Le courtage d’assurance
Le courtier est un acteur du monde de l’assurance qui est peu connu du grand public. Pourtant son rôle est déterminant pour obtenir le meilleur compromis entre les assureurs et les clients. La gestion du risque n’est pas sans stress pour le courtier.
Il n’y a pas de vie sans risque, ni d’activité sans risque. Dans une entreprise, les choix stratégiques de la direction peuvent se révéler bons ou mauvais et doivent être assumés. Les facteurs exogènes imprévisibles sont plus difficiles à accepter et il est légitime de chercher à couvrir de nombreux risques, sans compter les obligations légales de couvertures de responsabilité. Le plus souvent, en dehors des risques purement financiers tels que la variation des taux d’intérêt ou de change, pour lesquels les marchés financiers apportent des solutions, se couvrir consiste à s’assurer. Comment trouver la bonne réponse ?
Le courtier, au service des assurés
Le rapprochement entre un assuré et le marché de l’assurance peut relever d’un contact direct, du passage par un portail internet, d’une offre bancaire, du travail d’un intermédiaire d’assurances, agent ou courtier. Le présent article est centré sur le rôle des courtiers d’assurances, car ces professionnels indépendants de tout assureur sont au cœur du sujet ; leur raison d’être est en effet de servir les assurés en leur apportant des solutions adaptées, préfabriquées ou sur mesure selon le cas. Il s’agit d’une profession réglementée, soumise à des exigences de plus en plus strictes en matière de sollicitation des particuliers, de transparence et de rémunération.
Le métier de courtier
L’essence du métier de courtier est de partir des besoins des clients, de comprendre les risques auxquels ils sont exposés, de les analyser, de les quantifier et d’élaborer des solutions de rétention et de transfert des risques en relation avec tous les porteurs de risques accessibles. Quand il s’agit des risques des particuliers, des commerces ou des petites entreprises, cet exercice n’est pas fait client par client, mais par segment de client, par profession, par géographie et par nature de risque.
“L’essence du métier de courtier est de partir des besoins des clients.”
Au minimum, le courtier fait bien son métier en sélectionnant pour un temps des produits proposés par le marché qui, selon son analyse, répondent pour le mieux aux différents besoins de ses clients. Mais le courtier peut aller plus loin en étant à l’origine de produits ajustés aux besoins d’une cible dont il connaît bien le profil de risques.
L’histoire de l’assurance est jalonnée d’initiatives comme celle d’un amateur de motos d’une marque donnée qui a eu l’idée de fédérer les amateurs de cette marque et de faire valoir auprès des assureurs que, leur usage étant essentiellement de loisir, elles n’étaient pas exposées aux mêmes risques que celles qui servent quotidiennement à des trajets professionnels, et qui a ainsi pu élaborer une offre compétitive dédiée à cette communauté. Parfois, ce type d’approche conduit le courtier promoteur à devenir grossiste et à s’entourer d’un réseau de distributeurs indépendants (eux-mêmes dûment habilités) pour pousser la diffusion du produit qu’il a conçu et placé dans le marché.
Le cas des grandes entreprises
Pour les grandes entreprises, dont les périmètres d’activité et les implantations évoluent sans cesse, l’accompagnement par le courtier est permanent. Les schémas de rétention et de transfert des risques sont revus à chaque renouvellement annuel et peuvent aboutir à une mise en compétition des porteurs de risques dans le cadre d’appels d’offres. Ces grandes entreprises ne peuvent d’ailleurs pas se passer des services d’un ou de plusieurs courtiers (un certain nombre d’entre elles font le choix de ne pas s’en remettre à un seul courtier et répartissent les risques, par exemple les dommages chez l’un, la responsabilité chez un autre, la couverture sociale encore ailleurs).
Aucun porteur de risques ne peut s’engager durablement à répondre de manière optimale à l’ensemble des besoins d’un client ; mais surtout il est nécessaire de recourir à une architecture complexe de syndication qui doit prendre effet d’un seul tenant à l’échéance et ne peut être conçue et mise en œuvre que par un courtier, indépendant de tous les porteurs de risques engagés.
Cette architecture consiste en un placement en ligne, c’est-à-dire par tranches superposées au-dessus des rétentions, la première ligne étant qualifiée en anglais de working layer, les taux demandés décroissant au fur et à mesure qu’on monte dans les lignes dites d’excess de moins en moins exposées ; par exemple, au-dessus d’une rétention de cinq millions d’euros par sinistre, la première ligne couvrira les sinistres jusqu’à vingt millions et sera assez sollicitée, la suivante ne sera touchée que par des sinistres dépassant les vingt millions et ne les couvrira que jusqu’à cinquante millions, etc. ; ce sont des lignes de réassurance qui peuvent être placées auprès d’assureurs et de réassureurs, permettant de réunir de larges capacités.
« Aucun porteur de risques ne peut s’engager durablement à répondre de manière optimale à l’ensemble des besoins d’un client. »
Et chaque ligne fait l’objet d’un placement en coassurance ; derrière un assureur dont la cotation a été retenue, qui devient donc chef de file et qu’on appelle apériteur, s’adjoignent des coassureurs qui s’alignent sur les conditions de l’apériteur et sont censés le suivre dans le règlement des sinistres.
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Il existe des variations par rapport à ce schéma classique, avec ce qu’on appelle le placement vertical où les coassureurs peuvent demander des conditions différentes de l’apériteur ; dans des marchés très tendus, c’est une souplesse parfois utile car, dans le schéma classique, il arrive qu’on ne boucle pas le placement à 100 % aux conditions de l’apériteur et déjà largement suivies ; si les derniers 2 % ne se placent qu’à un prix plus élevé, cela bénéficie aux 98 % déjà placés et cela ne plaît pas à l’assuré.
Dans les groupes internationaux, les grands équilibres se font dans des programmes globaux, assortis de contrats locaux quand la législation l’impose, notamment en matière de responsabilité par rapport à des tiers. De leur côté d’ailleurs, un certain nombre de ces grandes entreprises se sont dotées de courtiers captifs, mais ceux-ci s’appuient sur des courtiers du marché qui ont accès à des marchés plus larges, qui ont plus de poids face aux porteurs de risques et qui sont actifs dans de nombreux pays.
Le stress du courtier
Le métier de courtier est terriblement stressant. En effet, le courtier s’engage sur des solutions avant d’avoir le soutien ferme des porteurs de risques. J’ai le souvenir d’un placement très difficile il y a une vingtaine d’années, quand les marchés s’étaient brutalement durcis après le 11 septembre 2001. Pour un client industriel dont le métier pouvait inquiéter les assureurs, nous avions réussi à élaborer un schéma suivi par les porteurs de risques dont nous avions besoin ; à moins de trois jours de l’échéance, le risk manager du client nous dit préférer un montage différent ; il a fallu reprendre toutes les discussions avec les porteurs de risques dans un compte à rebours digne des meilleurs films d’action ! À l’époque, on fumait dans les bureaux, les cendriers étaient pleins plusieurs fois par jour !
Un accompagnement permanent
Le rôle du courtier ne s’arrête pas à la vente de produits ou à la mise en place de solutions : le courtier accompagne ses clients dans la gestion des sinistres et suit les équilibres techniques dont dépend la pérennité de son portefeuille.
Dans le cas d’un portefeuille de particuliers, l’évolution des modes de commercialisation d’un produit peut impacter le profil de risque du portefeuille, donc les résultats techniques des porteurs de risques concernés, donc leur approche tarifaire au moment des renouvellements, avec un enjeu de compétitivité, voire de stabilité du partenariat.
Pour la gestion des sinistres des grandes entreprises, le courtier est véritablement l’avocat de son client face aux assureurs. Les dossiers peuvent être complexes, notamment sur des sujets de responsabilité civile ; une analyse technique et juridique partagée entre les différentes parties prenantes de l’entreprise assurée, ses clients, ses sous-traitants, ses partenaires, peut pendre des mois pour aboutir à un accord entre l’entreprise assurée et ses assureurs.
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Une question de confiance
Un facteur de réussite majeur est la confiance tout au long de la chaîne. La confiance entre le client et son courtier n’est pas toujours acquise, le soupçon que le courtier puisse privilégier une solution parce que c’est à lui, et non au client, qu’elle est la plus favorable existe toujours malgré les exigences réglementaires. La confiance entre les assureurs et le courtier est quant à elle déterminante des conditions que le courtier obtient d’eux ; la manière de présenter les risques des clients doit leur être favorable sans tromper les assureurs, par exemple en regroupant ou séparant des activités, ou encore en excluant ou non les sinistres graves à basse fréquence. Un vieux courtier aimait « faire chanter les statistiques ». On ne peut mieux valoriser l’art subtil du courtage, un métier à l’épreuve de conflits d’intérêts, qu’aucune règle de conformité ne dispense de l’exigence éthique des personnes qui l’exercent.