scène qui n’a plus fait, après la disparition, que vivre un no man’s land affectif, ni heureux, ni malheureux, poursuivant une existence dont le charme – qui s’étend aux meilleurs passages du film – n’aboutira à rien. Porteur d’inexprimé, c’est le (trop) long testament d’un vieux cinéaste désenchanté.
Second Tour
Réalisateur : Albert Dupontel – 1 h 35
Avant-première. On aime Dupontel. On se précipite. On tombe de haut, malgré le charme définitif et le talent de Cécile de France, malgré la vis comica de Nicolas Marié. Dupontel dédouble son jeu décalé et un peu hagard dans la volonté de donner chair à un scénario fait de bouts de ficelle erratiques et de blagues potaches, poursuivant ici de sa critique désabusée les perversions politiques sans parvenir à s’installer dans une logique convaincante. Son bricolage intense, adossé à des foucades inventives, ne débouche que sur le constat d’un faux pas de son génie propre. Sortie le 25 octobre.