Solène Laurent (X15) Du platâl au plateau des théâtres
C’est par un curieux mélange d’hésitations et de détermination qu’une jeune polytechnicienne s’est retrouvée à assurer une mission originale : concevoir des décors de théâtre. Comme quoi l’X mène à tout, quand on a la passion de ce que l’on fait…
Dans la mise en scène futuriste du Tannhäuser de Richard Wagner que David Hermann imagina en 2022 pour l’opéra de Lyon, le retour du héros dans la Wartburg, à la fin du premier acte, laissait apparaître en fond de scène « un gigantesque revêtement de miroirs dont la surface n’était pas lisse, ce qui générait des reflets torves très intrigants, esthétiques et mystérieux », selon les termes du critique Bertrand Bolognesi pour le site Anaclase. Eh bien, derrière ce miroir, il y avait, si l’on peut dire, Solène Laurent, qui avait été chargée de concevoir ce phénoménal décor.
Un rêve paternel devenu réalité
Tout commence à Magny-les-Hameaux, dans les Yvelines, où Solène passe son enfance. La maison n’est pas très éloignée de l’X et, lorsqu’il circule en voiture sur les voies d’autoroute qui longent le plateau, le père de notre camarade, ingénieur dans les télécoms, se prête à rêver à voix haute que sa fille, un jour, pourra peut-être y étudier. Mais la jeune fille, fascinée par les langues étrangères, se voit plutôt traductrice. Pour autant, après une visite au musée du Conservatoire des Arts et Métiers naît chez elle une curiosité pour le monde de l’industrie et des transports. Cela la conduit naturellement en classes préparatoires, plus précisément au lycée Jean-Baptiste-Say, en filière physique et technologie. Puis, comme l’imaginait son père en conduisant, elle intègre l’X en 2015 et commence sa scolarité par un service civique dans une association qui accompagne les personnes tétraplégiques souffrant du terrible locked-in syndrome.
Par goût pour l’étranger, elle effectue un premier stage en Italie, pour le compte de Total qui envisage d’exploiter de nouveaux gisements au sud de Naples, mais elle en revient sans passion pour l’énergie ; puis un second, en Suède, pour étudier, sans enthousiasme excessif non plus, différentes questions liées aux véhicules terrestres.
Le sport d’abord
À l’École, elle trouve les cours un peu trop théoriques, mais Polytechnique sera malgré tout le lieu de naissance inattendu d’une double passion : pour le sport, tout d’abord, et pour la scène, ensuite. La première la conduit, à Palaiseau, à expérimenter de nouveaux types de fartage qui permettraient aux biathlètes d’utiliser des skis plus performants, puis, au MIT, à s’intéresser à la physique du skateboard – nouvelle discipline sportive qui allait être inscrite aux JO de Tokyo, et qui pourtant restait peu étudiée. Son sujet de recherche est aussi simple à énoncer que difficile à résoudre : comment et à quel moment un skateur, sur une pente donnée, devra-t-il manœuvrer sa planche pour rester ensuite le plus longtemps en l’air ?
“Un domaine qui permet de faire rêver les gens.”
Puis surtout le théâtre
Mais il n’y a pas que la physique du sport dans la vie de Solène, il y a aussi la production théâtrale. Elle découvre cette activité grâce au binet comédie musicale (aujourd’hui binet Broadway), qui s’est donné pour mission de monter dans l’amphi Poincaré le spectacle Aladdin, lequel faisait alors fureur à Broadway. Tout juste diplômée, elle poursuit dans cette voie, au sein de l’association Rise Up qui, en dépit des difficultés causées par les confinements, parvient à produire au théâtre de Rueil-Malmaison une comédie musicale intitulée Nassau. Elle en crayonne les décors, puis les conçoit en maquette, avant de les réaliser grandeur nature : l’expérience la passionne.
Pour creuser son sillon dans un secteur où les polytechniciens ne sont pas les plus attendus, elle accepte ensuite une mission plus technique à l’Opéra national de Bordeaux, où elle s’occupe de la maintenance du bâtiment, chef‑d’œuvre de l’art architectural du XVIIIe siècle. Puis elle apprend qu’un poste en bureau d’études « décors » s’ouvre à Lyon ; elle postule et l’obtient, et c’est ainsi qu’elle est amenée à travailler sur le gigantesque miroir d’un Tannhäuser de science-fiction. Même s’il ne s’agit pas d’un équipement destiné à un quelconque usage technique, il faut dans ce domaine aussi travailler avec une grande précision, « non pour les spectateurs qui, placés à plus de vingt mètres d’un décor, n’en voient pas vraiment les détails, mais pour éviter les fuites de lumière entre différentes parties d’un même élément », explique-t-elle.
La consécration à Genève
Une fois achevée l’expérience lyonnaise, Solène est presque naturellement recrutée au Grand Théâtre de Genève, et là ce n’est plus un miroir, mais carrément un aéroport ou une piscine que la fantaisie des metteurs en scène l’amène à concevoir (respectivement pour Le retour d’Ulysse, de Monteverdi, et Nabucco, de Verdi). « J’aime exercer un métier dans un domaine qui permet de faire rêver les gens », avoue la jeune femme avec enthousiasme. Ainsi, à défaut de traduire des textes en langue étrangère comme elle en avait l’intention durant son adolescence, elle interprète les intentions des scénographes, ce qui n’est pas plus simple. Et, lorsqu’elle ne travaille pas, elle s’adonne à sa passion pour la montagne, qu’elle parcourt à pied ou dévale à skis. « C’est aussi par passion des décors, ceux, grandioses, qu’offre la nature », conclut-elle en souriant.