Géographie physique, groupes ethniques et démographie africaine
Aborder l’Afrique d’un point de vue des frontières entre les États indépendants (au nombre de 54 aujourd’hui) est très réducteur de la richesse qu’offre le continent en matière de diversité culturelle et ethnique. Ces frontières issues de la colonisation ne traduisent aucune réalité historique et sont parfois complètement ignorées par des groupes ethniques vivant de part et d’autre de certaines frontières. Il faut revoir les idées toutes faites en la matière pour construire des partenariats efficaces.
En octobre 2007, ce fut mon premier déplacement en Afrique subsaharienne, à Libreville au Gabon. Bien que je sois originaire d’Afrique du Nord, ce déplacement marque le début de mon histoire avec le continent africain où je passe aujourd’hui, depuis de nombreuses années, la moitié de mon temps en parcourant plusieurs pays africains dans le cadre de mon travail de conseil auprès d’investisseurs privés et de sociétés nationales opérant dans les industries extractives sur le continent africain. À travers cet article, j’essayerai d’apporter une lecture des interactions entre la géographie physique, les groupes ethniques et la démographie africaine. En commençant par déterminer ce qui caractérise le continent africain sur chacun de ces trois thèmes.
La géographie physique
La géographie du continent est massive. Son cœur est un plateau rocheux surélevé formé il y a entre 3 500 et 500 millions d’années, riche en minéraux mais aux sols pauvres. Les zones les plus élevées sont situées sur les côtés, conférant au continent un caractère « fermé ». Des vastes bassins hydrographiques caractérisent l’intérieur du continent, qui vont jouer un rôle catalyseur dans les rencontres des populations africaines. La carte climatique et la répartition de la végétation et de certaines matières premières (notamment le fer et l’or) ont également favorisé le mouvement des populations. L’élevage et l’agriculture ajoutés à la chasse et à la cueillette ont contribué au fort accroissement des populations.
Les groupes ethniques
Le continent africain compte un nombre élevé de groupes ethniques, certains le chiffrent à plus de 2 500 groupes, entraînant ainsi une diversité linguistique et de pratiques culturelles. Les multiples crises qu’a connues le continent ont contribué au paysage socioculturel et politique africain. Là aussi, la création des États africains n’a pas réussi à fonder la notion d’un bien commun des peuples, provoquant ainsi un refuge dans les groupes ethniques d’origine ou dans le tribalisme, utilisé souvent par les politiciens en périodes électorales en Afrique. Le défi du continent était et est de savoir vivre les conflits ethniques et d’interagir les uns avec les autres en dépassant ses différences.
“Plus de 2 500 groupes ethniques.”
La démographie africaine
Selon les prévisions de l’ONU, les pays africains devraient contribuer à plus de la moitié de l’augmentation prévue de la population mondiale en 2050. Et en 2100 plus du tiers de l’humanité sera africaine, selon l’Ined. Ce boom démographique constituera-t-il un handicap ou une force pour le continent ? Plusieurs lectures existent quant à la réponse à cette question ; ce boom pourrait accélérer la croissance économique de l’Afrique mais sans encadrement, autrement dit sans la création de conditions de réalisation (éducation, santé, infrastructures, etc.), ce boom pourrait se transformer en un handicap.
Aujourd’hui, les pays africains importent plus qu’ils n’exportent, les travailleurs africains ne contribuent pas ainsi suffisamment à la richesse du continent, ce phénomène engendre des inégalités importantes dans la population africaine, favorables à la violence et au terrorisme. Une augmentation de la population, sans encadrement, ne fera qu’accentuer ces phénomènes. À noter que les données démographiques en Afrique constituent des estimations non précises et faisant parfois l’objet de révisions non négligeables ; le Nigeria a connu par exemple des fluctuations importantes d’un recensement de population à l’autre.
Comment la géographie physique influence la démographie africaine ?
La géographie, notamment la carte climatique du continent, explique en grande partie les mouvements migratoires et les variations démographiques africaines. Cette influence sur la population pourrait se matérialiser sous trois formes : le comportement biologique de l’homme, ses aptitudes à satisfaire ses besoins alimentaires et les conditions d’exploitation agricoles et commerciales. Les phases de pluies constituent en général des phases d’accroissement démographique et les phases de sécheresse des sources d’agressions de toutes sortes ; l’assèchement du Sahara a entraîné la migration des populations de langues nilo-sahariennes vers le nord ou vers le sud ; le recul des précipitations et la disparition de la forêt équatoriale ont conduit les groupes de locuteurs de langues bantoues à progresser vers le sud et le sud-est, jusqu’en Afrique australe.
Une densité de population très inégale
La densité de population africaine est faible, de 30 habitants par km², et la répartition est inégale sur le continent entre l’intérieur d’une part et les grandes vallées, les littoraux et les hautes terres, du fait des contraintes naturelles. Le Sahara et le Kalahari comptent moins d’un habitant par km², alors que la densité au Burundi est de 500 habitants au km² et celle du Nil de plus de 1 500 habitants au km².
Les foyers les plus peuplés du continent africain sont au nombre de six : le foyer de l’Afrique du Nord, le foyer du golfe de Guinée, le foyer de la vallée du Nil, le foyer de la montagne éthiopienne, le foyer de l’Afrique des Grands Lacs et le foyer de l’Afrique australe. Les mouvements de population et les échanges furent aussi encouragés par la complémentarité de certaines régions, comme le sel qui n’est produit que dans certaines zones bien délimitées (aires désertiques du Sahara ou du Kalahari) ou encore comme le fer utilisé dans la fabrication de la daba et se trouvant au Maghreb, dans le Niger oriental et sur le plateau du Nigeria central.
Un défi pour la transition urbaine
Cette démographie africaine constituera un défi pour la transition urbaine et sa politique locale correspondante ; gestion et aménagement urbains, intégration des échelles locales et régionales pour tenir compte des réalités africaines, aspects environnementaux, etc. La croissance urbaine africaine, expliquée à moitié par l’exode rural et à moitié par la croissance de la population urbaine elle-même, constitue aujourd’hui une chance économique, mais mal valorisée par les pouvoirs publics. Les villes africaines constitueront demain la future géographie physique qui animera le continent ; des villes bien planifiées et bien gérées, à l’heure du développement des smart cities, peuvent contribuer au développement économique de l’Afrique tout en gardant une empreinte culturelle locale.
Comment les groupes ethniques influencent la démographie africaine ?
La différenciation entre communautés se fait en fonction de l’ethnie en Afrique, motivée parfois par une volonté politique de discrimination positive. De nombreux recensements de population comportent une variable de collecte relative à l’ethnie, comme celui au Burkina Faso, même si cette variable a aujourd’hui été remplacée par la langue parlée. Plusieurs sociologues africains estiment d’ailleurs que l’ethnie est un faux concept, comme celui de l’identité nationale, et retiennent les critères linguistiques pour différencier les communautés ; trois quarts des langues africaines appartiennent à la famille des langues bantoues, une grande famille des langues nigéro-congolaises, dont les noyaux primitifs se trouvaient sur les plateaux nigérians qui se sont dispersés progressivement vers l’Afrique occidentale et l’Afrique australe en apportant la métallurgie du fer. Il s’agissait de la première colonisation interne du continent.
L’ethnie, source de conflits ?
Pour simplifier, nous pouvons diviser les peuples d’Afrique en deux groupes : d’une part les Arabo-Berbères habitant l’Afrique du Nord, ce sont des métis de Noirs d’Afrique et de Blancs, Sémites et Indo-Européens, et les Négro-Africains d’autre part.
Le nombre élevé de groupes ethniques en Afrique, voire à l’intérieur d’un seul État africain (plus de 250 groupes ethniques recensés dans la seule République démocratique du Congo), peut constituer un obstacle au développement d’une unité nationale, et parfois un élément d’instabilité pour des groupes ethniques en position transfrontalière, à l’exemple de l’ethnie Zaghawa transfrontalière entre le Tchad et le Soudan. En réalité, c’est l’utilisation politique de l’ethnicité (« politisation de l’ethnicité »), pour mobiliser des partisans dans une conquête du pouvoir, qui serait la source de conflits. Le Rwanda en est l’illustration lors du génocide des Tutsis par les Hutus en 1994. On réduit souvent à tort tout conflit en Afrique à un pur conflit ethnique !
Faire converger ethnie et État ?
La croissance rapide de population en Afrique stimule les revendications autochtones pour représenter les circonscriptions, qui peuvent dégénérer en discrimination et en nettoyage ethnique, alimentées par la pression sur les ressources et les terres. La crise économique en Côte d’Ivoire des années 1990 a précipité la guerre civile sur les terres entre les populations de la ceinture forestière productrice de cacao et les immigrants de la savane septentrionale.
Plusieurs outils existent aujourd’hui, accélérés par les processus démocratiques, pour faire converger ethnie et État, ou comment établir un environnement harmonieux, d’intégration sans exclusion, de partenariats économiques et de partage de valeurs communes. On pourra citer par exemple la commission pour les droits de l’homme et la justice administrative au Ghana, visant à atténuer les conflits ethniques, ou encore la décentralisation du pouvoir au Kenya qui, après les violences des élections de 2007, a adopté une Constitution donnant à ses gouverneurs une grande autonomie.
Un nouveau paradigme
Appréhender l’Afrique n’est pas facile et nécessite la prise en compte de ces interactions entre la géographie physique, les groupes ethniques et la démographie africaine, sur un plan que ce soit politique, diplomatique ou économique. À l’aube de la ruée vers le continent et ses ressources fossiles et minières, accentuée par la transition énergétique (il suffit de voir le nombre de sommets Afrique organisés par tel ou tel pays pour se rendre compte de l’importance qu’occupe aujourd’hui le continent), il conviendrait de procéder à des innovations sur les partenariats avec les pays africains, pour intégrer de nouveaux paramètres discriminants jusqu’à présent ignorés : favoriser le développement économique local, préserver la diversité culturelle et ethnique, former la jeunesse africaine, accompagner la lutte contre le changement climatique, promouvoir les droits humains et enfin respecter l’Homme africain.