L’assurance et le meilleur des mondes possibles
Situés à la rencontre du contingent et du nécessaire, de l’esprit de précaution et de l’équité sociale, ses principes fondateurs prospèrent avec la confiance dans l’état de droit et dans les mécanismes économiques : l’Assurance est une des belles inventions de l’époque moderne.
Mazarin s’était penché sur l’économie des tontines et Colbert avait vu la nécessité de couvrir le risque des fortunes de mer pour accompagner l’essor de la Royale, mais la caisse d’assurance « à terre », comme on l’entend aujourd’hui, n’est pas une invention française. Un Bureau des incendies, d’initiative religieuse, est certes attesté au début du XVIIIe siècle à Paris ; cependant il existait déjà plusieurs caisses au siècle précédent en Europe du Nord, dont la General Feuer Casse de la ville de Hambourg qui semble avoir inauguré le genre.
« La logique assurantielle mêle des considérations mathématiques, juridiques, philosophiques, on n’est donc pas étonné de savoir que Leibniz, théoricien polymathe du Grand Siècle, s’y était intéressé. »
La logique assurantielle mêle des considérations mathématiques (calcul actuariel, démographie, espérances), juridiques (contractuelles), philosophiques (éthiques, politiques), on n’est donc pas étonné de savoir que Leibniz, théoricien polymathe du Grand Siècle, s’y était intéressé.
Au pays de Voltaire on a tendance à voir Leibniz, coupable de son Essai de Théodicée, comme un penseur de seconde zone : abscons, mais naïf devant la marche et les malheurs du monde. Érudit touche-à-tout, philosophe et inspirateur des autorités politiques, l’inventeur du calcul infinitésimal – et de la formule de Leibniz que les taupins connaissent bien – avait aussi dans sa trentaine noirci des feuillets entiers sur les bienfaits de la couverture mutuelle. Il y développait, appuyé sur force calculs, des considérations sur la valeur actualisée des dépenses futures, sur l’espérance de vie d’une population et sur les rentes viagères.
Dans une lettre de 1680 il conseillait à son protecteur Jean-Frédéric de Hanovre de constituer une caisse d’assurance « pour l’eau et le feu ». C’était toujours d’abord de l’incendie et de l’inondation qu’il fallait couvrir les dommages. Il postulait que l’État est comme un navire et qu’à ce titre les sinistres doivent être l’affaire de tout l’équipage. C’est en prélevant une somme modeste sur tous que sera minimisée la probabilité de sérieuses infortunes.
« Leibniz conseillait à son protecteur Jean-Frédéric de Hanovre de constituer une caisse d’assurance « pour l’eau et le feu ». »
Alors que le « Big One » est une grande préoccupation du système assurantiel moderne, il est amusant de se rappeler que c’est justement du grand tremblement de terre de l’époque – cf. l’article stimulant de Sylvestre Frezal (X00) – que l’auteur de Candide s’était servi pour moquer Leibniz-Pangloss (« tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles »). Les publications des notes de Leibniz datant d’il y a seulement quelques années, on pardonnera à Voltaire le contresens qu’il commettait vis-à-vis de son honorable aîné.
Les compagnies d’assurances, instruments indispensables de la solidarité concrète entre les hommes, sont mal aimées. En 2022 AXA, fleuron national s’il en est, ne se classait, parmi les entreprises préférées des jeunes diplômés selon l’enquête annuelle du journal l’Étudiant, qu’au 80e rang d’un palmarès mêlant tous types d’activité et faisant une place enviable aux industriels de l’armement. On imputera ce paradoxe, que les professionnels du secteur doivent ressentir comme une injustice, au modèle même de leur activité. Parce que l’assureur paye après, il sera toujours soupçonné d’être plus prompt à toucher les primes qu’à bourse délier au bénéfice des assurés face à l’adversité ultérieure.
À l’époque où nous abordons de front les récifs des transitions climatique et démographique, où les catastrophes se feront plus systémiques et où les ayants droit de la solidarité seront de plus en plus nombreux en regard des contributeurs, il est de bon augure pour l’avenir de nos démocraties que le système des assurances se porte bien, et profite malgré tout de la confiance générale. Même si l’image de marque de ses opérateurs restera à améliorer.