Courtage d'assurances

Le courtage d’assurance

Dossier : AssuranceMagazine N°793 Mars 2024
Par Robert LEBLANC (X76)

Le cour­tier est un acteur du monde de l’assurance qui est peu connu du grand public. Pour­tant son rôle est déter­mi­nant pour obte­nir le meilleur com­pro­mis entre les assu­reurs et les clients. La ges­tion du risque n’est pas sans stress pour le courtier.

Il n’y a pas de vie sans risque, ni d’activité sans risque. Dans une entre­prise, les choix stra­tégiques de la direc­tion peuvent se révé­ler bons ou mau­vais et doivent être assu­més. Les fac­teurs exo­gènes impré­vi­sibles sont plus dif­fi­ciles à accep­ter et il est légi­time de cher­cher à cou­vrir de nom­breux risques, sans comp­ter les obli­ga­tions légales de cou­ver­tures de res­pon­sa­bi­li­té. Le plus sou­vent, en dehors des risques pure­ment finan­ciers tels que la varia­tion des taux d’intérêt ou de change, pour les­quels les mar­chés finan­ciers apportent des solu­tions, se cou­vrir consiste à s’assurer. Com­ment trou­ver la bonne réponse ?

Le courtier, au service des assurés

Le rap­pro­che­ment entre un assu­ré et le mar­ché de l’assurance peut rele­ver d’un contact direct, du pas­sage par un por­tail inter­net, d’une offre ban­caire, du tra­vail d’un inter­mé­diaire d’assurances, agent ou cour­tier. Le pré­sent article est cen­tré sur le rôle des cour­tiers d’assurances, car ces pro­fes­sion­nels indé­pen­dants de tout assu­reur sont au cœur du sujet ; leur rai­son d’être est en effet de ser­vir les assu­rés en leur appor­tant des solu­tions adap­tées, pré­fa­bri­quées ou sur mesure selon le cas. Il s’agit d’une pro­fes­sion régle­men­tée, sou­mise à des exi­gences de plus en plus strictes en matière de sol­li­ci­ta­tion des par­ti­cu­liers, de trans­pa­rence et de rémunération.

Le métier de courtier

L’essence du métier de cour­tier est de par­tir des besoins des clients, de com­prendre les risques aux­quels ils sont expo­sés, de les ana­ly­ser, de les quan­ti­fier et d’élaborer des solu­tions de réten­tion et de trans­fert des risques en rela­tion avec tous les por­teurs de risques acces­sibles. Quand il s’agit des risques des par­ti­cu­liers, des com­merces ou des petites entre­prises, cet exer­cice n’est pas fait client par client, mais par seg­ment de client, par pro­fes­sion, par géo­gra­phie et par nature de risque. 

“L’essence du métier de courtier est de partir des besoins des clients.”

Au mini­mum, le cour­tier fait bien son métier en sélec­tion­nant pour un temps des pro­duits pro­po­sés par le mar­ché qui, selon son ana­lyse, répondent pour le mieux aux dif­fé­rents besoins de ses clients. Mais le cour­tier peut aller plus loin en étant à l’origine de pro­duits ajus­tés aux besoins d’une cible dont il connaît bien le pro­fil de risques. 

L’histoire de l’assurance est jalon­née d’initiatives comme celle d’un ama­teur de motos d’une marque don­née qui a eu l’idée de fédé­rer les ama­teurs de cette marque et de faire valoir auprès des assu­reurs que, leur usage étant essen­tiel­le­ment de loi­sir, elles n’étaient pas expo­sées aux mêmes risques que celles qui servent quo­ti­dien­ne­ment à des tra­jets pro­fes­sion­nels, et qui a ain­si pu éla­bo­rer une offre com­pé­ti­tive dédiée à cette com­mu­nau­té. Par­fois, ce type d’approche conduit le cour­tier pro­mo­teur à deve­nir gros­siste et à s’entourer d’un réseau de dis­tri­bu­teurs indé­pen­dants (eux-mêmes dûment habi­li­tés) pour pous­ser la dif­fu­sion du pro­duit qu’il a conçu et pla­cé dans le marché.

Le cas des grandes entreprises

Pour les grandes entre­prises, dont les péri­mètres d’activité et les implan­ta­tions évo­luent sans cesse, l’accompagne­ment par le cour­tier est per­ma­nent. Les sché­mas de réten­tion et de trans­fert des risques sont revus à chaque renou­vel­le­ment annuel et peuvent abou­tir à une mise en com­pé­ti­tion des por­teurs de risques dans le cadre d’appels d’offres. Ces grandes entre­prises ne peuvent d’ailleurs pas se pas­ser des ser­vices d’un ou de plu­sieurs cour­tiers (un cer­tain nombre d’entre elles font le choix de ne pas s’en remettre à un seul cour­tier et répar­tissent les risques, par exemple les dom­mages chez l’un, la res­pon­sa­bi­li­té chez un autre, la cou­ver­ture sociale encore ailleurs).

Aucun por­teur de risques ne peut s’engager dura­ble­ment à répondre de manière opti­male à l’ensemble des besoins d’un client ; mais sur­tout il est néces­saire de recou­rir à une archi­tec­ture com­plexe de syn­di­ca­tion qui doit prendre effet d’un seul tenant à l’échéance et ne peut être conçue et mise en œuvre que par un cour­tier, indé­pen­dant de tous les por­teurs de risques engagés.

Cette archi­tec­ture consiste en un pla­ce­ment en ligne, c’est-à-dire par tranches super­po­sées au-des­sus des réten­tions, la pre­mière ligne étant qua­li­fiée en anglais de wor­king layer, les taux deman­dés décrois­sant au fur et à mesure qu’on monte dans les lignes dites d’excess de moins en moins expo­sées ; par exemple, au-des­sus d’une réten­tion de cinq mil­lions d’euros par sinistre, la pre­mière ligne cou­vri­ra les sinistres jusqu’à vingt mil­lions et sera assez sol­li­ci­tée, la sui­vante ne sera tou­chée que par des sinistres dépas­sant les vingt mil­lions et ne les cou­vri­ra que jusqu’à cin­quante mil­lions, etc. ; ce sont des lignes de réas­su­rance qui peuvent être pla­cées auprès d’assureurs et de réas­su­reurs, per­met­tant de réunir de larges capacités.

« Aucun porteur de risques ne peut s’engager durablement à répondre de manière optimale à l’ensemble des besoins d’un client. »

Et chaque ligne fait l’objet d’un pla­ce­ment en coas­su­rance ; der­rière un assu­reur dont la cota­tion a été rete­nue, qui devient donc chef de file et qu’on appelle apé­ri­teur, s’adjoignent des coas­su­reurs qui s’alignent sur les condi­tions de l’apériteur et sont cen­sés le suivre dans le règle­ment des sinistres.


Lire aus­si : La com­plé­men­ta­ri­té assu­rance-réas­su­rance face aux nou­veaux risques


Il existe des varia­tions par rap­port à ce sché­ma clas­sique, avec ce qu’on appelle le pla­ce­ment ver­ti­cal où les coas­su­reurs peuvent deman­der des condi­tions dif­fé­rentes de l’apériteur ; dans des mar­chés très ten­dus, c’est une sou­plesse par­fois utile car, dans le sché­ma clas­sique, il arrive qu’on ne boucle pas le pla­ce­ment à 100 % aux condi­tions de l’apériteur et déjà lar­ge­ment sui­vies ; si les der­niers 2 % ne se placent qu’à un prix plus éle­vé, cela béné­fi­cie aux 98 % déjà pla­cés et cela ne plaît pas à l’assuré.

Dans les groupes inter­na­tio­naux, les grands équi­libres se font dans des pro­grammes glo­baux, assor­tis de contrats locaux quand la légis­la­tion l’impose, notam­ment en matière de res­pon­sa­bi­li­té par rap­port à des tiers. De leur côté d’ailleurs, un cer­tain nombre de ces grandes entre­prises se sont dotées de cour­tiers cap­tifs, mais ceux-ci s’appuient sur des cour­tiers du mar­ché qui ont accès à des mar­chés plus larges, qui ont plus de poids face aux por­teurs de risques et qui sont actifs dans de nom­breux pays.

Le stress du courtier

Le métier de cour­tier est ter­ri­ble­ment stres­sant. En effet, le cour­tier s’engage sur des solu­tions avant d’avoir le sou­tien ferme des por­teurs de risques. J’ai le sou­ve­nir d’un pla­ce­ment très dif­fi­cile il y a une ving­taine d’années, quand les mar­chés s’étaient bru­ta­le­ment dur­cis après le 11 sep­tembre 2001. Pour un client indus­triel dont le métier pou­vait inquié­ter les assu­reurs, nous avions réus­si à éla­bo­rer un sché­ma sui­vi par les por­teurs de risques dont nous avions besoin ; à moins de trois jours de l’échéance, le risk mana­ger du client nous dit pré­fé­rer un mon­tage dif­fé­rent ; il a fal­lu reprendre toutes les dis­cus­sions avec les por­teurs de risques dans un compte à rebours digne des meilleurs films d’action ! À l’époque, on fumait dans les bureaux, les cen­driers étaient pleins plu­sieurs fois par jour !

Un accompagnement permanent

Le rôle du cour­tier ne s’arrête pas à la vente de pro­duits ou à la mise en place de solu­tions : le cour­tier accom­pagne ses clients dans la ges­tion des sinistres et suit les équi­libres tech­niques dont dépend la péren­ni­té de son portefeuille. 

Dans le cas d’un por­te­feuille de par­ti­cu­liers, l’évolution des modes de com­mer­cia­li­sa­tion d’un pro­duit peut impac­ter le pro­fil de risque du por­te­feuille, donc les résul­tats tech­niques des por­teurs de risques concer­nés, donc leur approche tari­faire au moment des renou­vel­le­ments, avec un enjeu de com­pé­ti­ti­vi­té, voire de sta­bi­li­té du partenariat. 

Pour la ges­tion des sinistres des grandes entre­prises, le cour­tier est véri­ta­ble­ment l’avocat de son client face aux assu­reurs. Les dos­siers peuvent être com­plexes, notam­ment sur des sujets de res­pon­sa­bi­li­té civile ; une ana­lyse tech­nique et juri­dique par­ta­gée entre les dif­fé­rentes par­ties pre­nantes de l’entreprise assu­rée, ses clients, ses sous-trai­tants, ses par­te­naires, peut pendre des mois pour abou­tir à un accord entre l’entreprise assu­rée et ses assureurs.


Lire aus­si : L’IA, notre meilleure alliée dans la chasse aux frau­deurs de l’assurance


Une question de confiance

Un fac­teur de réus­site majeur est la confiance tout au long de la chaîne. La confiance entre le client et son cour­tier n’est pas tou­jours acquise, le soup­çon que le cour­tier puisse pri­vi­lé­gier une solu­tion parce que c’est à lui, et non au client, qu’elle est la plus favo­rable existe tou­jours mal­gré les exi­gences régle­men­taires. La confiance entre les assu­reurs et le cour­tier est quant à elle déter­mi­nante des condi­tions que le cour­tier obtient d’eux ; la manière de pré­sen­ter les risques des clients doit leur être favo­rable sans trom­per les assu­reurs, par exemple en regrou­pant ou sépa­rant des acti­vi­tés, ou encore en excluant ou non les sinistres graves à basse fré­quence. Un vieux cour­tier aimait « faire chan­ter les sta­tis­tiques ». On ne peut mieux valo­ri­ser l’art sub­til du cour­tage, un métier à l’épreuve de conflits d’intérêts, qu’aucune règle de confor­mi­té ne dis­pense de l’exigence éthique des per­sonnes qui l’exercent.

Poster un commentaire