Jean-Marc Scemama (X84) a cofondé CleverValues, start-up qui fait le pont entre hightech, industrie, services financiers et sciences de la vie.

Clevervalues : Priorité absolue à la stratégie de création de valeur

Dossier : TrajectoiresMagazine N°793 Mars 2024
Par Hervé KABLA (X84)

En 2021, Jean-Marc Sce­ma­ma (X84) a cofon­dé Cle­ver­Va­lues, start-up qui fait le pont entre high­tech, indus­trie, ser­vices finan­ciers et sciences de la vie. Elle vise à uti­li­ser de manière natu­relle les meilleures pra­tiques en matière de value crea­tion stra­te­gy, grâce à une pla­te­forme numé­rique aug­men­tée par l’IA per­met­tant de construire et de mettre en œuvre
sa stra­té­gie en fonc­tion de la valeur créée pour ses clients et ses par­ties prenantes.

Comment t’est venue l’idée ?

Ma voca­tion d’entrepreneur me vient de mon grand-père Samuel Kes­ten­berg qui, après avoir sau­vé sa famille de la bar­ba­rie nazie à Var­so­vie, a créé avec suc­cès après-guerre à Paris une entre­prise de chaus­sures. Le sou­ve­nir de sa moti­va­tion, de ses qua­li­tés humaines et entre­pre­neu­riales me guide au quotidien.

Au cours de mon par­cours dans le numé­rique, l’énergie et l’industrie, j’ai consta­té que les entre­prises de culture tech­no­lo­gique, de la start-up au grand groupe, n’ont géné­ra­le­ment ni le temps ni la tour­nure d’esprit pour réel­le­ment com­prendre le point de vue de leurs clients et des par­ties pre­nantes les impac­tant. De ce fait, elles peinent sou­vent à obte­nir la créa­tion d’une valeur signi­fi­ca­tive à par­tir de leurs lourds inves­tis­se­ments en inno­va­tion, en R & D et en ingénierie.

« Les entreprises de culture technologique peinent souvent à obtenir la création d’une valeur significative à partir de leurs lourds investissements en innovation, en R & D et en ingénierie. »

Il en résulte que trop de belles idées inno­vantes ne se trans­forment fina­le­ment pas en suc­cès indus­triels et com­mer­ciaux. Il en va de même pour leurs inves­tis­se­ments res­pon­sables dans la tran­si­tion éner­gé­tique et l’économie cir­cu­laire, qui sont in fine à peine remar­qués car ne se trans­for­mant pas en source de créa­tion de valeur. Plus glo­ba­le­ment, ne pas réus­sir à mieux valo­ri­ser nos for­mi­dables capa­ci­tés d’ingénierie risque d’amener la France et l’Europe à perdre de nom­breux talents et leurs tech­no­lo­gies clés.

Or, en menant pen­dant vingt ans sur le ter­rain un nombre signi­fi­ca­tif de pro­jets, ain­si qu’en échan­geant avec la recherche uni­ver­si­taire, j’ai fini par remé­dier à ce pro­blème en créant une métho­do­lo­gie : « L’ingénierie de la créa­tion de valeur », struc­tu­rée comme les autres méthodes d’ingénierie, et donc faci­le­ment appro­priable par les entre­prises de culture tech­no­lo­gique. Deux autres idées ont ensuite déclen­ché, le 14 juillet 2021, la réac­tion en chaîne ame­nant à la créa­tion de Cle­ver­Va­lues : la néces­si­té de numé­ri­ser ce pro­ces­sus de créa­tion de valeur et celle de l’augmenter avec l’intelligence artificielle.

J’ai par­ta­gé ces idées avec mon ami de longue date Jacques Mil­le­ry qui, du fait de son par­cours très riche dans la tran­si­tion des sys­tèmes éner­gé­tiques et dans les hautes tech­no­lo­gies, par­tage aujourd’hui le même constat et la même moti­va­tion pour ces sujets essen­tiels. Et lorsque, au cours de notre pre­mière conver­sa­tion dans un café du Quar­tier latin, il m’a affir­mé qu’il était capable de trans­for­mer ces idées en une pla­te­forme logi­cielle de haute qua­li­té aug­men­tée par les modèles d’IA les plus per­ti­nents, nous avons donc déci­dé de créer ensemble CleverValues.

Quelle est l’activité de CleverValues ?

Nous aidons les entre­prises à construire et à mettre en œuvre leur stra­té­gie de créa­tion de valeur. En par­tant d’une ana­lyse fine de ce que leurs clients et plus glo­ba­le­ment leurs par­ties pre­nantes ne leur com­mu­niquent pas spontané­ment, elles deviennent capables, avec notre métho­do­lo­gie éprou­vée (Cle­ver­Va­lues Value Stra­te­gy Engi­nee­ring), de construire une véri­table archi­tec­ture de créa­tion de valeur per­çue par tous ces acteurs.

Cette archi­tec­ture leur per­met de mettre en œuvre la stra­té­gie de créa­tion de valeur en s’appuyant sur quatre piliers : concen­trer leurs efforts d’innovation et de R & D vers ce qui va leur per­mettre de créer plus de valeur pour leurs clients et par­ties pre­nantes que la valeur créée par les solu­tions exis­tantes ou celles de leurs com­pé­ti­teurs ; orien­ter ain­si de façon opti­male leur stra­té­gie d’ingénierie des pro­duits et ser­vices com­po­sant leur offre ; construire un busi­ness model inno­vant ren­for­çant leur stra­té­gie de créa­tion de valeur ; construire et jus­ti­fier un niveau de prix en fonc­tion de la créa­tion de valeur et en déduire leur stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion et de vente de la valeur.

Notre objec­tif est de mettre les diri­geants et les mana­gers de nos clients en mesure de maî­tri­ser à terme eux-mêmes ce pro­ces­sus impor­tant, en leur don­nant accès à notre pla­te­forme numé­rique d’entreprise Clever­Values ain­si qu’à sa ver­sion aug­men­tée par l’IA (Cle­ver­Va­lues Aug­men­ted). Ces outils per­mettent aux diri­geants de faire vivre ce pro­ces­sus de stra­té­gie et de mana­ge­ment tout au long de la vie de l’entreprise. Au cours de séances de for­ma­tion ou grâce à des pro­jets menés ensemble, ils apprennent à construire leur pre­mière stra­té­gie de créa­tion de valeur.

« Nous aidons les entreprises à construire et à mettre en œuvre leur stratégie de création de valeur. »

En deux ans, nous avons ain­si per­mis à plus de vingt-cinq clients de gagner la maî­trise de ce pro­ces­sus essen­tiel. Ces clients vont de la start-up au grand groupe, dans des sec­teurs de plus en plus inter­dé­pen­dants : environ­nement et cli­mat, nou­velles éner­gies, indus­trie et mobi­li­té, aéro­nau­tique, espace et défense, High­tech IA et SaaS, Bio­tech et Agri­tech, ain­si que les ser­vices finan­ciers. Je cite­rai par exemple : Aria­ne­Group, Axxès (une filiale moné­tique de Vin­ci et d’APRR), Blue Nose (trans­port mari­time), Argus Robo­tics (défense), Kebo­ny (Agri­tech en Nor­vège), ain­si qu’Osmos filiale d’Eren (envi­ron­ne­ment). Nous aidons aus­si régu­liè­re­ment les start-up d’incubateurs, comme ceux de l’X ou des Arts et Métiers.

Et les témoi­gnages clients nous confortent dans notre approche. Voi­ci à titre d’exemple ce que Fré­dé­ric Lepeintre, pré­sident d’Axxès, dit de nous : « Axxès évo­lue dans un uni­vers ultra-concur­ren­tiel où l’avantage techno­logique ne joue plus le rôle de dif­fé­ren­cia­teur majeur. Notre capa­ci­té à convaincre nos clients et pros­pects vient désor­mais de la valeur que dégagent nos ser­vices et nos tech­no­lo­gies pour eux. Cle­ver­Va­lues nous accom­pagne pour non seule­ment mieux cer­ner la valeur que nous pou­vons créer pour nos clients, mais aus­si pour la quan­ti­fier très pré­ci­sé­ment et en jus­ti­fier le prix. C’est une démarche extrê­me­ment pré­cieuse, dans un métier où les marges se tendent et où savoir argu­men­ter sur le bon niveau de prix est la clé. »

L’équipe de CleverValues au salon VivaTech, juin 2023.
L’équipe de Cle­ver­Va­lues au salon Viva­Tech, juin 2023.

Quel est le parcours des fondateurs et de l’équipe ?

Après l’X et Télé­com Paris, et avant de créer Cle­ver­Va­lues, j’ai pra­ti­qué de façon opération­nelle et stra­té­gique le cycle com­plet des acti­vi­tés depuis la R & D, l’ingénierie, la stra­té­gie, le mar­ke­ting et la vente jusqu’au poste de CEO. Cela avec un péri­mètre inter­national dans des entre­prises de réfé­rence des hautes tech­no­lo­gies, de l’énergie et de l’industrie : IBM, Ste­ria, Cap­ge­mi­ni, Are­va, Val­lou­rec et Sca­linx (cir­cuits intégrés).

Jacques Mil­le­ry, cen­tra­lien, cofon­da­teur et direc­teur géné­ral, a quant à lui une grande expé­rience pro­fes­sion­nelle du déve­lop­pe­ment d’activités dans des envi­ron­ne­ments com­plexes (éner­gies, air & espace, tech­no­lo­gies numé­riques) au sein de groupes comme Matra (ancêtre d’Airbus), Cap­ge­mi­ni et Nor­tel Net­works. Il est par ailleurs un ensei­gnant recon­nu dans de grandes écoles pres­tigieuses (Cen­tra­le­Su­pé­lec, l’EM Nor­man­die et l’IFP School) sur des domaines tou­chant à la trans­for­ma­tion des sys­tèmes com­plexes, notam­ment énergétiques.

Nous avons fédé­ré autour de nous une équipe de femmes et d’hommes de dif­fé­rentes natio­na­li­tés, tous grands pro­fes­sion­nels de la créa­tion de valeur dans des sec­teurs com­plé­men­taires ain­si que dans des tech­no­lo­gies numé­riques et d’IA les plus avan­cées. Cela nous per­met d’être pour nos clients non de simples théo­ri­ciens, mais des pra­ti­ciens de la créa­tion de valeur dans leur sec­teur d’activité.

Qui sont les concurrents ?

À ce stade, nous n’avons pas de concur­rent cou­vrant la tota­li­té de nos acti­vi­tés. Cer­tains concur­rents couvrent une par­tie du spectre, mais ce n’est guère suf­fi­sant pour avoir le même impact. Cer­tains se posi­tionnent en tant que consul­tants, ce qui crée une dépen­dance chez leurs clients qui ne peuvent alors plus se pas­ser d’eux. Notre objec­tif est tout autre : trans­mettre notre expé­rience à nos clients pour qu’ils puissent être auto­nomes dans un pro­ces­sus clé pour leur entre­prise : la construc­tion et la mise en œuvre de leur stra­té­gie de créa­tion de valeur.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?

Tout d’abord la for­ma­li­sa­tion de la méthodo­logie et le déve­lop­pe­ment de la pla­te­forme logi­cielle. Avec une période d’un an et demi de déve­lop­pe­ment et plus de 120 000 lignes de code. Dès le départ, nous avons inves­ti d’une part de façon signi­fi­ca­tive en R & D, afin de per­mettre l’évolution conti­nue de notre métho­do­lo­gie en fonc­tion de nos retours d’expérience et des der­niers tra­vaux universi­taires. Et d’autre part dans un pro­jet de recherche en IA géné­ra­tive, ayant pour objec­tif d’aider les déci­deurs à conduire leur pro­ces­sus de stra­té­gie de créa­tion de valeur de la façon la plus fluide et la plus effi­cace possible.

Très vite sont arri­vés les pre­miers clients, que nous avons accom­pa­gnés avec une prio­ri­té abso­lue sur la qua­li­té et sur l’impact signi­fi­ca­tif en créa­tion de valeur. Depuis la ren­trée 2023, Cle­ver­Va­lues est pas­sée en phase d’accélération forte, avec une trac­tion très puis­sante de nos clients exis­tants et de nou­veaux clients nous contac­tant par répu­ta­tion. De nou­veaux talents sont en train de rejoindre l’équipe en France, en Europe et en Amé­rique du Nord. Nous accé­lé­rons main­te­nant la com­mer­cia­li­sa­tion et l’utilisation de la pla­te­forme logi­cielle dans ces zones géographiques.

Un autre élé­ment impor­tant : nous sommes membres d’un groupe de tra­vail inter-entre­prises en liai­son avec le comi­té stra­té­gique de filière « nou­veaux sys­tèmes éner­gé­tiques », pour déve­lop­per une nou­velle filière indus­trielle fran­çaise de recy­clage des déchets orga­niques et de sto­ckage d’énergie, ce qui nous place au cœur de la créa­tion de valeur non seule­ment au niveau d’une socié­té, mais aus­si au niveau de filières entières en cours de création.

Comment expliques-tu le désamour entre les ingénieurs français et les activités stratégiques de création de valeur pour les clients et les parties prenantes ?

L’amour de la tech­no­lo­gie et le goût de la théo­rie et de l’abstraction, qui font le talent de nos ingé­nieurs, mono­po­lisent aus­si l’essentiel de leur temps et de leur éner­gie. Cela est à l’opposé de la culture nord-amé­ri­caine qui est natu­rel­le­ment plus orien­tée vers la créa­tion de valeur et le client.

Pourtant la formation des ingénieurs tend à être de plus en plus polyvalente ; comment y remédier ?

Je pro­pose d’inclure une for­ma­tion obli­ga­toire à la métho­do­lo­gie d’ingénierie de la créa­tion de valeur dans les pro­grammes exe­cu­tive et cycle ingé­nieur des grandes écoles, notam­ment de l’X. Avec des mises en pra­tique pour tes­ter sa puis­sance sur le terrain.

Qu’est-ce que l’IA peut apporter à la stratégie de création de valeur ?

La phi­lo­so­phie de Cle­ver­Va­lues est de faci­li­ter avec l’IA les prin­ci­pales étapes du pro­ces­sus qui per­met de construire et de mettre en œuvre sa stra­té­gie de créa­tion de valeur, afin de faci­li­ter la col­lecte, l’analyse des infor­ma­tions uti­li­sées et sur­tout l’identification de gise­ments de créa­tion de valeur pour les par­ties pre­nantes. Nous avons déjà consta­té des gains de temps et de per­ti­nence signi­fi­ca­tifs dès les pre­miers pro­to­types issus de notre R & D.

Les principes sont-ils les mêmes en B2B qu’en B2C ?

Pas tout à fait. Dans notre métho­do­lo­gie, nous tenons à sys­té­ma­ti­que­ment quan­ti­fier la créa­tion de valeur pour les clients et les par­ties pre­nantes. En B2B, en effet, leur déci­sion est essen­tiel­le­ment fon­dée sur des impacts en euros ou dol­lars et en uni­tés tou­chant aux res­sources de notre pla­nète. Nos clients sont donc B2B ou B2B2C.

Tu as créé ta société après un parcours en entreprise déjà conséquent, quelles sont les difficultés propres à ce type de projet au-delà de la cinquantaine ?

La cin­quan­taine ne crée pas de dif­fi­cul­té, bien au contraire. L’expérience acquise per­met d’être rapide et impac­tant. Cle­ver­Va­lues est la syn­thèse de plus de trente ans de pra­tique de la stra­té­gie de créa­tion de valeur et des expé­riences croi­sées mul­ti­sec­to­rielles de l’équipe de grands profes­sionnels que nous consti­tuons. Nos réseaux pro­fes­sion­nels, très com­plé­men­taires, jouent eux aus­si un rôle clé. Notre capi­tal ini­tial nous a par ailleurs per­mis de nous auto­fi­nan­cer, ce qui garan­tit l’indé­pendance de nos choix stra­té­giques. Mais sur­tout, notre expé­rience mana­gé­riale nous a appris à avoir en prio­ri­té abso­lue la créa­tion de valeur pour nos clients et leurs par­ties prenantes. 

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