« La communication de crise est essentielle pour préserver la confiance »
De plus en plus souvent sous le feu des projecteurs, les entreprises en difficulté doivent apprendre à maîtriser leur communication. L’objectif ? Informer, rassurer et préserver la confiance. Véronique Pernin, fondatrice il y a plus de 15 ans de VP Strat, agence « incontournable » en communication de crise avec un track record important de retournements et reprises réussis, livre ses conseils.
A quoi sert la communication pour les entreprises en difficulté ou lors de situations spéciales ?
Difficultés économiques, mouvements sociaux, attaques informatiques ou médiatiques, crises sanitaires. Face à la crise, il y a une perte de rationalité. Inquiétudes, rumeurs, fakes news… On change alors de paradigme : on entre en « communication de crise », qui renvoie à un ensemble de techniques et de méthodes pour maîtriser ce qui se dit sur l’entreprise. Il est alors préférable d’être accompagnés par des professionnels spécialisés, qui vont traiter la crise de façon spécifique, tout en protégeant les équipes de direction internes. Dans les situations spéciales, il faut aussi inclure les cessions ou acquisitions d’entreprises, ou le « carve out » (séparation d’une branche) qui doivent faire l’objet de communications spécifiques et préparées.
Pouvez-vous présenter ce qu’est la communication de crise ?
La communication de « crise » ou « en situation spéciale » est une communication qui anticipe et active un plan d’urgence sur-mesure et adapté à une situation d’urgence de l’entreprise. Elle vise à préserver la confiance, éviter les phénomènes de « sauve-qui-peut ». Elle peut aussi être un levier tactique de négociation lors de rapports de force, ou favoriser une reprise « in bonis » ou « à la barre ». Elle permet enfin de redoper l’entreprise dans la vision de son rebond. C’est un formidable outil pour redonner une « dynamique » vers de nouvelles perspectives pour l’entreprise.
Il y a encore quelques années, la communication de crise ne faisait pas partie des priorités des groupes dans la tourmente. Aujourd’hui a‑t-elle trouvé sa place dans ces configurations ?
Le conseil en communication de crise est devenu un volet indispensable des opérations de retournement, pour préserver la confiance et accompagner de façon structurée les solutions de sortie de crise et leurs annonces : plan de reprise, new money, plan de continuation, ou autre. C’est un ensemble de méthodes appliquées avec rigueur et réactivité au service d’objectifs très opérationnels. Ceci dit, il reste encore du chemin à parcourir, beaucoup d’entreprises réagissent encore un peu tard. Par exemple certaines nous sollicitent encore APRES le CSE d’annonce d’une procédure collective, alors que tout doit être calibré AVANT pour bien maitriser la communication interne qui a une grande porosité avec l’externe. D’autres décident de ne pas communiquer pensant que la poussière restera sous le tapis. Or, ne rien dire, c’est prendre le risque de laisser dire et que d’autres parlent à votre place.
Faut-il se préparer même quand on ne veut pas communiquer ?
Avec les différents médias, l’information en continu, les réseaux sociaux et le digital, l’entreprise est au milieu d’une chaîne de communication ininterrompue que ce soit en interne, en externe, vis-à-vis de la presse ou des influenceurs et réseaux sociaux. Tout communique. Pour anesthésier une situation, il est impératif d’avoir une communication prête à sortir en cas de fuite : c’est ce que l’on appelle une stratégie défensive. Récemment, pour une marque historiquement connue, nous avons réussi à ce que rien ne sorte. Ni en procédure de prévention, ni en redressement judiciaire. L’anticipation et le contexte du dossier nous ont permis de protéger la marque internationale de la maison-mère, de préserver la confidentialité dans un processus de reprise déjà enclenché (pré-pack), de construire les messages clés pour être prêts en cas de fuite. Une veille très pointue sur les médias, réseaux sociaux, forums et blogs avait été mise en place pour anticiper tous les signaux faibles et pouvoir réagir immédiatement.
Comment intervenez-vous ?
VP Strat a conçu une approche très réactive, technique et opérationnelle de la communication de crise. On anticipe les risques, on protège l’entreprise et ses actionnaires, on communique un nouvel élan. Cela passe par une ligne éditoriale claire portée par différentes actions pour rassurer et maintenir la mobilisation du personnel ; conserver la confiance des clients, partenaires et fournisseurs ; expliquer la situation et les stratégies de redressement mises en place ; et valoriser la transparence ainsi que les atouts et perspectives de l’entreprise. Enfin, derrière ces procédures, ne jamais oublier qu’il y a des hommes, des femmes, des familles, et notre action vise toujours à servir le redressement de l’entreprise avec empathie, humilité et un optimisme toujours réaliste.
Quels conseils donneriez-vous aux dirigeants ?
Il n’y a pas de vérité absolue en communication, science de la perception, mais il existe quelques fondamentaux invariables de méthodologie.
Après la création d’une cellule stratégique ou de crise intégrant toutes les dimensions utiles au traitement des difficultés (juridique, financière, sociale, RH, communication, etc.), il faut immédiatement mettre en place une veille sur les médias, réseaux sociaux, blogs et forums pour pouvoir réagir en temps réel. Dans le même temps, une stratégie de communication (proactif, défensif) avec des objectifs clairs doivent être définis en cellule. Il est important d’identifier les cibles et relais clés en interne et en externe. Nous établissons un Q&A (questions-réponses) sans complaisance ni autocensure et avec les dates et chiffres clés, qui permettra de rédiger des éléments de langage cohérents (statement, communiqué). Un porte-parole unique est désigné pour transmettre les messages. La communication est déployée de manière structurée et selon un timing rapide.
Au-delà de ces quelques points, de nombreux conseils et astuces peuvent être appliqués à chaque situation. Il nous arrive aussi d’apporter simplement notre vision et nos conseils de communicants sur un dossier sans pour autant intervenir dans l’opérationnel, tout cela dans un respect absolu de confidentialité. Chaque dossier a son histoire.
Les dirigeants sont-ils suffisamment formés aux enjeux communicationnels ?
Les dirigeants sont dans l’ensemble bien formés aux enjeux de la communication, mais en période de crise, ils sont confrontés à une hypersensibilité des équipes, accentuée par un facteur temps qui bouscule la réflexion de fond et la rationalité. Il est alors préférable de se reposer sur des spécialistes externes moins exposés à la situation. En crise, tout s’accélère et une communication non maîtrisée peut vite glisser comme le sable entre ses doigts. C’est pourquoi il faut toujours anticiper, parler en premier pour expliquer, ou tout au moins se tenir prêt.
Accompagnez-vous aussi des crises industrielles (explosions, risques sanitaires) ?
Nous mettons en place des guides de procédure de communication de crise très opérationnels avec formations des équipes pour démultiplier et les rendre prêts. Récemment nous avons accompagné un grand groupe d’agroalimentaire dans ses process de communication en cas de risques d’intoxication alimentaire (TIAC) pour que les équipes soient autonomes, immédiatement opérationnelles et prêtes à réagir si cela arrivait. Ensuite si crise, nous pouvons intervenir en support vis-à-vis de l’interne, des élus et des médias notamment.
Quelle est votre plus belle réussite professionnelle en matière de restructuring ?
Récemment, nous avons accompagné des groupes comme Lapeyre dans son plan de relance ou le groupe GIFI dans sa restructuration du réseau de magasins Tati afin de sauvegarder un maximum d’emplois (1200 sur 1400), ainsi que Celio, Flunch, la reprise des magasins Office Dépôt par la coopérative Alkor ou encore des groupes pharmaceutiques, retail, ou industriels. Mais si je devais retenir un dossier, ce serait celui de l’aciérie Ascoval et ses 300 salariés. Un bel exemple du rôle que peut jouer la communication pour accompagner une entreprise en voie de redressement autour d’une « union sacrée » entre salariés, syndicats, la direction de l’usine, les politiques (Bruno Le Maire, Agnès Pannier, Xavier Bertrand, Valérie Létard, entre autres), les médias, et les conseils en retournement (avocats, administrateurs judiciaires, auditeurs, conseil en stratégie). La communication a accompagné de façon très étroite la phase judiciaire, les moments de tension et de négociation, et maintenant de redéploiement de cette filière stratégique de l’acier. Aujourd’hui, Ascoval a été repris par le sidérurgiste Saarstahl, et est un leader de l’acier « vert » recyclé en Europe. Un film « Le Feu Sacré » raconte l’histoire de cette usine au cinéma.
Un dernier mot ?
Il faut toujours voir le verre à moitié plein. Un retournement d’entreprise, c’est avant tout une dynamique positive à réactiver en faveur du rebond. Il faut croire en ses forces, en son entreprise et parfois oser se réinventer en se faisant aider. Et ne jamais oublier qu’une entreprise, c’est avant tout de l’humain. Pour susciter l’adhésion des équipes et des parties prenantes, il faut parler vrai, être transparent, tout en sachant rassurer par un solide plan de relance. Une communication maitrisée et constructive est une brique essentielle de la sortie de crise.