WorldSkills les JO des métiers : pour la Patrie, les métiers et la jeunesse
Tous les deux ans, la plus grande compétition des métiers au monde est organisée par l’association WorldSkills, dans une ville à chaque fois différente. En 2024, c’est Lyon qui accueille les 60 métiers en compétition et leurs 1 500 compétiteurs de 65 pays. Matthieu Turban (X04) est le chef d’atelier pour l’épreuve d’électronique. Il nous en raconte quelques coulisses et sa découverte d’un événement d’une dimension insoupçonnée. La devise du mouvement ? Where there is a skill, there is a way.
Plus connus en France sous l’appellation « Olympiades des métiers », les WorldSkills font s’affronter les meilleurs jeunes de tous les pays du monde dans des activités aussi diverses que le soudage, les services à la personne, l’art floral ou la cybersécurité. À chaque compétition internationale, WorldSkills France compose et prépare une « équipe de France des métiers » constituée des meilleurs jeunes talents du pays. Pour participer, une seule condition : avoir moins de 23 ans l’année de la compétition internationale.
Une occasion à saisir
L’aventure WorldSkills commence en 2019 par un simple courriel de renseignements sur le bénévolat local. C’est fou comme les choses les plus anodines peuvent parfois conduire aux plus belles histoires ! J’apprends alors que Lyon va organiser en 2020, puis en 2022, une compétition originale : le championnat de France des métiers, aussi appelé WorldSkills France.
Mieux : Lyon accueillera une future édition de la compétition au niveau international ; quelque chose que j’ai déjà vu à la télévision ; mais le vivre en vrai, c’est une autre histoire ! Près de trente années après l’avoir accueillie pour la seule et unique fois depuis l’adhésion de la France au mouvement WorldSkills en 1953, Lyon sera une vitrine de l’excellence professionnelle.
C’est donc naturellement que je réponds à l’appel à volontariat ; l’organisation diffuse peu après un appel à spécialistes pour couvrir des disciplines qui ne sont pas d’habitude présentes en compétition nationale. En effet, la France veut présenter un maximum de champions dans chaque discipline pour « sa » future compétition mondiale ! Parmi les disciplines « nouvelles » en France se trouve l’électronique.
Des circonstances favorables
Je suis dans le milieu ferroviaire depuis 2010 et dans l’électronique depuis 2015. L’électronique ferroviaire, rien ne m’y prédestinait. Non-électronicien au départ, c’est dans mon cadre professionnel de projets industriels de localisation que j’ai pris en main la mise en place d’ateliers de réparation électronique à travers le monde.
L’industrie ferroviaire est pour moi le mélange de la technologie et du concret ; des ingénieurs experts qui mettent leur savoir et leur science au service de l’humain. Être expert, c’est créer, mais aussi transmettre : créer pour améliorer le monde et transmettre pour passer cette valeur aux générations futures. Je n’ai rien à perdre, et un réseau industriel à offrir : je réponds et reçois tout de suite un accueil enthousiaste ; l’électronique, c’est au cœur des systèmes qui régissent notre quotidien ! Et si on peut présenter un champion français…
Le défi de créer une épreuve ex nihilo
Au fil des échanges je m’aperçois que tout est à construire : aucun contact n’existe pour cette filière au sein d’une organisation pourtant nationale et avec un fort soutien administratif et gouvernemental. Grâce à l’abnégation de certains collègues, la sollicitation de mon réseau et certainement un peu de chance, je tisse des liens avec le département génie électrique de l’Insa Lyon qui se montre tout de suite motivé.
Nous formons la première « équipe métier électronique » de l’histoire de WorldSkills France ! Je serai chef d’atelier, chargé de trouver les moyens de fournir le matériel nécessaire à l’épreuve. Mes partenaires de l’Insa Lyon seront les experts métiers, chargés de rédiger l’épreuve et de me donner le cahier des charges pour les outils. Si cela est une petite victoire en soi, tout reste à construire, de l’épreuve à l’installation…
S’ensuivent plusieurs mois de revues à distance un peu éparses, et la découverte du mouvement WorldSkills : certains métiers sont déjà tout à fait rodés aux outils, pour lesquels la compétition est un parcours parfois « naturel » dans la filière scolaire. Nous, au milieu, nous sentons un peu dépassés, comme par la liste d’infrastructures à construire pour l’atelier, aux centaines de lignes de matériel. Même si l’on reste discret, l’organisation compte sur nous : l’électronique, ça y est, est bien affichée comme une des épreuves nationales !
L’expertise industrielle au service d’un grand événement populaire
L’électronique est un métier complexe qui présente la particularité d’exiger des compétences à la fois théoriques et pratiques. Le compétiteur doit concevoir une carte électronique pour une fonction donnée, son routage (les pistes et circuits internes à la carte), définir le choix des composants et leur programmation, essentiellement sur ordinateur. Mais il faut ensuite évaluer la réalisation concrète de cette carte, la maîtrise du dépannage et le « brasage » des composants. Le brasage des composants est l’étape consistant à souder les composants sur le circuit imprimé, soit en surface (on parle de CMS, composants montés en surface) ou sur la face opposée (on parle de composants traversants). Ce procédé spécial est régi par des normes, notamment les normes IPC (Institute of Printed Circuits).
Très vite on s’aperçoit que les professeurs de l’Insa sauront fournir l’épreuve théorique, mais pas l’examen pratique. Étant au cœur d’un outil industriel de pointe, je prends en main cette partie. Cela me permettra de me sentir plus impliqué dans la compétition que si j’étais simple fournisseur de matériel ! J’ai la chance de côtoyer des experts reconnus, qui valident la compétence de notre personnel sur ces aspects pratiques. Je sollicite donc notre expert brasage, ainsi que le directeur Europe des normes IPC, et nous convenons d’une base d’épreuve, avec des cartes de l’IPC et le jugement de notre expert. Quant au matériel, ce sera celui de notre propre école de brasage !
Deux étapes
Les sélections nationales s’échelonnent en deux étapes. La première est la compétition régionale, où chaque filière régionale doit élire son champion. Nous nous interfaçons avec l’IUT de Lyon‑I pour faire une épreuve avec quatre compétiteurs et nous « faire la main » sur la compétition. Malgré les péripéties liées à la Covid, en janvier 2021 la première épreuve de notre histoire sélectionne un étudiant ! La deuxième étape est d’organiser les finales nationales qui ont lieu la deuxième semaine de janvier 2022 à Eurexpo, le parc des expositions de Lyon.
Un vrai succès
Eurexpo, c’est gigantesque : 1 000 000 m² en surface et 140 000 m² d’espaces de compétition ou de présentation des partenaires. J’ai déjà arpenté les halls de ce parc en tant que visiteur, mais là c’est une tout autre histoire : il faut tout mettre en place. Avec les moyens du bord… c’est donc avec ma voiture personnelle que nous faisons quelques allers-retours (d’une distance très courte, l’usine Alstom étant à 10 kilomètres à peine du parc…) pour apporter et mettre en place le matériel.
Une première expérience behind the scenes mais surtout dans un environnement inhabituel, plus adapté aux expositions qu’aux ateliers industriels. Cela semble étrange d’être ici « l’expert électronique » de la zone, alors que dans nos transferts habituels tout est standard et réglé par les procédures d’une usine ! Nous installons donc les postes de brasage, les alimentations, oscilloscopes et autres extracteurs d’air pour les compétiteurs.
13 janvier 2022 : c’est le jour J, trois compétiteurs seulement sont venus (décalage de dates oblige…). Mais il est de notre responsabilité d’en choisir un ! Malgré l’ambiance « masquée », la compétition se passe bien : c’est en fait un soulagement de voir que des mois de préparation nous permettent de proposer une épreuve solide, et ces trois jours sont en fait tranquilles. Un peu trop, car le public n’est pas forcément au rendez-vous en raison de la période, mais tout est très fluide. En définitive, nous sélectionnons le premier champion de France WorldSkills pour le métier électronique, fierté de l’équipe !
WorldSkills en quelques chiffres
- 1 500 Compétiteurs
- 1 500 Experts
- 250 000 Visiteurs
- 2 000 Volontaires
- 8 000 Accrédités
- 65 Pays
- 6 Pôles métiers
- 60 Métiers
« Un nain juché sur des épaules de géant »
Petit poucet de l’organisation, nous avons pu bénéficier de la grande machine WorldSkills pour réaliser une épreuve sérieuse et complète. Et si notre champion pouvait créer la surprise ? Nous l’accueillons dans nos locaux pour peaufiner sa préparation avec une formation au brasage en octobre 2022. Il s’envole ensuite vers Berne pour affronter en novembre 2022 les champions des autres nations. L’entraînement porte ses fruits, puisque pour la première participation de la France aux WorldSkills international sur le métier électronique, il rapporte une « médaille d’excellence » en étant classé 8e sur 17 participants, et même 3e européen !
“Notre champion rapporte une « médaille d’excellence ».”
Transformer l’essai, dans et en dehors de la compétition
Après cette première expérience concluante, nous rempilons presque naturellement pour une deuxième édition. L’enjeu est alors plus important, puisque le champion de France sera alors « à domicile » pour la prochaine compétition internationale en septembre 2024. Petite nouveauté de cette édition : étant connus, nous sommes bien plus sollicités pour la promotion de l’épreuve, que ce soit par l’organisation, par les fédérations professionnelles ou par la ville, qui veut capitaliser sur cet événement pour la communication locale. Je m’implique notamment avec des vidéos sur les réseaux sociaux ou la participation à des salons de promotion de l’industrie (ville de Lyon, UIMM Union des industries et métiers de la métallurgie). Plus encore que la compétition, c’est le métier qu’on veut mettre en avant, car tous les métiers de l’industrie pâtissent d’un manque de visibilité et de perspectives.
Donner une vision concrète, vivante et conforme à la réalité avec toute la diversité du technicien à l’ingénieur, c’est en réalité le vrai défi de cet engagement. Les finales nationales se déroulent en septembre 2023 également à Eurexpo, avec quatre concurrents et un public beaucoup plus présent. Pour cette occasion le champion 2022 a rejoint l’équipe métier et nous héritons d’une zone de compétition centrale dans Eurexpo, avec le passage de nombreux groupes scolaires et de personnalités politiques. Finalement Alstom a recruté en alternance les deux premiers des sélections régionales Auvergne-Rhône-Alpes et nous avons pu désigner un champion pour l’édition internationale de 2024. Une manière de concrétiser le travail accompli !
En route vers 2024
Et maintenant ? J’ai rejoint l’équipe métier internationale pour le métier électronique. Le champion de France m’accompagne pour la partie atelier et notre expert métier responsable de construire l’épreuve est, lui, allemand. La zone de compétition sera de 800 m² et plus de 20 compétiteurs viendront des quatre coins du monde avec un objectif élevé : être champion du monde !
Dans certains pays et dans de nombreux métiers, c’est l’objectif de toute une filière de formation. Le droit à l’erreur n’existe pas et l’enjeu est bien plus grand, mais quelle chance de pouvoir s’interfacer avec le monde entier pour la promotion d’un métier qui est, lui, plutôt confidentiel ! C’est aussi une satisfaction personnelle de transformer au niveau monde ce qu’on a pu faire à notre niveau national, pour gagner aussi l’expérience des autres pays qui, eux, ont beaucoup plus d’historique dans la compétition.
Il faut faire attention à tout : le sol ESD (electrostatic discharge – les outils du métier électronique doivent être conformes à des normes de mise à la terre pour éviter toute perturbation électrostatique durant la manipulation des matériaux ; cela comprend le sol, les postes et vêtements de travail), l’égalité et l’équité de tous les postes, les technologies utilisées. Même le matériel doit privilégier les global partners qui ont des contrats de partenariat avec le mouvement WorldSkills international.
Une convention en janvier 2024 réunit plus de 600 membres des équipes métiers pour finaliser les préparatifs, de la liste de matériel au plan d’implantation des espaces métiers, et engager la dernière ligne droite. Enfin, en septembre 2024, le campus de l’Insa Lyon entier hébergera l’ensemble des participants.
Les JO des métiers… en même temps que les JO
Je suis à la fois enthousiasmé de cette occasion qui me fait rencontrer des personnes du monde de l’électronique largement au-delà de ce que j’aurais pu imaginer juste avec Alstom : des experts mondiaux, des organisateurs d’événement, les responsables de la norme, les filières scolaires ou administratives qui gèrent les formations ; mais également légèrement inquiet de l’ampleur de l’enjeu. C’était déjà le cas quand nous n’étions qu’une petite équipe à construire les championnats de France…
Le défi va au-delà de l’intérêt professionnel ou personnel : c’est une responsabilité sociétale personnelle et professionnelle, une manière de prouver une certaine « utilité globale » de notre apprentissage, de notre expertise. Mettre la France sur l’échiquier, voire le podium de chaque métier, ça n’a pas de prix. Développer ce mouvement et cette compétition, c’est valoriser des domaines moins considérés et notre jeunesse en quête de reconnaissance. Si la démarche vous intéresse, il est possible de se mettre en relation avec les responsables du mouvement, en France ou à l’international, qui sont toujours en recherche de relais professionnels experts. Les instances administratives régionales de formation sont déjà parties prenantes, car ces filières proposent des candidats ; mais ces candidats doivent souvent être soutenus, encouragés, entraînés par nos entreprises : c’est là que réside notre valeur ajoutée.
Reporté d’un an, l’événement succédera presque immédiatement à son grand frère : les Jeux olympiques de Paris 2024. Cela dit… cet événement international est gratuit et ouvert à tous du 10 au 15 septembre 2024, dans une ville magnifique à découvrir, qui plus est ! Vous êtes donc les bienvenus !