Feve Accélère la transition agroécologique
Vincent Kraus (X03)
En 2020, Vincent Kraus (X03) a cofondé Feve, entreprise qui vise à donner vie à des fermes agroécologiques. Elle contribue à la transition agroécologique en France, en facilitant l’installation de la nouvelle génération d’agriculteurs et d’agricultrices.
Quelle est l’activité de Feve ?
Feve a pour mission d’accélérer la transition agroécologique. Pour cela nous essayons de favoriser des installations viables et plus vertueuses pour l’environnement. Cela passe, d’une part, par une foncière qui collecte de l’argent auprès de particuliers et d’institutionnels pour financer l’acquisition de fermes louées (avec option d’achat) à des agriculteurs et agricultrices ayant des projets en agroécologie. Et, d’autre part, par une plateforme numérique, la Grange, centrée sur des porteurs de projet cherchant à s’implanter avec des contenus, des services et des outils pour faciliter l’installation agricole.
Quel est le parcours des fondateurs ?
Marc Batty et Simon Bestel se sont connus sur les bancs de l’école à l’AgroParistech il y a vingt-cinq ans. Ils se sont éloignés de l’agriculture en travaillant dans l’informatique et l’agroalimentaire et ont chacun monté une boîte : Dataiku, très belle réussite dans la data, pour l’un, et Promus, déjà dans l’agriculture, pour l’autre. De mon côté, après l’X j’ai travaillé quelques années dans la finance, avant de monter ma première entreprise dans la téléassistance pour personnes âgées, société vendue à une mutuelle (groupe VYV). On s’est alors retrouvé tous les trois, à la suite d’une forte prise de conscience environnementale, avec l’ambition de faire quelque chose dans l’agriculture, secteur clé de la transition qui impacte à la fois les émissions de gaz à effet de serre, la biodiversité, l’eau… et également notre santé et la résilience du territoire.
Comment vous est venue l’idée ?
En réfléchissant à comment accélérer la transition agroécologique et en voyant que la moitié des agriculteurs allait partir à la retraite d’ici 2030, on s’est dit que, plutôt que d’essayer de changer les pratiques des agriculteurs en place, on pouvait s’intéresser aux installations et à ceux qui remplacent les néoretraités. Deux tiers des gens qui s’installent n’ont pas des parents agriculteurs et un des principaux freins à leur installation est l’accès au foncier, qui coûte cher. D’où l’idée de leur faciliter cet accès via notre foncière. Faire financer cette foncière par des particuliers nous est apparu comme un bon moyen de proposer un produit d’investissement impactant et relativement sûr, ainsi qu’un moyen de rapprocher les citoyens des agriculteurs.
L’idée de la Grange est venue plus tard via l’objectif de combler d’autres manques et besoins remarqués sur le terrain, avec des installations qui ne se concrétisent pas. Il n’y a pas assez de porteurs de projet pour remplacer les départs à la retraite et on cherche à faire en sorte que celles et ceux qui ont cette vocation puissent s’installer.
Qui sont les concurrents ?
Un mouvement plus ancien, Terre de Liens, qui a des objectifs similaires, sauf que les agriculteurs n’ont pas la possibilité de devenir propriétaire dans leur modèle, ce qui pose problème à nombre d’entre eux, d’où notre idée de proposer une possibilité de rachat aux personnes dont on permet l’installation. D’autres alternatives relativement jeunes se sont créées en même temps que nous, avec des modèles un peu différents (Printemps des Terres, Terrafine).
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
L’activité a démarré en septembre 2020. Nous créons ensuite la foncière et la première ferme financée est installée en juillet 2021. Nous avons obtenu le label Finansol en mai 2022 et collecté 5 M€ en octobre 2022. En juillet 2023, le cap de la dixième ferme financée est passé. Nouvelle étape, également, avec l’entrée de la Caisse des dépôts et consignations et du Crédit mutuel au capital de la foncière, aux côtés des particuliers.
Entre Fintech et Agritech, où te situes-tu et pourquoi ?
Un peu entre les deux, mais plus proche de l’Agritech, car l’agriculture et les agriculteurs, c’est notre premier marché. La création d’un produit d’investissement dans la terre agricole est un outil au service de l’agriculture. Par ailleurs, nous développons d’autres services aux agriculteurs, comme notre plateforme la Grange qui se situe aussi plutôt du côté de l’Agritech. On fait d’ailleurs partie de la Ferme digitale, qui représente les sociétés agri-agro au sein de la French Tech.
En vingt ans, la France est passée du 2e rang au 6e rang des pays exportateurs de produits agricoles. Au-delà de la désindustrialisation dont on parle souvent, n’y a‑t-il pas un problème majeur dans ce secteur ?
Certains pays ont augmenté fortement leur production dans les dernières décennies, alors qu’elle était déjà relativement bien développée et en avance en France dans le passé. Au-delà de la baisse des exportations, un des problèmes majeurs est l’impact de l’agriculture actuelle sur les agriculteurs et les écosystèmes. Les agriculteurs gagnent moins d’un SMIC. L’agriculture et l’alimentation représentent un quart des émissions de gaz à effet de serre et sont une des principales causes de la perte de biodiversité.
Pourtant, c’est aussi un problème de souveraineté et d’indépendance, tout aussi prioritaire que l’industrie pharmaceutique ?
Plus que la diminution des produits exportés, le problème de souveraineté concerne à mon sens ce qu’on ne produit pas et qu’on importe. Car la France a beau être un pays exportateur net, les productions sont très spécialisées selon les régions ou les pays et nous importons la moitié de nos fruits et légumes, ainsi qu’une part importante de l’alimentation des animaux d’élevage. Sur les quarante dernières années, les régions se sont ultraspécialisées, ce qui crée des déséquilibres et des risques pour notre souveraineté, ainsi que des déséquilibres agronomiques et environnementaux (résilience réduite aux aléas de marché et aux aléas climatiques).
Il y a donc un besoin de diversification locale et de production à nouveau de ces aliments, voire des aliments de plus en plus consommés mais non produits en quantité en France. On voit des initiatives intéressantes avec la création de nouvelles filières (amandes, noisettes, houblon…) ayant l’objectif de diminuer notre dépendance. Cette diversification doit être pensée au niveau de chaque territoire (voire même au niveau de chaque ferme) dans un souci de résilience plus forte. Dans la même veine, l’agriculture est aujourd’hui extrêmement dépendante d’intrants (engrais, pesticides) provenant de dérivés d’hydrocarbure. Une réflexion systémique (la base de l’agroécologie) permet de réduire fortement ces besoins en diversifiant ses productions et en créant des synergies entre les différentes productions végétales et animales.
Face aux industriels de l’agroalimentaire, y a‑t-il encore de la place pour des passionnés, à part dans quelques secteurs plutôt liés au luxe ?
En France, le système agricole s’appuie sur des agriculteurs indépendants, parfois regroupés dans le cadre de coopératives. Ce qu’on peut observer, c’est que ceux qui s’en sortent le mieux financièrement sont ceux qui se situent hors du système habituel. Que font-ils ? Ils essaient de créer plus de valeur sur la ferme en transformant leur production (farine, huile…), ils diversifient leurs productions en essayant d’atteindre une plus grande autonomie locale (ce qui les rend plus résilients), ils raccourcissent leurs circuits de distribution, ils créent également des activités complémentaires (agritourisme, production d’énergie…). Cette transition vers des fermes qui sont plus résilientes localement mais qui sont aussi productives demande toutefois plus de main‑d’œuvre. C’est d’ailleurs pourquoi le Shift Project annonce qu’il faudra augmenter la population agricole de 500 000 personnes d’ici vingt ans pour réaliser la transition agroécologique tout en produisant les produits que nous importons aujourd’hui.
Et le changement climatique ne vient probablement pas simplifier tout cela ?
Les problèmes étant multiples avec le dérèglement climatique (inondations, sécheresse, grêle…), le besoin de résilience et de diversification s’en trouve augmenté. L’eau est aussi un sujet majeur et des pratiques agroécologiques permettent justement de diminuer de beaucoup les besoins en eau, puisque des sols régénérés fonctionnent comme des éponges et stockent beaucoup mieux l’eau que des sols sans matière organique et laissés à nu une partie de l’année. En définitive, la généralisation de pratiques agroécologiques permettrait d’améliorer à la fois notre souveraineté alimentaire et notre résilience vis-à-vis du dérèglement climatique.