Combler les lacunes de couverture : un enjeu sociétal autant qu’une opportunité de croissance
Les risques du monde moderne créent des besoins croissants de couverture assurantielle qui ne sont pas satisfaits par l’offre. Et c’est même le contraire ; les besoins augmentent, mais la croissance des primes collectées est inférieure à la progression du PIB. Il est nécessaire d’innover dans les produits offerts sur le marché et parallèlement de faire un effort de distribution pour combler le déficit de couverture.
Le monde d’aujourd’hui se caractérise par un niveau élevé d’incertitude, illustré par l’indice mondial World Uncertainty Index (calculé par les analystes du FMI et l’université Stanford, il synthétise des données de sources diverses en un indice qui reflète le niveau d’incertitude). Celui-ci se situait en moyenne à 13 points entre 1990 et 2007, il a atteint 23 points entre 2008 et le troisième trimestre 2022. Les événements récents, tels que la guerre en Ukraine ou la reprise dramatique des affrontements au Moyen-Orient, sont symptomatiques de cette évolution. Plus fondamentalement, et moins liées à des événements singuliers, trois tendances de fond accroissent l’incertitude et la volatilité : le changement climatique, les nouvelles technologies et l’évolution démographique.
Trois facteurs de risques
Premièrement, le changement climatique a un impact considérable sur notre environnement. Ses conséquences actuelles et futures restent une source d’incertitude majeure. Le nombre d’événements qualifiés de catastrophe naturelle a été multiplié par trois à travers le monde entre la décennie 2010–2020 et la décennie 1970–1980 (source Swiss Re). Le développement des nouvelles technologies engendre également de nouveaux risques. Par exemple, les systèmes informatiques du monde entier sont de plus en plus exposés aux cyberattaques : on estime le nombre de cyberattaques six fois plus élevé en 2022 qu’en 2011.
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Dans le même temps, les technologies numériques sont la colonne vertébrale d’une part croissante de la génération de richesse. Enfin, l’évolution démographique réorganise les structures sociétales et déplace les enjeux économiques au niveau mondial. Par exemple, en 2020 la Chine, l’Inde et d’autres pays émergents d’Asie représentaient 25 % du PIB mondial ; or cette part devrait atteindre 35 % en 2040. Dans un grand nombre de pays et plusieurs continents, le vieillissement de la population remet en question les systèmes de retraite établis. En 2050, il y aura au niveau mondial 33 personnes âgées de plus de 65 ans pour 100 adultes en âge de travailler, contre 20 aujourd’hui.
L’augmentation des déficits de couverture
Dans ce contexte, les particuliers et les organisations ont besoin de se protéger contre les risques nouveaux autant que contre les menaces existantes. Aujourd’hui, les assureurs jouent déjà un rôle essentiel dans la réponse à ces besoins de protection. Pourtant, il existe des lacunes en matière de couverture pour différents domaines de risques, qui pourraient être comblées par les assureurs. Quatre d’entre elles semblent particulièrement importantes en raison de leur pertinence économique et de leur impact sur la vie humaine : les retraites, la cybersécurité, les catastrophes naturelles et la santé. Dans tous ces domaines de risques, les assureurs pourraient jouer un rôle encore plus important à l’avenir.
La retraite
La Geneva Association définit le déficit des retraites comme la différence entre les coûts qui doivent être couverts pour maintenir un niveau de vie raisonnable et les entrées prévues dans le système (y compris les cotisations par répartition). Pour combler le déficit estimé, il faudrait verser sur un système de capitalisation environ 1 000 milliards de dollars de primes par an dans les 40 ans à venir (source Geneva Association).
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La cybersécurité
Le déficit de couverture cybersécurité est défini comme la différence entre les pertes de premier ordre dues aux cyberattaques (par exemple les installations endommagées, les paiements de rançon) et les pertes assurées. Les pertes annuelles dues aux cyberincidents étaient estimées entre 2017 et 2020 à 900 milliards de dollars (source McAfee), alors que les assureurs ne couvraient que 6 milliards de dollars de sinistres en 2020 (source S&P Capital IQ Pro et MSA Research). Plus de 99 % des pertes n’étaient donc pas couvertes.
La santé
Le déficit de couverture médicale comprend deux composantes : les dépenses de santé réelles non couvertes significatives pour le budget des ménages et les dépenses de santé non engagées du fait de l’absence de couverture. Au niveau mondial, les premières sont estimées à 800 milliards de dollars, les secondes à 3 400 milliards de dollars (source OMS Global Health Expenditure Database).
Les catastrophes naturelles
Le déficit de couverture des catastrophes naturelles est calculé comme la différence entre les pertes totales liées aux catastrophes naturelles et la part qui est couverte par les assureurs, réassureurs et dispositifs étatiques de couverture. Celle-ci était d’environ 33 % en moyenne dans la dernière décennie – ce qui se traduit par un déficit de couverture Cat Nat d’environ 135 milliards de dollars par an.
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Répondre à la demande latente
Les assureurs couvrent déjà un large éventail de risques. Ils contribuent de façon essentielle à la résilience et au bien-être de nos sociétés. En jouant un rôle de premier plan dans la réduction des écarts de couverture, les assureurs peuvent renforcer leur rôle pour les sociétés, accélérer leur croissance et renforcer leur pertinence dans l’économie réelle. Néanmoins ces dernières années la croissance des primes est globalement inférieure à la croissance du PIB en euros courants : précisément 2 % de croissance des primes entre 2017 et 2021 en assurances de personnes et 5,5 % en assurance de dommages – pour 4,7 % de croissance nominale du PIB.
“Le déficit de protection n’est pas en train d’être comblé.”
En réalité, le déficit de protection décrit plus haut n’est pas en train d’être comblé ; au contraire. Le défi est énorme pour développer cette contribution utile dans le fonctionnement économique. Les axes de travail sont multiples et devront impliquer différents acteurs. En particulier, une part importante des solutions est à chercher dans la solvabilisation de la demande et dans le cadre réglementaire, fiscal et juridique.
Deux pistes à suivre
Néanmoins, les deux leviers suivants, plus prosaïques mais essentiels, sont d’ores et déjà à la main des assureurs. L’innovation produits peut définir des offres qui répondent de plus près aux attentes et aux besoins des clients : par exemple comment définir le bon assemblage de diagnostic, de prévention et d’assurance pour une couverture de cybersécurité à l’adresse des PME ? Le travail sur la distribution peut toucher de façon efficace et appropriée les clients qui n’ont pas une expression spontanée de leurs attentes et ont besoin d’un conseil – l’assurance est le plus souvent un produit qui se vend plus qu’il ne s’achète.
Enfin, les assureurs devront convaincre leurs actionnaires que, pour passer du statut de valeur de rendement à celui de valeur de croissance, il faudra accepter un peu d’expérimentation et donc de volatilité sur les résultats. Après tout, c’est le métier des assureurs que de prendre des risques.