Préromantique, postromantiques
« Le classique est la santé, le romantique la maladie. »
Goethe, Maximes et réflexions
L’Octuor de Schubert
Quand en février 1824 Schubert entreprend de composer son Octuor, sur commande d’un comte clarinettiste, le romantisme est déjà présent, chez les musiciens aussi bien que chez les écrivains et les poètes, mais il suscite bien des réserves et même des dégoûts de la part des tenants du classicisme. Schubert reste tourné vers le XVIIIe siècle, comme beaucoup, et la commande qu’il reçoit stipule explicitement qu’il doit s’inscrire dans l’héritage du Septuor de Beethoven. D’où cette œuvre unique à bien des égards, classique par sa forme et romantique par sa sensibilité, qui illustre le passage d’une époque à l’autre dans l’histoire de la musique. Cette véritable petite symphonie de chambre associe cinq cordes – deux violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse – et trois vents, clarinette, cor et alto. Musique révolutionnaire à bien des égards, par son envergure (une heure) et aussi parce qu’elle redéfinit ce que peut être une œuvre de musique de chambre.
L’enregistrement que viennent de réaliser des solistes du Philharmonique de Berlin est exemplaire : perfection de chaque instrumentiste, cohésion de l’ensemble,
sérénité dans la pure tradition classique, chaleur et lyrisme comme le veut le romantisme. Un très beau disque.
1 CD CALLIOPE
Rachmaninov, la 1re Sonate pour piano
Pourquoi la Sonate n° 1 pour piano est-elle si peu jouée et si rarement enregistrée, à la différence de la 2e Sonate ? Rachmaninov la jugeait lui-même « absolument sauvage et indiciblement longue ». C’est que cette pièce n’est pas bâtie sur un petit nombre de thèmes lyriques – et délicieusement séduisants pour l’auditeur – comme le 2e Concerto pour piano, par exemple, ou la Sonate pour piano et violoncelle. Elle explose de petits thèmes, de motifs brefs, de gestes musicaux, combinés et une polyphonie labyrinthique et virtuose. En réalité, écrite en 1917, elle est incroyablement en avance sur son époque et, même si elle évoque la Sonate de Liszt par sa forme, elle n’est comparable qu’aux Sonates de Prokofiev. Au fond, elle est la plus moderne, la plus créative de toutes les pièces pour piano seul de Rachmaninov. Un chef‑d’œuvre, remarquablement joué par le brillant pianiste russo-lituanien Lukas Geniušas qui l’a enregistré sur le piano de Rachmaninov, cadeau de M. Steinway au pianiste-compositeur pour son 60e anniversaire.
1 CD ALPHA CLASSICS
Le Quatuor n° 2 de Florence Price
Vous ne connaissez vraisemblablement pas Florence Price (1887−1953), compositrice américaine et noire (on dirait aujourd’hui « afro-américaine »), métisse de l’Arkansas qui aura vu sa carrière entravée, nous dit-on, « par moult préjugés sexistes et racistes ». Eh bien, vous allez la découvrir grâce à son Quatuor n° 2 enregistré par le Quatuor Ragazze. Une écriture originale et profondément séduisante, subtile, raffinée, aux chromatismes complexes, avec des réminiscences de negro-spirituals et de jazz. Un véritable petit chef‑d’œuvre.
Sur le même disque, le Quatuor américain de Dvořák et une curiosité, transcription pour quatuor à cordes de la chanson At the purchaser’s option de la chanteuse Rhiannon Giddens.
1 CD CHANNEL
Si Goethe, qui exprimait au début du XIXe siècle son aversion pour les indécences du romantisme, revenait parmi nous, que dirait-il de l’invasion de l’engagement politique dans l’art du XXIe siècle ? Mais cela, comme dirait Kipling, est une autre histoire.