Francis Mer (X59) un grand patron qui misait sur les hommes et l’innovation
Décédé le 1er novembre 2023, Francis Mer a eu une carrière marquée par son souci de servir la France, que ce soit comme ministre ou comme patron. Son action a été guidée par la priorité qu’il accordait de façon constante au capital humain et à l’innovation.
Francis Mer est né le 25 mai 1939 à Pau. Il est le fils de René Mer, ingénieur général du génie rural, et d’Yvonne Casalta, ainsi que le neveu du docteur Paul Mer, grand résistant qui devint président du comité départemental de libération de la Mayenne en 1944. Après des études au lycée Montesquieu de Bordeaux, il intègre l’École polytechnique en 1959. En 1962, il rejoint le corps des Mines et passe une licence de sciences économiques.Il entame alors une carrière de fonctionnaire, d’abord au ministère de l’Industrie à Paris, à la direction des Mines de 1965 à 1966 puis à Abidjan de 1967 à 1968 au Conseil de l’Entente. Il intègre le Comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne en 1969.
De l’administration à l’industrie
En octobre 1970, il rejoint le groupe privé Saint-Gobain où il devient responsable de la planification stratégique. En 1974, il devient directeur général de Saint-Gobain Industries, puis en 1978 directeur général adjoint de la Compagnie de Saint-Gobain. En 1982, après la nationalisation de l’entreprise, Francis Mer assure les fonctions de PDG de Pont-à-Mousson et de directeur de la branche « canalisations et mécanique » de Saint-Gobain.
En 1986, l’État décide de fusionner les deux entreprises françaises Usinor et Sacilor, et se préoccupe de restaurer la compétitivité et la rentabilité de l’entreprise avant l’échéance imposée par la Communauté européenne, à savoir la fin du régime de protection prévu à l’article 58 du traité. À cette fin, il nomme Francis Mer à la tête du groupe Usinor-Sacilor.
Francis Mer va affirmer que l’on peut avoir une sidérurgie européenne, en particulier française, utile à notre pays et rentable, mais sous certaines conditions : comprendre et intégrer ce qui se passe ailleurs, être utile, satisfaire les besoins exprimés ou tacites, penser futur, travailler ensemble.
Le personnel, principal capital de l’entreprise
D’un point de vue très opérationnel, cela s’est traduit par la nécessité vitale d’avoir les meilleurs coûts de production, et pour cela avoir en particulier le meilleur personnel. Citons Francis Mer : « Le personnel n’est pas une masse salariale : c’est le principal capital d’une entreprise. Il travaille beaucoup mieux lorsque la reconnaissance dont il bénéficie lui en donne l’envie. Dès lors, rien ne lui est impossible. » Cela se traduisait aussi par la nécessité d’adapter l’outil de fabrication à la demande, tout particulièrement la demande future. Le groupe a fortement réduit ses effectifs, en déployant un très important programme de réinsertion. La Sodie (Société pour le développement de l’industrie et de l’emploi), filiale du groupe créée à cette fin, avait ainsi pour but de développer la politique d’accompagnement des réductions d’effectifs prévue dans l’accord nommé Cap 2000 signé avec les partenaires sociaux (tous sauf la CGT), qui, outre les préretraites, prévoyait un programme particulièrement efficace de réinsertion, reconnu par tous les intéressés, et qui s’ouvrira plus tard à d’autres industries compte tenu de son efficacité.
Pratiquer un langage de vérité
Cette période d’importante réduction des effectifs s’est passée sans difficulté majeure, grâce à cet accord mais aussi à la crédibilité personnelle de Francis Mer qui a toujours tenu un langage de vérité. Revenant un jour d’un conseil d’administration où je planchais sur notre politique de R & D, j’ai été rejoint par un groupe de syndicalistes qui souhaitaient me poser quelques questions supplémentaires, et qui m’ont dit : « Nous ne pouvons pas forcément être en accord avec lui, mais il ne nous ment pas et on peut discuter franchement. » On m’a fait la même remarque un jour où je me trouvais à Bercy pour un colloque.
Le groupe devient un des pionniers du développement de la logique « compétence ». Il décide de consacrer à la formation l’équivalent de 8 % de la masse salariale – un chiffre considérable – pendant quatre ou cinq ans, suivi de 4 % à 5 % pendant quinze ans, considérant que cet investissement en capital humain était indispensable à son futur.
“Le personnel n’est pas une masse salariale : c’est le principal capital d’une entreprise.”
Enrichir l’offre de produits
Enfin, pour pouvoir continuer de vendre rentablement de l’acier français, puis européen, à des entreprises essentiellement européennes, l’offre devait être la plus intéressante pour le client, sans nul doute plus chère à la tonne que les aciers importés, mais meilleure en fait pour lui grâce à des performances accrues lui permettant d’améliorer la qualité et le coût de ses propres produits.
Ainsi donc, après le personnel, l’offre, ce qui suppose un budget de recherche accru. Le groupe a fait un effort important de développement de sa R & D, tant pour réduire les coûts de fabrication que pour améliorer la qualité, mais aussi et surtout pour développer des nouveaux produits adaptés aux besoins actuels et futurs des utilisateurs. En 2000, dans les produits plats, 40 % des produits fabriqués n’existaient pas cinq ans auparavant. Pour accompagner les clients dans leurs métiers, et surtout les comprendre afin de pouvoir les appuyer dans leur propre développement, la R & D a également développé des compétences et des moyens techniques dans tout ce qui touche à l’utilisation du métal. Des vrais partenariats ont ainsi pu être noués.
Développer la formation et la recherche
Francis Mer résumait ainsi sa vision : « La recherche, d’une part, le savoir-faire et les compétences du personnel, de l’autre, sont donc les deux piliers de la réussite, sachant que le personnel doit être réduit au minimum dans ce métier hautement compétitif et mondial. » Le groupe renoue avec des résultats positifs dès 1988. Pendant toute la période où le groupe était nationalisé, Francis Mer a tout fait pour gérer l’entreprise comme si elle était privée. Rappelons sa position : Usinor est une entreprise avec un seul actionnaire à 100 %, l’État, et qui a une vision de long terme.
Un patron engagé
À partir de juin 1988, Francis Mer assure de nombreuses autres fonctions : président de la Fédération française de l’acier (1988−2002), d’Eurofer, association des producteurs d’acier européens (1990−1997), de l’International Iron and Steel Institute, association mondiale des producteurs (1997−1998), du Cercle de l’industrie (2001−2002). Côté enseignement et recherche, Francis Mer participe aux travaux de la Fondation Saint-Simon. De 1989 à 1997 il préside le conseil d’administration du Conservatoire national des Arts et Métiers (Cnam). Après 1991 il préside l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) où il lance l’opération FutuRIS.
Création d’Arcelor
Francis Mer est particulièrement actif dans la création d’Arcelor en 2001, groupe réunissant Arbed (Luxembourg), Aceralia (Espagne) et Usinor, dont il assure la direction. Arcelor, devenu de loin numéro 1 mondial, est considéré comme une réussite, par sa taille qui lui permet de livrer des clients qui deviennent de plus en plus internationaux, par sa technologie et par ses produits innovants qui pourront servir plus d’utilisateurs. Francis Mer lui aussi est mis en avant pour avoir réussi à faire cette fusion d’une manière efficace et sans créer de traumatismes.
À la tête d’un superministère
Est-ce la raison pour laquelle il est choisi pour entrer au gouvernement qui souhaitait avoir en son sein un homme d’entreprise pour mener à bien un certain nombre de changements ? Pour Francis Mer, sûrement un nouveau défi, après sans doute s’être dit « mission accomplie » pour Arcelor. Du 7 mai 2002 au 30 mars 2004, Francis Mer devient ainsi membre du premier et du deuxième gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, chargé d’un superministère regroupant l’Économie, les Finances et l’Industrie, choisi pour renforcer la transparence des marchés, fusionner les organismes de contrôle financier et promouvoir la privatisation d’entreprises publiques.
Des actions marquées par la cohérence
Des objectifs pas très différents de ceux défendus lors de ses activités précédentes dans le privé… Et en fait une manière d’agir également proche. Une grande cohérence…
Parmi ses actions, citons en particulier la loi relative à la sécurité financière, promulguée le 1er août 2003, qui procède à une ample réforme des autorités de contrôle des activités financières. Est ainsi créée l’Autorité des marchés financiers (AMF), autorité administrative indépendante destinée à améliorer l’efficacité et la visibilité de l’organe régulateur des marchés et des activités financières. Et aussi la cession des participations de l’État dans différentes entreprises : après Renault et DCN en 2002, c’est Air France en 2003 puis Snecma et France Télécom en 2004 qui voient une partie de leur capital privatisée. Également, la possibilité de déclarer ses impôts sur internet (22 mars 2002), une des mesures destinées à simplifier les démarches administratives. Et, enfin, la négociation d’un accord commercial avec les États-Unis permettant aux entreprises françaises d’accéder au marché américain.
Pour un État stratège
Pendant sa participation au gouvernement, Francis Mer défend fermement l’intervention de l’État pour sauver des entreprises françaises stratégiques. Il y est un ardent défenseur des intérêts des entreprises et un promoteur du libre échange et de la mondialisation, mais sous conditions. En 2004, il préside la Fondation pour l’innovation politique créée par Jérôme Monod. En septembre 2004 il devient président du Comité d’évaluation des stratégies ministérielles de réforme. En 2009, il lancera la Fondation Condorcet, un think-tank sur la gestion des entreprises. Il participe à de nombreux clubs tels qu’Entreprises pour l’environnement ou Confrontations animé par Philippe Herzog (X59). En 2006, il assiste à l’OPA de Lakshmi Mittal sur Arcelor sans avoir la possibilité d’agir, ayant quitté l’entreprise depuis quatre ans et n’ayant plus de lien avec elle, ni avec les pouvoirs publics. Une période sans nul doute frustrante et difficile pour lui.
Moine-soldat
En janvier 2007, Francis Mer devient président du conseil de surveillance de Safran, groupe issu de la fusion de la Snecma et de la Sagem. Il veille à améliorer les synergies entre les deux entreprises, comme il l’avait fait pour Usinor et Sacilor en 1986. Il est nommé vice-président de Safran en avril 2011. Francis Mer a souvent été décrit comme un moine-soldat. Moine, certainement ce mot peut signaler la foi profonde qui l’animait, mais il n’en parlait jamais publiquement.
Seule la présence dans son bureau d’une statue de sainte Barbe, patronne des métiers liés au feu, aurait pu le laisser entrevoir. Moine et soldat, évidemment pour son aspect strict, sa moralité, son sens du service pour l’homme.
La volonté de servir
Il y a eu de très nombreux témoignages dans la presse sur l’action qu’il a menée. Si l’on reprend les mots que l’on y retrouve : cohérence de sa conduite, courage, désintéressement, sens du bien public, vision à long terme, fidélité à ses convictions, confiance, franchise, rigueur, amour de la France, croyance en l’Europe, sens du devoir, vision d’une économie au service de l’homme. Ces hommages viennent de tous, Francis Mer était farouchement opposé à tout sectarisme, parlait à tous quelles que soient leurs différences avec lui.
Parmi les beaux hommages qu’il a reçus, citons celui de Jean-Pierre Raffarin qui l’a bien connu au gouvernement, qui a salué en lui « un homme d’une éthique intransigeante, d’une loyauté intégrale et d’une volonté de servir, aimant la France ». Ayant eu la chance de travailler pendant seize ans aux côtés de Francis Mer comme directeur de la R & D d’Usinor-Sacilor puis de l’innovation Arcelor, j’aimerais juste ajouter une qualité de plus, dont nous avons tous bénéficié : il faisait grandir les gens qui travaillaient avec lui.
3 Commentaires
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Gilbert de Guerry ingénieur puis marketing puis recyclage de l’activité ferblanc et enfin président de l’union des Industries du recyclage regroupant APE, Alu, Papier carton, verre, et plastique A Germain Sanz
Cher ancien collègue d’Usinor , je vous suis tres reconnaissant de ce beau texte sur F Mer. Puis-je rajouter un témoignage personnel rendant compte à la fois de son engagement pour APE (Acier pour emballage alias Fer Blanc) et de son ouverture d’esprit :
L’engagement pour APE : lorsque nous avons lancé la campagne de pub »la boite acier, c’est facile à recycler »: aussitot le PDG de Péchiney (.….?)lui a téléphoné pour lui demander de faire cesser cette campagne qui »relancait la guerre des matériaux ». F Mer a tenu bon !
L’ouverture d’esprit : un jour j’ai eu à lui faire une présentation sur la position concurrentielle d’APE,versus le PET, dans la boisson ; j’ai su lui montrer les grandes qualités techniques du PET : le lendemain j’avais sur mon compte 2000 stock options Usinor ! Merci F Mer et à vous !
Sais-tu ce que pensait Francis Mer du rachat d’Arcelor par Mittal, alors dirigé par son successeur notre camarade de promotion Guy Dollé ?
Et plus généralement de la vente à des sociétés étrangères de champions nationaux patiemment bâtis ( Péchiney, Alcatel, Lafarge, etc.) ?
S’est-il exprimé sur ce sujet ?
Amical souvenir. François Xavier MARTIN (63)
Quatre frères Hardy avaient créé en 1919 une société de marchands de fer, Hardy-Tortuaux. Petit-fils de l’aîné des Hardy j’en ai pris la présidence en 1984. Ma famille avait décidé en 1977 de vendre la société à Albert Frère qui dirigeait Hainaut-Sambre en Belgique et à l’Arbed luxembourgeoise, à 50–50 chacun. Vers 1990 Francis Mer a proposé à l’Arbed de fusionner la filiale distribution d’Usinor, très déficitaire, avec Hardy-Tortuaux pour former ARUS (compression d’Arbed et Usinor) dont j’ai pris la présidence. Francis Mer était au conseil d’administration de cette société. Lorsque j’ai redressé les résultats d’ARUS, Francis Mer a trouvé opportun de vendre ARUS à Klöckner & Co filiale d’un groupe allemand E.on. J’ai donc eu comme administrateur Francis Mer, pendant six ans après avoir eu avant lui Jean Gandois et Raymond Lévy. Trois grands patrons, trois personnalités différentes, et toutes inspirantes. Francis Mer combinait la recherche d’une synthèse avec la vision à long terme. Extrêmement rigoureux, homme pressé, il savait aussi créer un climat de confiance bénéfique à la coopération. Il aura marqué tous ceux qui l’ont côtoyé.