David Thesmar (X92) un économiste perspicace
David Thesmar est un produit du système éducatif français, mais il se sent plus proche du système américain, dans lequel il s’est installé et où il s’épanouit. Il faut noter qu’il est l’époux de Fleur, elle aussi X92, dont nous avons publié le portrait dans notre numéro de juin 2023.
Enfant unique, volontiers individualiste donc, il grandit dans le centre de Paris. Passé par le lycée Henri-IV depuis la seconde, il fut séduit à l’X par ses enseignants Daniel Cohen (ENS76), Gilles Saint-Paul (X82) et Jean Tirole (X73). Son attirance, préexistante, pour l’économie, lui vient de la rencontre entre le formalisme mathématique et les sciences sociales. L’Ensae fut logiquement son école d’application.
En 1996–1997, il acquit un master à la London School of Economics. Son doctorat (Paris-I-Panthéon) est de 2000. En 2007, il fut désigné meilleur jeune économiste français par Le Monde et le Cercle des économistes, dont il fait désormais partie. Ses aînés admirés, parmi les Nobel d’économie, sont Daniel Kahneman (« justement pas un économiste mais un psychologue »), Jean Tirole (« pour la clarté et la richesse de sa pensée »), Paul Krugman et Milton Friedman (« intellectuels engagés, pédagogues incroyables, penseurs originaux et limpides »), Oliver Hart, Bengt Holmström (« penseurs importants dans la littérature »).
Critique du système universitaire français
Il a d’ores et déjà beaucoup publié : « Si les universitaires raisonnablement compétents n’investissent pas le terrain médiatique, ils laissent la place aux charlatans et aux discours intéressés. » Chroniqueur aux Échos, il écrivit, souvent avec Augustin Landier (ENS94), une dizaine de livres. Ceux-ci présentent une vision libérale, clairvoyante quant aux pesanteurs de l’économie française. Quant à l’enseignement et la recherche, il « se préoccupe du déclin de l’éducation supérieure et de la recherche dans notre pays. L’université et les grandes écoles souffrent d’un déficit important de financement. Les meilleurs chercheurs s’expatrient. Alors que l’école républicaine ne parvient plus à faire émerger des élites issues des classes populaires, les classes supérieures, en avance sur les tendances, privilégient de plus en plus l’éducation de leurs rejetons dans les universités étrangères.
“Un libéralisme tocquevillien.”
À l’université, les professeurs sont accablés de charges d’enseignement et d’administration. Dans les grandes écoles (hormis quelques-unes), la recherche n’a jamais été valorisée. Le CNRS acte une séparation généralisée entre l’enseignement et la recherche qui devrait demeurer marginale. Selon lui, c’est la gouvernance du système qui est à revoir. Le ministère de l’Enseignement supérieur doit céder davantage de pouvoirs aux universités, qui en échange de davantage d’autonomie doivent gagner en responsabilité. Le CNRS doit progressivement être intégré aux universités autonomes. »
L’exemple américain
Depuis son installation aux États-Unis, David Thesmar semble trouver la confirmation de ce constat, qui date d’avant son expatriation. Le système universitaire américain repose sur des institutions autonomes et responsables qui travaillent en liaison étroite avec les collectivités et les entreprises locales. L’État fédéral est bien loin et n’intervient qu’au travers des financements qu’il consent via ses agences de moyens (Pentagone, National Institute of Health, etc.). Ces institutions sont dirigées par des universitaires qui comprennent le secteur, et non par des apparatchiks nommés par le pouvoir. Il trouve à ce constat une saveur toute durkheimienne : c’est la communauté locale, et non l’État centralisateur, qui se charge de l’éducation et de la recherche. Ce biais localiste (et jeffersonien) garantit légitimité et efficacité.
L’économiste libéral
Pour lui, il y a là une métaphore de ses affinités politiques : un libéralisme tocquevillien mettant l’accent sur l’autonomie de la communauté et non sur l’emprise du souverain. Les humains ont besoin de collectif, mais un collectif restreint est plus efficace et plus respectueux des libertés individuelles. Il exprime cette affinité dans de nombreuses tribunes sur le rôle de l’État : celui-ci, selon lui, doit être restreint aux grandes causes d’intérêt national, comme le financement de la recherche ou de la défense.
L’éducation (même supérieure), la santé, la politique industrielle peuvent très bien être gérées au niveau des régions. Logiquement, l’appel des grandes universités américaines lui fit quitter la France. Il enseigne à la business school du MIT depuis juillet 2016. Ils sont vingt professeurs dans le département de Finance. Cambridge, Massachusetts, est probablement le site de la plus grande concentration d’économistes universitaires au monde. David Thesmar s’y trouve valorisé et stimulé ; il travaille énormément, à nombre de sujets de première importance.