Préromantique, postromantiques

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°794 Avril 2024
Par Jean SALMONA (56)

« Le clas­sique est la san­té, le roman­tique la maladie. »
Goethe, Maximes et réflexions

L’Octuor de Schubert

Quand en février 1824 Schu­bert entre­prend de com­po­ser son Octuor, sur com­mande d’un comte cla­ri­net­tiste, le roman­tisme est déjà pré­sent, chez les musi­ciens aus­si bien que chez les écri­vains et les poètes, mais il sus­cite bien des réserves et même des dégoûts de la part des tenants du clas­si­cisme. Schu­bert reste tour­né vers le XVIIIe siècle, comme beau­coup, et la com­mande qu’il reçoit sti­pule expli­ci­te­ment qu’il doit s’inscrire dans l’héritage du Sep­tuor de Bee­tho­ven. D’où cette œuvre unique à bien des égards, clas­sique par sa forme et roman­tique par sa sen­si­bi­li­té, qui illustre le pas­sage d’une époque à l’autre dans l’histoire de la musique. Cette véri­table petite sym­pho­nie de chambre asso­cie cinq cordes – deux vio­lons, un alto, un vio­lon­celle, une contre­basse – et trois vents, cla­ri­nette, cor et alto. Musique révo­lu­tion­naire à bien des égards, par son enver­gure (une heure) et aus­si parce qu’elle redé­fi­nit ce que peut être une œuvre de musique de chambre.

L’enregistrement que viennent de réa­li­ser des solistes du Phil­har­mo­nique de Ber­lin est exem­plaire : per­fec­tion de chaque ins­tru­men­tiste, cohé­sion de l’ensemble,
séré­ni­té dans la pure tra­di­tion clas­sique, cha­leur et lyrisme comme le veut le roman­tisme. Un très beau disque. 

1 CD CALLIOPE

Rachmaninov, la 1re Sonate pour piano

Pour­quoi la Sonate n° 1 pour pia­no est-elle si peu jouée et si rare­ment enre­gis­trée, à la dif­fé­rence de la 2e Sonate ? Rach­ma­ni­nov la jugeait lui-même « abso­lu­ment sau­vage et indi­ci­ble­ment longue ». C’est que cette pièce n’est pas bâtie sur un petit nombre de thèmes lyriques – et déli­cieu­se­ment sédui­sants pour l’auditeur – comme le 2e Concer­to pour pia­no, par exemple, ou la Sonate pour pia­no et vio­lon­celle. Elle explose de petits thèmes, de motifs brefs, de gestes musi­caux, com­bi­nés et une poly­pho­nie laby­rin­thique et vir­tuose. En réa­li­té, écrite en 1917, elle est incroya­ble­ment en avance sur son époque et, même si elle évoque la Sonate de Liszt par sa forme, elle n’est com­pa­rable qu’aux Sonates de Pro­ko­fiev. Au fond, elle est la plus moderne, la plus créa­tive de toutes les pièces pour pia­no seul de Rach­ma­ni­nov. Un chef‑d’œuvre, remar­qua­ble­ment joué par le brillant pia­niste rus­so-litua­nien Lukas Geniušas qui l’a enre­gis­tré sur le pia­no de Rach­ma­ni­nov, cadeau de M. Stein­way au pia­niste-com­po­si­teur pour son 60e anni­ver­saire. 

1 CD ALPHA CLASSICS

Le Quatuor n° 2 de Florence Price

Vous ne connais­sez vrai­sem­bla­ble­ment pas Flo­rence Price (1887−1953), com­po­si­trice amé­ri­caine et noire (on dirait aujourd’hui « afro-amé­ri­caine »), métisse de l’Arkansas qui aura vu sa car­rière entra­vée, nous dit-on, « par moult pré­ju­gés sexistes et racistes ». Eh bien, vous allez la décou­vrir grâce à son Qua­tuor n° 2 enre­gis­tré par le Qua­tuor Ragazze. Une écri­ture ori­gi­nale et pro­fon­dé­ment sédui­sante, sub­tile, raf­fi­née, aux chro­ma­tismes com­plexes, avec des rémi­nis­cences de negro-spi­ri­tuals et de jazz. Un véri­table petit chef‑d’œuvre.

Sur le même disque, le Qua­tuor amé­ri­cain de Dvořák et une curio­si­té, trans­crip­tion pour qua­tuor à cordes de la chan­son At the purchaser’s option de la chan­teuse Rhian­non Gid­dens. 

1 CD CHANNEL

Si Goethe, qui expri­mait au début du XIXe siècle son aver­sion pour les indé­cences du roman­tisme, reve­nait par­mi nous, que dirait-il de l’invasion de l’engagement poli­tique dans l’art du XXIe siècle ? Mais cela, comme dirait Kipling, est une autre histoire.

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