Un métier sérieux / Le gang des bois du temple / Les feuilles mortes / Le procès Goldman / Le règne animal

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°789 Novembre 2023
Par Christian JEANBRAU (63)

Il y a eu quelques bons pro­duits, au mar­ché des salles obs­cures, mais on va en par­ler ensuite. Dès l’abord, au rayon des sur­vols un peu cruels, on ran­ge­ra Ber­na­dette (réa­li­sa­trice : Léa Dome­nach – 1 h 32) qui n’a que le tort d’arriver sixième dans la dure sélec­tion des cinq sor­ties du mois, en dépit de ses acteurs convain­cants, dans une ver­sion agréa­ble­ment fic­tion­née des infor­ma­tions du docu­men­taire sur le même sujet de France 5 dif­fu­sé le 8 octobre – et dis­po­nible en replay jusqu’au 15 février. Cruau­té aus­si pour la per­for­mance de Caleb Lan­dry Jones dans le mal­heu­reu­se­ment regret­table en tout point par ailleurs Dog­man (réa­li­sa­teur : Luc Bes­son – 1 h 54). Simple luci­di­té, pour la sor­tie ratée – puisqu’il s’agirait de son opus ultime – de Woo­dy Allen avec un Coup de chance (1 h 33) qu’il vaut mieux oublier (la for­mule de Fran­çoise Giroud s’applique : on ne tire pas sur une ambu­lance). Enfin que pro­fé­rer d’autre sur Le livre des solu­tions (réa­li­sa­teur : Michel Gon­dry – 1 h 42), mal­gré quelques rires ner­veux, que cet emprunt au par­ler djeune : n’importe nawak ? Que reste-t-il alors, le ménage fait ?

Un métier sérieux 

Réa­li­sa­teur : Tho­mas Lil­ti – 1 h 41

Un film modeste dans son pro­pos et par­fai­te­ment réus­si, maî­tri­sé, atta­chant, sur la vie d’un éta­blis­se­ment sco­laire côté équipe péda­go­gique. C’est glo­ba­le­ment très équi­li­bré, juste, bien obser­vé, com­plet… et un peu opti­miste. On aime cette équipe d’acteurs dans des per­son­nages bien incar­nés, bien assu­més, humains, fra­giles, qui ont à peine, mais réelle, bien cro­quée, une vie hors du col­lège, avec au pre­mier rang, par son embal­lant et empa­thique inves­tis­se­ment tous azi­muts, Adèle Exar­cho­pou­los, for­mi­dable d’intensité pré­sente. Mais tous sont excel­lents, Louise Bour­goin, Vincent Lacoste, William Leb­ghil, Fran­çois Clu­zet et tous les autres ! Un spec­tacle qui ne résou­dra aucun pro­blème mais qu’on remer­cie­ra pour son regard com­pré­hen­sif et atten­dri sur le métier. Tho­mas Lil­ti sait déci­dé­ment y faire ! 


Le gang des bois du temple

Réa­li­sa­teur : Rabah Ameur-Zaï­mèche – 1 h 54

C’est un « polar » excep­tion­nel ! Après un pro­logue magni­fique de den­si­té qui culmine dans un chant d’une boule-ver­sante beau­té, la nar­ra­tion s’ouvre, ten­due, riche dans sa mise en contexte, mini­ma­liste dans ses effets, à l’écart de toute esbroufe, nar­ra­tion d’un bra­quage com­mis par une petite bande de ban­lieue qui a choi­si un objec­tif hors de sa zone de confort et nar­ra­tion de ses dra­ma­tiques consé­quences. Dans la tra­gé­die qui s’ensuit, haute figure mutique, bien­veillante et impli­quée, un retrai­té de l’action va sobre­ment tirer de son four­reau le glaive impi­toyable de la jus­tice. Excel­lents acteurs. Puis­sant et profond !


Les feuilles mortes

Réa­li­sa­teur : Aki Kau­rismä­ki – 1 h 21

Le milieu ouvrier d’une Fin­lande uni­ver­selle et déses­pé­rante, des êtres frustes chez qui l’aspiration au bon­heur par l’autre se heurte à l’incapacité de for­mu­ler et s’accroche à des sché­mas com­por­te­men­taux sim­plistes mais forts et au tâton­ne­ment muet, aveugle et obs­ti­né des sen­ti­ments… Il tient debout mais noyé d’alcool, elle vit hum­ble­ment un désert affec­tif et leurs regards se croisent un soir. Cette émer­gence fac­tuelle, sans ver­ba­li­sa­tion, d’un couple confron­té à la dure­té de son envi­ron­ne­ment, à la mau­vaise volon­té du hasard et à l’obstacle de ses han­di­caps propres fait un film lent, assez tou­chant, tra­ver­sé de traits d’humour inat­ten­dus, où l’existence indi­vi­duelle est un pitoyable nau­frage et l’autre une espé­rée et néces­saire planche de salut.


Le Procès Goldman 

Réa­li­sa­teur : Cédric Kahn – 1 h 55

Pré­cis, struc­tu­ré, sans fio­ri­ture, qua­si docu­men­taire, un film rigou­reux, com­plet et pre­nant sur le pro­cès en appel de Pierre Gold­man à la fin des années 1970. Excel­lents acteurs. Concen­tré, violent, intel­li­gent, avec le sens de la répar­tie, le Gold­man d’Arieh Wor­thal­ter touche juste sans par­ve­nir, face à la conver­gence à charge de témoi­gnages pour­tant sou­vent fluc­tuants et ambi­gus, à nous impo­ser abso­lu­ment son inno­cence. Très instructif.


Le règne animal

Réa­li­sa­teur : Tho­mas Cailley – 2 h 08

Une sorte de pan­dé­mie muta­gène qui fait bas­cu­ler l’humain vers l’animal s’amorce et a tou­ché la mère. Romain Duris et Paul Kir­cher portent for-midable-ment et très haut la rela­tion père-fils, dans une dra­ma­tur­gie aux fron­tières de laquelle s’impose la pré­sence éton­nam­ment dense de bru­ta­li­té atten­tive d’Adèle Exar­cho­pou­los, empa­thique agent exté­rieur. On hésite d’abord un peu à suivre la pro­po­si­tion et puis sou­dain on se retrouve embar­qué, la ten­sion monte, on croit à l’incroyable et on se désole de la pitoyable incom­pré­hen­sion des hommes. Et, quand on est un bon client pour l’amour pater­nel, la fin est bouleversante.

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