Volatilité du marché et transformation de la chaîne agroalimentaire

Volatilité du marché et transformation de la chaîne agroalimentaire

Dossier : ExpressionsMagazine N°790 Décembre 2023
Par Jean-Baptiste KOPECKY (X08)
Par Ruben SABAH
Par Victor LAMENDIN 

La vola­ti­li­té du mar­ché des pro­duits agri­coles aug­mente dans les cir­cons­tances actuelles, pour des rai­sons diverses. Cela crée de graves dif­fi­cul­tés pour les acteurs de la chaîne agroa­li­men­taire. Les pistes d’actions sont plu­rielles. La tech­no­lo­gie apporte à cet égard de sérieux espoirs de maî­trise des incertitudes.

Com­ment les pro­fes­sion­nels de l’agroalimentaire abordent-ils la vola­ti­li­té de la pro­duc­tion végé­tale ? La ques­tion prend de l’im­portance à l’heure où le change­­ment cli­ma­tique, les ten­sions ­géo­politiques et l’évolu­tion des pra­tiques agri­coles s’ajoutent aux autres fac­teurs d’aléa inhé­rents au secteur.

Les facteurs de volatilité de la production végétale

L’enjeu est de taille : alors que les acteurs de la chaîne agroa­li­men­taire, au pre­mier rang des­quels les agri­cul­teurs eux-mêmes, font l’expérience chaque année d’une vola­ti­li­té gran­dis­sante de la pro­duc­tion végé­tale agri­cole en qua­li­té, en quan­ti­té et dans le temps, ils iden­ti­fient leur capa­ci­té à gagner en visi­bi­li­té et en anti­ci­pa­tion sur les récoltes comme condi­tion néces­saire pour répondre aux besoins de trans­for­ma­tions du sec­teur, en dura­bi­li­té et en com­pé­ti­ti­vi­té. Les aléas sont inhé­rents aux acti­vi­tés liées à l’agriculture, depuis tou­jours. Cela étant, le chan­ge­ment cli­ma­tique, conju­gué avec d’autres évo­lu­tions en cours, crée un contexte inédit. Les acteurs de l’agroalimentaire doivent aujourd’hui gérer des opé­ra­tions plus com­plexes, dans un envi­ron­ne­ment plus volatil.

Les épisodes climatiques extrêmes

Alors que le chan­ge­ment cli­ma­tique est sou­vent évo­qué à tra­vers la hausse glo­bale des tem­pé­ra­tures moyennes, il se mani­feste aus­si par une recru­des­cence d’événements météo­ro­lo­giques hors normes, sou­vent très loca­li­sés. Depuis 2000, la France a connu cinq étés de séche­resse extrême, par­fois accom­pa­gnés, selon les zones, de res­tric­tion sur l’utilisation d’eau. En paral­lèle, la pro­ba­bi­li­té des épi­sodes céve­nols (soit le dépas­se­ment d’un seuil de + 300 mm de pré­ci­pi­ta­tions par jour) a tri­plé en deux géné­ra­tions. Les assu­reurs constatent une hausse de la sinis­tra­li­té, avec des des­truc­tions de cultures plus fré­quentes – pour cause de feu, gel, grêle ou d’inondation. Pour les agri­cul­teurs, gagner en rési­lience face à ces menaces est deve­nu une prio­ri­té. En liai­son avec le chan­ge­ment cli­ma­tique, des mala­dies ou des nui­sibles oppor­tu­nistes risquent de pro­li­fé­rer, alors même que les régle­men­ta­tions sur les phy­to­sa­ni­taires restreignent les moyens de lutte. Par exemple, le mil­diou pro­fite de condi­tions plus humides ; à l’inverse, la rouille jaune se géné­ra­lise avec la sécheresse.

Un environnement d’affaires plus incertain

D’un point de vue régle­men­taire, le chan­ge­ment cli­ma­tique oblige l’ensemble des sec­teurs d’activité à enga­ger la tran­si­tion vers des modèles opé­ra­tion­nels plus durables. Au niveau euro­péen, le Green Deal éta­blit un objec­tif de neu­tra­li­té car­bone à l’horizon 2050 et, dans cette optique, deman­de­ra des efforts crois­sants de réduc­tion aux filières agroa­li­men­taires. L’instabilité géo­po­li­tique apporte éga­le­ment ses chocs sur la pro­duc­tion végé­tale : par exemple, l’augmentation des sur­faces semées en tour­ne­sol de près de 20 % en France en 2022 est direc­te­ment liée au choc d’offre depuis l’Ukraine et à l’augmentation des coûts de l’énergie.

Reconnaissance par imagerie satellite des hectares par culture et illustration cartographique d’un taux de couverture du marché adressable à la maille commune.
Recon­nais­sance par ima­ge­rie satel­lite des hec­tares par culture et illus­tra­tion car­to­gra­phique d’un taux de cou­ver­ture du mar­ché adres­sable à la maille commune.

Les mutations de la demande

À ces risques sur­plom­bants s’ajoutent des causes de vola­ti­li­té endo­gènes au sec­teur. Des chan­ge­ments inter­viennent sur le plan de la demande, aujourd’hui carac­té­ri­sée par une plus grande frag­men­ta­tion et une plus grande ver­sa­ti­li­té. Les consom­ma­teurs finaux, outillés par des appli­ca­tions numé­riques, se pré­oc­cupent davan­tage des qua­li­tés nutri­tion­nelles et des condi­tions de pro­duc­tion ; ils exigent une tra­ça­bi­li­té accrue des pro­duits ; leur demande se réoriente, par­fois rapi­de­ment, vers de nou­velles caté­go­ries de produits.

La concurrence internationale

Les prin­ci­paux expor­ta­teurs conti­nuent d’augmenter leurs volumes et, paral­lè­le­ment, cer­tains montent en gamme. Même sur les seg­ments les plus qua­li­ta­tifs, la concur­rence s’aiguise : plus aucun mar­ché ne peut se consi­dé­rer comme « chasse gar­dée ». Même si le com­merce mon­dial a aug­men­té de 20 % depuis cinq ans, défendre ou aug­men­ter ses parts de mar­ché n’a jamais été aus­si ardu. La vola­ti­li­té des prix de matières pre­mières, de plus en plus expo­sés aux posi­tions à l’échelle mon­diale, a un impact direct sur l’assolement (par exemple : recul de plus de 20 % des sur­faces de col­za en France sur 2020–2021 par rap­port à la période 2016–2020).

Un déficit croissant de moyens humains

Un der­nier élé­ment joue un rôle impor­tant : celui de la raré­fac­tion des talents. La pyra­mide des âges joue aus­si en défa­veur du sec­teur : une géné­ra­tion de pro­fes­sion­nels expé­ri­men­tés doit être renou­ve­lée à moyen terme. Le niveau de com­pé­tences atten­dues est, lui, rehaus­sé : les métiers de l’agroalimentaire sont plus tech­niques que jamais.

Quelles pistes d’action ?

Les acteurs de la chaîne agroa­li­men­taire sont diver­se­ment affec­tés par ces aléas, qui sont d’autant plus sen­sibles à une échelle locale. Cha­cun s’efforce aujourd’hui de les gérer au mieux, avec ses propres outils et méthodes, mais les maillons sont étroi­te­ment inter­dé­pen­dants ; les incer­ti­tudes se pro­pagent et s’amplifient tout au long de la chaîne. Une visi­bi­li­té pré­cise sur la pro­duc­tion végé­tale en temps réel, en cours de sai­son, est néces­saire pour répondre aux défis de l’approvisionnement en matières pre­mières agri­coles. En par­ti­cu­lier, pour les métiers d’origination, soit les métiers d’achats de matières pre­mières agri­coles (par ex. : équipes com­mer­ciales de coopé­ra­tives agri­coles et négoces, équipes achats d’industriels de la trans­for­ma­tion ou dis­tri­bu­teurs), il y a trois oppor­tu­ni­tés de créa­tion de valeur.

La performance commerciale et la gestion des risques financiers

La visi­bi­li­té sur la pro­duc­tion végé­tale, à l’échelle de la par­celle agri­cole, en sur­face et en volume, donne la capa­ci­té de ciblage com­mer­cial et de sui­vi de la per­for­mance com­mer­ciale par rap­port au poten­tiel total d’origination sur un bas­sin. Les négo­cia­tions avec les agri­cul­teurs, les coopé­ra­tives et les four­nis­seurs sont des aspects cru­ciaux du tra­vail des acteurs de l’origination. La visi­bi­li­té pré­cise sur la pro­duc­tion végé­tale ren­force leur posi­tion lors de ces négo­cia­tions, faci­li­tant la prise de déci­sions éclai­rées et garan­tis­sant le res­pect des termes des contrats. Enfin, les fluc­tua­tions des prix sur le mar­ché des matières pre­mières agri­coles sont une réa­li­té incon­tour­nable. Grâce à une visi­bi­li­té sur la pro­duc­tion végé­tale, les pro­fes­sion­nels de l’origination peuvent anti­ci­per l’état de l’offre, contri­buant ain­si à une meilleure ges­tion des risques financiers.

Reconnaissancepar imagerie satellite des hectares semées en orge.
Recon­nais­sance par ima­ge­rie satel­lite des hec­tares semées en orge.

La performance opérationnelle

Une connais­sance appro­fon­die sur la pro­duc­tion végé­tale per­met de pla­ni­fier et de gérer effi­ca­ce­ment les appro­vi­sion­ne­ments, anti­ci­pant les varia­tions et les fluc­tua­tions de la pro­duc­tion, afin de dimen­sion­ner les moyens mis en œuvre le long de la chaîne d’ap­provisionnement (moyens humains, logis­tiques ou capa­ci­tés indus­trielles) et d’anticiper des risques de sous- ou sur­ca­pa­ci­té sur les uni­tés de transformation.

La conformité aux normes

Les exi­gences de tra­ça­bi­li­té, de qua­li­té des pro­duits et de dura­bi­li­té impo­sées par les normes et régle­men­ta­tions doivent être res­pec­tées. La visi­bi­li­té sur la pro­duc­tion végé­tale est un élé­ment essen­tiel pour assu­rer la confor­mi­té avec ces normes et sou­te­nir les ini­tia­tives de déve­lop­pe­ment durable, par exemple : normes liées à l’autorisation ou pas de cer­taines rota­tions de cultures, normes liées à l’applicabilité de pro­duits phy­to­sa­ni­taires à proxi­mi­té de par­celles semées en culture pou­vant être éga­le­ment impac­tées, normes liées aux pra­tiques agri­coles telles que le labour ou la pré­sence de cou­verts végétaux.

Quel apport de la technologie ?

Pour rele­ver le défi, l’échantillonnage au sein de ter­ri­toires de pro­duc­tion est per­ti­nent pour appor­ter un com­plé­ment d’information qua­li­ta­tif. De même, les échanges humains sont pré­cieux pour cimen­ter la col­la­bo­ra­tion et le col­lec­tif, en par­ti­cu­lier entre les agri­cul­teurs et les coopé­ra­tives. Néan­moins, dans un contexte où le niveau d’incertitude aug­mente et où les moyens humains se raré­fient, la col­lecte des don­nées peut s’appuyer davan­tage sur la tech­no­lo­gie. Les infor­ma­tions révé­lées par l’imagerie satel­lite, telles que celles des constel­la­tions Sentinel‑1 et 2, cou­plées à des algo­rithmes d’apprentissage pro­fond, sont d’une grande uti­li­té pour mieux anti­ci­per la pro­duc­tion végé­tale : tout acteur de la chaîne peut ain­si anti­ci­per pen­dant la sai­son les sur­faces plan­tées par type de cultures, les dates de semis, des indices de déve­lop­pe­ment des végé­taux à par­tir des­quels il est pos­sible d’anticiper des dates de col­lecte pro­bables, la date de col­lecte une fois celle-ci réa­li­sée. Les acteurs peuvent ain­si devan­cer des pertes sur les récoltes, avec leurs consé­quences com­mer­ciales ou indus­trielles. Ils peuvent iden­ti­fier de façon pré­coce des pers­pec­tives com­mer­ciales d’origination ou d’optimisation indus­trielle, en s’appuyant sur des esti­ma­tions de sur­face et de volume par zone plus pré­cises, exhaus­tives et homo­gènes sur l’ensemble de leur territoire.

Distinction des orges de brasserie via la détection de la date de semis (dans cette illustration 3 kha d’orge semée à l’automne, sur les 60,8 kha d’orge semée dans la Marne, ont été semés après le 6.11.2022 et sont probablement des orges de brasserie).
Dis­tinc­tion des orges de bras­se­rie via la détec­tion de la date de semis (dans cette illus­tra­tion 3 kha d’orge semée à l’automne, sur les 60,8 kha d’orge semée dans la Marne, ont été semés après le 6.11.2022 et sont pro­ba­ble­ment des orges de brasserie).


Illustration de l’impact sur la performance commerciale

Gagner en visibilité sur la production végétale pour cibler des opportunités d’origination

Une visi­bi­li­té en temps réel sur la pro­duc­tion végé­tale, de la maille par­celle à tout sec­teur géo­gra­phique, per­met une vue constante
sur le poten­tiel total de mar­ché adres­sable. Au regard de l’activité com­mer­ciale, issue des CRM / logi­ciels d’achats, les entre­prises gagnent en capa­ci­té d’objectivation et de ciblage de l’effort com­mer­cial, par exemple expri­mé en part de mar­ché, taux de cou­ver­ture ou taux de rem­plis­sage usine.


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