Le Fonds de Réserve pour les Retraites : un fonds atypique à la croisée des enjeux de demain
Adrien Perret, membre du directoire du Fonds de Réserve pour les retraites (FRR), revient sur la création du fonds, l’évolution de ses missions et son avenir. Entretien.
Qu’est-ce que le Fonds de Réserve pour les Retraites et quels sont ses missions et son périmètre d’action ?
Le FRR est un établissement public qui a pour mission d’investir les sommes qui lui sont confiées par les pouvoirs publics. Sa politique d’investissement vise à optimiser le rendement dans les meilleures conditions de sécurité afin de participer au financement des retraites. Il détient aujourd’hui environ 21 Md€ d’actifs, et verse annuellement un paiement à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), à hauteur de 2,1 Md€ en 2024 puis 1,45 Md€ chaque année entre 2025 et 2033.
Lors de sa création par la loi n°2001–624 du 17 juillet 2001, l’ambition du FRR était d’accumuler des réserves financières de l’ordre de 150 milliards d’euros à l’horizon 2020, afin d’atténuer à partir de cette période la charge qui pèserait sur les futures générations de cotisants (à hauteur de 12 à 15 milliards d’euros de 2020 par an), et de lisser la bosse démographique héritée du baby-boom. La vision était donc de constituer un système de « répartition provisionnée » qui combinerait les avantages de la capitalisation avec la mutualisation des risques propres à la répartition.
Les premières années du FRR ont ainsi été marquées par une phase d’accumulation active d’un total de 31,4 milliards, soutenue pour moitié par des prélèvements sociaux sur les revenus de placement, avec des recettes annuelles de 1,5 à 5,6 milliards d’euros entre 1999 et 2010, pour un cinquième par des excédents des régimes de retraite, 15% par des recettes de privatisation et 9% de produit de la vente de licences UMTS.
À l’heure actuelle, l’action du FRR repose sur trois piliers principaux : la construction d’un portefeuille diversifié en termes de classes d’actifs et de zones géographiques et doté d’une poche significative d’actifs de performance, qui vise à optimiser le rendement dans un cadre de risque maîtrisé ; la sélection de gérants selon un processus robuste et rigoureux d’appels d’offre ; et une politique d’investisseur responsable ambitieuse, dont les effets portent au-delà des actifs en gestion, et diffuse sur l’écosystème de gestion financière.
Comment l’évolution réglementaire et législative vous impacte-t-elle ?
La réforme des retraites de 2023 n’a pas modifié le FRR, ni son fonctionnement. En revanche, celle de 2010, puis la loi pour la dette sociale et l’autonomie de 2020 ont totalement changé la donne et conduit à une réorientation stratégique. La réforme des retraites de 2010 a redirigé les abondements prévus pour le FRR vers la Cades, transformant ainsi notre mission. Le FRR n’a plus reçu aucun abondement et les nouvelles directives lui ont imposé de verser 2,1 Md€ par an à la Cades, jusqu’en 2024, réduisant considérablement sa portée de stabilisateur à long terme. Plus récemment, la loi pour la dette sociale et l’autonomie de 2020 a prolongé cette situation, en étendant la durée de vie de la Cades et par conséquent, des paiements supplémentaires à la Cades de 13 milliards entre 2025 et 2033 (1,45 Md€ annuels) ont été ajoutés au passif du fonds.
À la suite de la crise de la Covid, le gouvernement a décidé, en mai 2020, que le Fonds serait à nouveau appelé pour contribuer à l’apurement des déficits des comptes sociaux consécutifs à la gestion de la crise. 5 Md€ d’actifs ont dû être vendus entre juin et début juillet 2020 au titre de la restitution de la soulte CNIEG (concernant les retraites des industries électriques et gazières) au régime général de retraite.
Ces épisodes ont bouleversé la trajectoire financière du FRR, mais ont également mis en lumière les fluctuations des priorités politiques et leur impact sur les stratégies d’investissement à long terme des institutions publiques. Les ajustements successifs ont eu des implications majeures sur la capacité du FRR à remplir son objectif initial : soutenir financièrement le système de retraite face aux défis démographiques du XXIe siècle.
L’adaptabilité du FRR face à ces changements de cap témoigne de la robustesse de sa gouvernance et de la flexibilité de sa stratégie d’investissement. Le nouveau modèle de gestion déployé a contribué à une création de valeur significative depuis fin 2010 : 13 Md€ ont été créés au-delà du coût de la dette de l’OAT et le FRR a restitué l’intégralité des sommes dont il a été doté. Aujourd’hui, il gère uniquement le produit de ses placements.
En votre qualité d’investisseur institutionnel et dans le cadre de la loi Transition énergétique pour la croissance verte, comment intégrez-vous la dimension ESG dans votre politique et vos pratiques d’investissement. Comment appréhendez-vous cette dimension et comment cela se traduit-il ?
Le FRR s’est structuré en adoptant des stratégies d’investissement responsable (ISR) pluriannuelles. La dernière a été adoptée fin 2023. Elle poursuit l’ambition d’adopter les standards les plus volontaristes et s’inscrit dans le prolongement d’engagements pris par le FRR, notamment en qualité de membre fondateur des Principes pour l’Investissement Responsable et membre de la Net Zero Asset Owners Alliance.
Le FRR se donne pour objectif d’inciter les entreprises dans lesquelles il investit à atténuer leurs principaux impacts négatifs sur l’environnement et l’ensemble des parties prenantes. Il conduit des actions de dialogue ciblées – via les sociétés de gestion et des actions collectives – pour promouvoir l’application des principales normes internationales, européennes ou françaises.
Dans ce cadre, la stratégie d’investissement responsable du FRR est structurée autour de trois domaines prioritaires : favoriser la transition énergétique et écologique, promouvoir l’équité sociale et préserver la biodiversité. Elle se déploie en s’appuyant sur plusieurs leviers :
l’orientation des investissements, l’action sur l’écosystème de la gestion financière et l’influence sur les entreprises ;
la fixation d’objectifs contraignants et ambitieux de décarbonation dans les portefeuilles de toutes les classes d’actifs cotés, pour atteindre a minima ‑40 % entre 2019 et 2028 ;
le renforcement, en matière de sélection des gérants, des exigences d’inclusion de critères ESG dans le processus de gestion (expertises, objectifs…), et de suivi (indicateurs, résultats des activités d’engagement…) des entreprises dans lesquelles les gérants investissent pour le compte du FRR ;
l’intégration des effets estimés du réchauffement climatique sur la croissance et l’inflation, dans les projections macroéconomiques de moyen terme, selon les travaux du NGFS ;
l’intégration d’objectifs ESG et climat à partir d’indices classiques (les indices climatiques étant insuffisamment avancés) ;
la mise en place d’un dialogue entre les sociétés de gestion et les entreprises les plus émettrices détenues en portefeuille pour mettre en place un plan d’actions en faveur du climat ;
la promotion des meilleures pratiques de gouvernance, pour favoriser la création de valeur à long terme et réduire les risques ESG.
Le FRR accorde une place importante à la transparence et au suivi ESG de son portefeuille. Le reporting interne est renforcé par un reporting très riche exigé des sociétés de gestion. Les éléments sur la politique ESG sont régulièrement publiés dans le rapport annuel ainsi que dans un rapport durabilité (article 29) réalisé avec l’appui de prestataires d’analyse extra-financière sélectionnés par appel d’offres pour leurs expertises. Auparavant, le FRR faisait déjà des rapports « article 173 » de la loi TEE (sur la transparence relative à la prise en compte des enjeux ESG) depuis sa mise en œuvre alors qu’il n’était pas soumis à cette obligation.
Enfin, sur le sujet de la biodiversité, le FRR a adhéré à l’initiative Nature Action 100 durant l’été 2023, pour renforcer la prise en compte de cette thématique.
En parallèle, dans le contexte actuel, quels sont les autres sujets et enjeux qui vous mobilisent ?
En 2023, le FRR s’est doté d’une raison d’être : « Investir pour créer de la valeur durable au service des grands enjeux publics de demain » qui met en avant, au-delà d’une contribution au financement des retraites et du versement actuel à la Cades, son rôle d’investisseur responsable de long terme lui permettant d’investir dans le financement de l’économie française et de la transition écologique et énergétique. Les besoins sont considérables et le FRR a un rôle moteur à jouer à ce niveau. Ce type de placements souvent en actifs non cotés est en outre essentiellement domestique, et constitue une source de rentabilité significative : +9 % de rendement pour les actifs non cotés du FRR en 2022 quand ceux cotés chutaient de 12 %.
Dans le contexte macroéconomique et géopolitique actuel très particulier, la gestion des risques est cruciale. Fin 2023, le FRR a reçu une récompense des Couronnes de l’Agefi sur la meilleure initiative en matière de gestion des risques, notamment concernant la bonne articulation entre la direction financière et la direction des opérations et des risques dans la construction et le suivi du portefeuille.
En parallèle, nous sommes mobilisés sur plusieurs axes de développement récents : la modélisation des actifs financiers, la fonction d’utilité qui permet de représenter les préférences du FRR en amont, et une plus grande réactivité dans le suivi des risques de court terme en aval.
Aujourd’hui, comment se projette le Fonds de Réserve pour les Retraites ?
La gestion de l’actif du FRR au-delà de l’horizon 2033 est incertaine : pour fonctionner correctement le FRR a besoin d’un horizon long. Or aujourd’hui, il reste de l’incertitude sur ce qu’il adviendra de son actif au-delà de cette date. Cette situation entraîne des conséquences profondes et dès le court terme sur l’allocation stratégique et la performance espérée. Au-delà, se pose également la question du portage des actifs non cotés finançant les PME ETI françaises. La perspective d’étendre rapidement et de façon explicite l’horizon opérationnel au-delà de 2033 apparaît donc centrale.
Il est aussi envisagé d’explorer des coopérations possibles avec d’autres acteurs de la sphère de gestion des réserves de retraite, notamment concernant le reporting de portefeuille et les systèmes d’information, partager l’expérience dans les investissements dans le non coté ou échanger sur des bonnes pratiques en matière de construction de portefeuille, de sélection de gérants, de politique ESG. Par ailleurs, la poursuite de la concentration du marché de prestation dans le domaine des données financières (données de marchés, de crédit), des outils de suivi de risque, d’analyse de portefeuille (transparisation, ESG, décarbonation, etc.) impliquant une hausse constante des coûts, amène depuis quelques années le FRR à mutualiser des prestations avec d’autres investisseurs institutionnels (CDC, ERAFP, etc.).