La complémentarité assurance-réassurance face aux nouveaux risques
Les risques assurantiels augmentent dans le monde contemporain. Cet état de fait amène les réassureurs à assumer eux-mêmes des risques croissants dans leur couverture des assureurs, qui sont en première ligne. Pour faire face, ils recherchent une coopération toujours plus étroite, notamment avec les assureurs mutualistes qui sont très solides financièrement. Cette tendance a vocation à perdurer et les Français doivent y trouver toute leur place.
« Le bonheur est parfois caché dans l’inconnu », disait Victor Hugo. Sans aller jusqu’à nous fournir en bonheur, l’inconnue qu’est la réassurance nous protège à tout le moins de bien des malheurs. Mais qu’est-ce donc que la réassurance ? La définition qu’on en donne classiquement est limpide : « Le réassureur est l’assureur de l’assureur ». Ce qui n’éclaire pas tout à fait sur le complément historique indispensable à l’assurance qu’est la réassurance. Et sur le début de rapprochement industriel en cours entre ces deux métiers.
Naissance de la réassurance
Un retour en arrière historique s’impose donc. Le plus ancien contrat de « réassurance » a été produit par des assureurs vénitiens en 1370 et portait sur la cargaison d’un navire qui devait voyager de Gênes à Sluis, en Flandres. En raison du caractère dangereux de la traversée, l’assureur avait transféré une partie du risque chez un second assureur, pour la partie la plus périlleuse qui reliait Cadix à Sluis. La réassurance s’est par la suite développée autour du commerce maritime méditerranéen et atlantique. Quant à la réassurance moderne, elle est apparue en Allemagne vers la fin du XIXe siècle, pour couvrir les villes, essentiellement face à l’incendie. Cologne Re est fondée en 1846. S’ensuit la création de nombreuses sociétés et, progressivement, la réassurance étend son champ d’intervention à tous les marchés d’assurance mondiaux.
Des risques croissants
Parce que les réassureurs couvrent en général des risques avec des garanties très importantes, ils ont un grand besoin de diversification de leurs expositions et possèdent souvent un portefeuille international réparti sur de nombreux pays et dans de nombreuses branches. Ces dernières années, tout comme les assureurs, ils doivent faire face à la montée en puissance des risques d’intensité, dont la gravité et l’étendue ne cessent d’augmenter. De l’Ever Given qui bloque le canal de Suez à la pandémie de Covid, l’actualité récente n’a eu de cesse de nous rappeler que nos économies mondialisées interdépendantes se révèlent vulnérables à des risques majeurs naissant d’un événement isolé.
Ajoutons à cela que les risques politiques se renforcent, que les événements climatiques extrêmes se multiplient, que la cybercriminalité explose et que l’inflation augmente, et chacun comprend que les coûts d’indemnisation s’alourdissent. L’échouage temporaire de l’Ever Given par exemple aura généré en quelques jours une facture de réassurance de l’ordre de deux milliards de dollars et il faudra plusieurs années pour déterminer les montants à payer par chacune des compagnies concernées. Illustration symptomatique d’un événement qui ressemble à une « tempête parfaite » et qui fait revoir aux réassureurs toute la structure de leurs contrats maritimes avec des hausses de cotisation, de rétentions, etc.
Renforcer la réassurance ?
In fine l’idée selon laquelle l’assurance primaire porte le risque de fréquence et la réassurance le risque d’intensité ne reflète plus totalement la réalité. Avec le changement climatique, notamment, une variété de périls comme les inondations, la grêle et la sécheresse deviennent plus fréquents et beaucoup plus dévastateurs.
Assureurs et réassureurs sont donc confrontés à des risques répétés plus lourds, parfois aux conséquences que les modèles les plus sophistiqués n’avaient pu prévoir. Des risques avec un poids financier tel, qu’à terme, pourrait se poser la question de leur assurabilité (voir à ce sujet l’article de Pierre-Ignace Bernard, X90 : « Comment le secteur de l’assurance peut-il renforcer sa pertinence en comblant les lacunes en matière de couverture ? »).
“Les réassureurs ont aujourd’hui un impératif de renforcement.”
Face à cette évolution, l’importance de la réassurance s’accroît et la demande n’a jamais été aussi élevée. Or, s’ils ont la capacité d’absorber des sinistres très importants, les réassureurs rencontrent des difficultés pour digérer les cumuls d’événements. Afin de pouvoir répondre aux exigences de l’économie mondiale et tenir pleinement leur rôle de soutien, les réassureurs ont aujourd’hui un impératif de renforcement.
La complémentarité entre assureurs et réassureurs
On assiste donc depuis quelques années à des rapprochements entre assureurs et réassureurs. En 2016, l’assureur japonais Sompo rachetait Endurance ; en 2018, l’assureur américain AIG acquérait Validus ; et Axa, XL. En Europe, les deux réassureurs les plus performants sont adossés à des assureurs : l’assureur Talanx détient 50 % de Hannover Re. Réciproquement, Swiss Re a développé sa filiale d’assurance directe Swiss Re Corporate Solutions et Munich Re possède Ergo.
Cette convergence prend tout son sens : assureurs et réassureurs parlent le même langage, celui des risques, de la protection et de la durabilité, et ils sont tenus de garantir leur pérennité et de rester durablement solides. Pour absorber les pics d’intensité, ils doivent réciproquement diversifier leurs activités et disposer d’un important potentiel de développement pour augmenter leurs résultats et donc alimenter la solvabilité. Créer des collaborations entre les deux métiers est forcément gagnant-gagnant.
Le réassureur, par les nombreux marchés mondiaux qu’il vise, a davantage de recul pour appréhender les nouveaux risques dans toute leur complexité et exploite une masse de données considérable. Il apporte sa temporalité cyclique et une rentabilité accrue. L’assureur offre sa stabilité, ses réseaux de distribution et, par la proximité qu’il entretient avec ses assurés, une connaissance pointue de leurs attentes et de leurs besoins.
Le rôle des assureurs mutualistes
Pour se renforcer, les réassureurs doivent augmenter leur performance capitalistique. Il leur faut du temps, afin de disposer d’un horizon suffisant pour accumuler du capital et absorber la cyclicité et la volatilité de leurs activités. Ce en quoi les assureurs leur procurent une complémentarité particulièrement efficace. Notamment les assureurs mutualistes, dont les alliances avec des réassureurs ont le vent en poupe : en France Covéa a acquis Partner Re en juillet 2022 ; et, en juillet 2023, c’était au tour du consortium SMABTP et MACSF, respectivement spécialistes de la construction et des professionnels de santé, de finaliser l’acquisition de la majorité du capital de CCR Re, le second réassureur français.
Rien de plus logique car, au sein des assureurs, les mutualistes ont le double avantage d’un horizon temporel de long terme et d’une capacité d’accumulation de capital inégalée du fait de leur absence d’actionnaire. C’est inscrit dans leur ADN : les sociétés d’assurance mutuelles sont tenues de réinvestir leurs excédents et constituent ainsi des fonds propres particulièrement importants. Ces caractéristiques permettent de concevoir des rapprochements opportuns entre l’industrie de la réassurance et les grandes mutuelles d’assurance.
Une tendance durable
Et demain alors ? Certes, assurance et réassurance interviennent sur des périmètres bien délimités, qui pour des raisons financières et comptables, notamment, doivent conserver leur étanchéité. Mais la porosité industrielle est de plus en plus évidente : sur le risque d’entreprises, les grands groupes cherchent une réponse globale pour leur pays d’origine et, à l’international, dans le secteur automobile, les constructeurs cherchent des partenaires pouvant porter des grands programmes d’assurance internationaux. Assureurs et réassureurs doivent donc apprendre à hybrider leurs expertises et apporter des capacités nouvelles telles que l’accompagnement dans la construction de captives ou la construction de programmes spécifiques. Ces nouveaux modes de collaboration sont encore à inventer et il faut espérer que les acteurs français, compagnies comme régulateurs, arrivent à être au rendez-vous de ce nouvel écosystème de risques.