Après l’échec vient le rebond : continuer à diffuser et promouvoir la culture de la prévention
L’ARE, l’Association pour le Retournement des Entreprises, poursuit ses efforts initiés il y a déjà 22 ans pour accompagner le tissu entrepreneurial et les dirigeants français qui peuvent faire face à des difficultés à un moment de la vie de leur entreprise. En décembre 2023, Benoît Desteract, alors président de l’Association1, revenait pour nous sur les missions de l’association, ses actions ainsi que les sujets qui la mobilise au quotidien.
L’ARE a fêté en 2022 son 20e anniversaire. Pouvez-vous nous présenter l’association, ses principales missions et ses membres ?
Aujourd’hui, l’association comprend 310 membres. Il y a 22 ans, à sa création, nous n’étions qu’une quinzaine de membres. L’association regroupe l’essentiel des professions du restructuring : avocats, conseils financiers et opérationnels, mandataires ad hoc/conciliateurs, banquiers, fonds d’investissement, managers de crise, communicants, banquiers d’affaires, affaires spéciales des banques, banques judiciaires, cabinets de stratégie… Sa principale mission reste de promouvoir et de diffuser une culture de la prévention des difficultés et de partager les meilleures pratiques pour s’en sortir. Nous acceptons parmi nos membres, toutes les personnes qui travaillent sur cette notion de prévention des difficultés. En parallèle, l’association travaille aussi sur la reconnaissance de la restructuration de l’entreprise. Si une entreprise peut au cours de son parcours « tomber », l’essentiel est qu’elle puisse trouver les moyens de « rebondir ». C’est notamment ce message qui est porté par le Prix Ulysse qui récompense chaque année les meilleurs retournements.
Dans cette démarche, notre action s’articule autour d’axes complémentaires : former un « noyau dur » de membres fondateurs pour lesquels les plus hauts standards d’expérience sont requis et recruter des personnes adhérant aux principes fondateurs d’éthique et de professionnalisme ; favoriser la compréhension et la connaissance des techniques et impératifs du retournement par la communauté des affaires, les organismes gouvernementaux et législatifs, les médias ; maintenir et améliorer la performance des professionnels du retournement et de la restructuration en adoptant les plus hauts standards de recrutement, de gestion et d’autocontrôle des membres afin d’établir un label de qualité et une qualification professionnelle ; favoriser la création d’un réseau européen regroupant par le biais d’associations identiques les professionnels impliqués dans des opérations complexes et internationales pour favoriser l’émergence d’une « best practice » européenne.
“Sa principale mission reste de promouvoir et de diffuser une culture de la prévention des difficultés et de partager es meilleures pratiques pour s’en sortir.”
Au cours des deux dernières décennies, quelles sont les principales évolutions connues par le monde du redressement et du retournement des entreprises ?
Nous évoluons dans un monde où la loi, la législation et la réglementation évoluent très régulièrement. Ce contexte mouvant implique un professionnalisme accru de la part des acteurs du monde du restructuring. Plus particulièrement, sur les 10 dernières années, je note deux éléments majeurs. Premièrement, la création de 15 tribunaux de commerce spécialisés vers lesquels sont systématiquement redirigées les sociétés d’une certaine taille. Deuxièmement, la directive Insolvency ou Insolvabilité qui met en place des classes de parties affectées et qui a, à mon sens, deux conséquences majeures ; la convergence du droit européen et le retour de la valeur de l’entreprise au centre des débats.
En parallèle, nous avons aussi assisté à une plus grande professionnalisation de notre secteur avec l’émergence de nouveaux métiers, comme les communicants de crise, les managers de transition, mais aussi le développement d’acteurs plus forts, notamment au niveau des cabinets du chiffre après la crise de 2008.
Comment évaluez-vous le contexte économique actuel et son impact sur les entreprises ?
En 2023, nous avons enregistré une très forte progression des défaillances d’entreprises. Toutefois, il n’est pas certain que cette hausse soit un effet de rattrapage. On note ainsi 32 % de procédures collectives en plus et 6 % de procédures amiables en plus par rapport à 2022. Nous allons retrouver les chiffres de 2018 en matière de procédures collectives. Les chiffres sont très élevés, de l’ordre de 54 000 procédures collectives et 7 500 procédures amiables. Toutefois, cela signifie également que les entreprises sont de plus en plus nombreuses à se tourner vers le tribunal du commerce pour travailler sur leurs difficultés en amont.
Il est, par ailleurs, évident que la fin des aides accordées en pleine pandémie et crise de la Covid a un impact sur le nombre de défaillances d’entreprises, même si elles ne sont pas toutes concernées. On note également que les entreprises doivent plus que jamais renforcer leurs fonds propres pour passer le cap. Sur un plan sectoriel, la promotion immobilière est un secteur qui souffre particulièrement à l’heure actuelle, alors que le retail continue à faire face à de profondes difficultés qui persistent depuis plusieurs années.
Quels sont, selon vous, les principaux enjeux et points de vigilance ?
En cette période de forte transformation, il y a un besoin renforcé d’investissement. Les entreprises sont dans l’incapacité de s’endetter à cause de la hausse des taux d’intérêts, mais aussi à cause de l’endettement qui résulte de la période de la crise sanitaire. Comme précédemment mentionné, la solution pour sortir de ce cercle vicieux est indéniablement le renforcement des fonds propres des entreprises.
L’ARE déploie, par ailleurs, de nombreuses actions tout au long de l’année. Quelques mots sur les principales initiatives.
Chaque année, nous organisons un colloque en province. L’édition 2023 s’est tenue à Nantes et le prochain colloque, prévu en 2024, se tiendra à Bordeaux. L’idée est de diffuser en province l’actualité sur la prévention des difficultés. En 2023, comme en 2022, nous avons organisé un colloque scientifique à Paris, un regard croisé sur les différents régimes du plan de restructuration, nouvellement introduits au sein de l’UE, avec un focus sur l’Allemagne, l’Espagne, la France et les Pays-Bas. Dans ce cadre, nous avons convié des magistrats néerlandais, espagnols et allemands. Cela nous a permis de voir comment les choses évoluent en Europe, mais aussi de nous rendre que nous parlons en quelque sorte le même langage ! C’est un colloque que nous avons organisé avec le CEDAG (Centre de Droit des Affaires et Gestion), et INSOL Europe.
Dans le cadre de notre commission des lois, nous avons travaillé sur des propositions pour la présidentielle 2022. Nous poursuivons actuellement ce travail autour des sujets et des enjeux qui sont portés par la chancellerie. En outre, l’ARE a participé à plus de 40 comités de crise. Nous avons aussi été signataires de la Charte de sortie de crise du gouvernement. L’ARE a toujours accordé un intérêt particulier pour la formation. Ainsi depuis 10 ans, nous avons noué des partenariats universitaires forts avec sept écoles : Dauphine, HEC entrepreneur, dans lequel il y a des étudiants de l’École Polytechnique et de HEC ; l’emlyon et la faculté Lyon III, le Master Trade de l’Université Paris Panthéon Assas, l’ESSEC et l’EDHEC. Au travers de ces partenariats, notre objectif est de faire passer un message fort de sensibilisation auprès des étudiants : au cours de sa vie professionnelle, un entrepreneur sera confronté à l’échec, mais cette situation n’est pas irrémédiable. Il est donc important de s’y préparer et de développer les bons réflexes.
En parallèle, nous réalisons aussi des formations auprès de la BPI sur des thématiques diverses comme les chiffres et la crise, le droit social… Nous avons prévu, début 2024, une formation sur les classes de parties affectées. Nos formations sont ouvertes à nos membres, mais également à des professionnels qui ne font pas partie de l’ARE et qui ne sont pas uniquement des professionnels du restructuring.
Nous avons travaillé sur un livre blanc sur la psychologie des chefs d’entreprise que nous avons publié début 2023. Cet ouvrage reprend et détaille la thématique de l’échec et du rebond qui est incontournable dans le monde du redressement et du retournement des entreprises.
“En 2023, nous avons organisé la 13e édition de ce prix connu de toute la profession. Cette édition a été organisée sous le patronage de Monsieur Roland Lescure, ministre de l’Industrie. Le Prix Ulysse cherche à récompenser le meilleur retournement d’entreprise. C’est un moment important et très structurant pour l’association, car il nous permet de mettre en valeur des entrepreneurs qui ont retourné l’entreprise et qui ont réussi à rebondir après l’échec. ”
Parmi ces actions, on retrouve le Prix Ulysse. Pouvez-vous nous en dire plus sur la dernière édition ?
En 2023, nous avons organisé la 13e édition de ce prix connu de toute la profession. Cette édition a été organisée sous le patronage de Monsieur Roland Lescure, ministre de l’Industrie. Le Prix Ulysse cherche à récompenser le meilleur retournement d’entreprise. C’est un moment important et très structurant pour l’association, car il nous permet de mettre en valeur des entrepreneurs qui ont retourné l’entreprise et qui ont réussi à rebondir après l’échec.
Pour l’édition 2023, nous avions trois nominés : La Fermière, une entreprise qui produit des yaourts ; Les Papeteries du Léman et Transports Guyamier. Le Lauréat est Transports Guyamier, une entreprise de transport de la région bordelaise qui a réussi à rembourser son plan de continuation et à renouer avec la croissance externe sous la direction d’un chef d’entreprise qui avait moins de 30 ans quand il a succédé à sa grand-mère. Ce retournement est aussi une très belle histoire humaine et saga familiale qui avait débuté en 1948 et qui a vu se succéder trois générations.
Transports Guyamier rejoint ainsi les autres lauréats du prix : Les Zelles (2022), Vertbaudet (2021), Canal Toys (2020), Carbone Savoie (2019), P3G (2018), Excelrise (2017), Jardiland (2016), Anovo (2015), SPS (2014), Toupnot (2013), Mécachrome (2012) et CPI (2011).
La prochaine édition aura lieu le 18 mars 2024 à l’Automobile Club, sous le haut patronage de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie.