Polytechniciens en Chine : entretien croisé entre alumni chinois et français
L’ambassadeur de l’AX en Chine rapproche son expérience de Français en Chine de celles de deux anciens élèves chinois revenus au pays, lors d’une conversation amicale. Excellente occasion de réviser certaines idées toutes faites… et d’en confirmer d’autres !
Pourquoi avoir choisi l’X (Wang Yuexiang – Chen Dacheng), pourquoi avoir choisi de travailler en Chine (Yannick Benichou) ?
CD : J’ai fait mon bachelor à la NUS (Singapour), à cette époque il y avait un programme de double diplôme français qui était ouvert aux étudiants de première année. Il existait de nombreux programmes de double diplôme organisés conjointement avec des universités américaines comme le MIT, Stanford, Berkeley, mais leur durée était assez courte, généralement un an ou six mois, et seul le programme avec la France durait deux ans. Il me permettait également d’apprendre une autre langue, ce que d’aucuns étudiants trouvaient très gênant. Une autre raison était que j’avais des proches qui travaillaient auparavant avec des ingénieurs français et que j’avais une certaine compréhension du système des grandes écoles françaises. J’ai donc pensé que cela pourrait être une expérience très précieuse.
WY : À cette époque, contrairement au Royaume-Uni et aux États-Unis, je ne connaissais pas l’Europe continentale et je sentais que, si je n’y étudiais ou vivais pas, il me serait difficile d’en avoir une compréhension plus profonde et d’apprendre une autre langue. Je pense également que Polytechnique a un système académique très particulier : enseignement général, école militaire, accent sur le sport et multiples possibilités de stage, autant d’aspects qui n’étaient pas disponibles dans les programmes de mastère et de doctorat à l’étranger.
YB : J’ai découvert la langue chinoise à l’X et je m’en suis tout de suite passionné, ainsi que de la culture plurimillénaire de ce pays. Venir y étudier puis travailler a rapidement été une évidence pour moi, c’est ce que j’ai fait en commençant par ma 4A effectuée à l’université Tsinghua, à Pékin.
Pour le retour en Chine, avoir fait l’X est-il un plus (WY-CD) ? Comment s’est passée ton arrivée en Chine (YB) ?
CD : Avoir une culture supplémentaire est évidemment un plus. D’un autre côté, cela permet de mieux travailler avec les groupes industriels français ; ainsi je pense d’abord aux entreprises françaises lorsque je noue des collaborations. Il y a quelques années, j’avais un projet de construction électrique au Bangladesh, qui nécessitait de trouver un partenaire international pour former une JV. J’avais le choix entre trois solutions : l’une était Siemens, une autre Abengoa (espagnol) et une autre encore Alstom. J’ai décidé de collaborer avec Alstom. Mais malheureusement le département énergie a ensuite été vendu à GE.
WY : À l’exception des entreprises françaises, la plupart des entreprises ne connaissent pas le système éducatif français. Peut-être que les écoles de commerce sont plus connues, en raison du grand nombre d’étudiants. Mais, pour les entreprises chinoises intéressées à se développer sur le marché européen, les bons étudiants avec une expérience européenne sont rares et par là même des ressources précieuses. Par ailleurs, le réseau des anciens élèves est relativement dense, ce qui est très utile. Mais le rythme de travail en Chine est très différent ; il m’a fallu une période d’adaptation après mes stages effectués dans des entreprises étrangères.
YB : Mon arrivée en tant qu’étudiant s’est très bien déroulée, même si j’étais le seul étranger du département. Les jeunes Chinois sont plus sages et studieux que les jeunes Français, mais très accueillants pour peu qu’on se donne la peine d’apprendre la langue et la culture.
“Il y a plus d’une centaine d’X en Chine.”
Combien d’X sont présents en Chine, que font-ils ? Comment animez-vous la communauté des anciens ? Comment évolue la population polytechnicienne en Chine, y a‑t-il plus ou moins de Français qu’il y a une dizaine d’années ? Les camarades chinois sont-ils plus ou moins nombreux à revenir en Chine ?
CD : Il y a plus d’une centaine d’X en Chine, dispersés dans diverses villes. Des afterworks sont régulièrement organisés et, même s’il y en a eu moins pendant les trois ans de Covid, cette année, surtout après l’annonce de la nouvelle politique d’exemption de visa, il y en aura davantage.
WY : Les anciens X en Chine sont principalement des Chinois. Pour les diplômés chinois de l’X se présente le choix de rester en France-Europe ou de retourner en Chine mais, après une certaine période, il devient de plus en plus difficile de basculer de l’un à l’autre. Certains vont aussi en Grande-Bretagne et aux États-Unis, principalement pour y faire de la recherche scientifique ou de la finance. Il y a toujours eu très peu d’étudiants français en Chine, encore moins depuis la pandémie. De manière générale ces trois années de fermeture ont beaucoup affecté les flux d’étudiants à l’étranger depuis ou vers la Chine.
YB : Notre communauté d’anciens en Chine est composée à 95 % de Chinois et 5 % de Français ou d’autres nationalités. Cette tendance s’est accentuée ces dernières années, avec de moins en moins d’expatriés en Chine, de plus en plus d’étudiants chinois diplômés en France et revenant dans leur pays profiter des possibilités professionnelles et entrepreneuriales, et toujours aussi peu d’étudiants français en Chine. La fermeture du pays pendant trois ans et la direction politique du pays ont ralenti les flux de retour de diplômés chinois en Chine, avec même certains anciens cherchant à repartir en Europe ; mais il est encore trop tôt pour dire s’il s’agit d’une tendance de long terme. Les anciens sont pour plus de la moitié à Shanghai, le reste étant principalement réparti entre Pékin, Canton, Shenzhen, Hong Kong.
Je fais figure d’exception en résidant dans la province du Yunnan, plus connue pour le tourisme que pour son développement économique. La plupart des événements que nous organisons sont faits au niveau de l’Institut polytechnique de Paris dont l’X est la figure principale, d’une part pour atteindre une taille suffisante, d’autre part car les programmes de recrutement communs de ces écoles ont créé une communauté assez soudée (originellement au sein de ParisTech).
Pouvez-vous comparer la vie quotidienne en Chine avec celle en France ? Qu’est-ce qui peut convaincre plus d’X de venir ou revenir en Chine ?
CD : La Chine est beaucoup plus sûre que la France au quotidien et propose des milliers de sortes de cuisine chinoise : ces deux points sont importants pour les diplômés chinois. De plus, avoir des origines culturelles différentes amène les gens à découvrir diverses occasions commerciales. Je crois que chaque X peut trouver des choses intéressantes en Chine.
WY : Au travail ou dans les études, le rythme est très rapide, ce qui conduit à avoir une vie très différente de ce que l’on a si l’on reste à l’étranger. Par exemple, il est vraiment nécessaire de consacrer beaucoup de temps libre au travail et à se former. Dans tous les secteurs, la concurrence est extrêmement féroce et il est très facile de se retrouver submergé de travail pour suivre le rythme. Pour les entrepreneurs, être en Chine signifie être au plus près des chaînes d’approvisionnement, ce qui est un grand avantage pour les entreprises liées à l’Internet des objets ; vous pouvez aussi trouver des ingénieurs plus motivés et efficaces.
YB : La vie au quotidien en Chine est très simple, avec un nombre incalculable de services à la personne accessibles par les smartphones. La Chine est un pays très connecté, où une grande partie de la population à faibles revenus fournit de facto un certain confort pour les personnes aux revenus supérieurs (coursiers, taxis, toutes sortes de services…) – cela n’est certes pas très « communiste » – et où les biens de consommation sont globalement très abordables. La sécurité au quotidien est aussi un important point positif, même si cela est contrebalancé par une certaine absence de sécurité juridique.
Quelle est l’opinion sur la Chine des Français qui n’y sont jamais venus ? (YB) Quelle est l’opinion sur la France des Chinois qui n’y sont jamais venus ? (WY-CD)
CD : Pour ceux qui ne sont jamais allés en France, l’image du pays vient en grande partie des produits vendus par les entreprises françaises, par exemple les sacs Louis Vuitton, les cosmétiques, le luxe de manière générale. Une petite anecdote à ce sujet : dans un restaurant un menu proposait deux types de riz sauté : de Yangzhou (ville célèbre pour son riz sauté) et à la française, pour cinq yuans de plus. J’ai demandé au patron pourquoi c’était plus cher, il m’a dit qu’il y avait un œuf de plus, ajouter « à la française » devant sembler plus cher.
WY : On reste souvent sur le cliché le plus courant : on a l’impression que le sport national en France est la grève et qu’il y a des vacances illimitées. On a vraiment l’impression que la France est très dangereuse, Paris en particulier. Cette mauvaise image conduit les touristes chinois à se détourner de la France.
YB : Il y a souvent en France une vision dichotomique de la Chine : à la fois avec des moyens financiers illimités et toujours en sous-développement, comme si les images du Shanghaï moderne et celles des campagnes des années 1950 coexistaient dans l’esprit de nos compatriotes. La même dichotomie existe sur le plan politique, avec une double image d’un communisme égalitaire et d’un capitalisme débridé. La Chine est sans doute un mélange complexe de tout cela…
ChatGPT est un des sujets technologiques suscitant le plus de réactions, y a‑t-il une différence d’opinion vis-à-vis du développement de l’intelligence artificielle en France et en Chine ?
CD : D’une manière générale, les deux pays favorisent le développement de l’IA, je peux même ajouter Singapour comme autre référence. Je crois que ces pays capables d’IA, du gouvernement à l’industrie, tentent tous d’adopter les dernières technologies. S’il y a une différence, c’est surtout dans les projets spécifiques ou dans les niveaux de financement.
WY : Les entrepreneurs chinois sont plus anxieux et en même temps plus enclins à adopter de nouvelles choses ; comme toutes les autres industries, les grandes entreprises et les entrepreneurs se sont précipités sur ChatGPT. Cela a déjà eu un impact énorme dans de nombreux secteurs tels que les jeux et la publicité, ainsi que sur les postes juniors.
YB : De manière générale la Chine adopte très rapidement les nombreuses nouvelles technologies. L’arrivée massive de l’IA en Chine est bien sûr une source d’opportunités mais également un danger certain, car les technologies de surveillance et de collecte de données sont déjà largement généralisées et à peu près acceptées par la population, et l’addition de l’IA peut facilement nous emmener plus loin que dans le 1984 d’Orwell…