Jimini AI Booste la productivité des avocats
En 2023, Stéphane Béreux (X17) a cofondé Jimini AI, qui s’occupe de la recherche, de l’analyse et de la rédaction de documents juridiques, à très grande vitesse et avec une fiabilité maximale, pour les avocats et plus généralement les juristes, en s’appuyant sur les récentes avancées en IA générative.
Quelle est l’activité de Jimini AI ?
Jimini AI propose un copilote pour les professionnels du droit européens, avocats et juristes, afin de les aider à automatiser les tâches chronophages et à faible valeur ajoutée de leur travail, à savoir la recherche juridique, l’analyse et la rédaction de documents juridiques. Nous leur permettons ainsi de tirer parti de leur base de données interne, une ressource précieuse mais jusqu’alors sous-exploitée, en s’appuyant sur les récentes avancées en IA générative.
Quel est le parcours des fondateurs ?
Raphaël Arroche, CEO de Jimini AI, est diplômé de l’Edhec et a monté plusieurs start-up depuis sa sortie d’études, dont une legaltech (MonPostulant.fr) comptant 7 % des avocats français. Et moi Stéphane Béreux (X17), CTO de Jimini AI, me suis spécialisé en Machine Learning durant mon parcours à Polytechnique, puis j’ai commencé une thèse, que j’ai interrompue pour rejoindre Entrepreneur First en septembre 2022. Il s’agit d’un incubateur de start-up visant à faire se rencontrer des profils business et des profils techniques. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Raphaël et qu’est né Jimini AI.
Comment t’est venue l’idée ?
Nous réfléchissions à un projet qui nous permît de combiner nos spécialités respectives – le monde du droit d’une part et l’IA d’autre part. Cela a coïncidé avec la démocratisation des LLM, avec notamment l’arrivée des modèles open source Llama. Raphaël connaissait bien le problème du manque de temps des avocats, et l’application des nouveaux modèles de langage à ce sujet a donc été une évidence. Nous avons par la suite échangé avec des dizaines d’avocats et juristes pour affiner notre compréhension de leur métier, jusqu’à faire ressortir les trois cas d’usage récurrents que notre outil ambitionne d’automatiser.
Qui sont les concurrents ?
Nos concurrents sont multiples. Certains acteurs américains tels qu’Harvey AI ou Casetext, mais ils sont pour le moment majoritairement aux USA. Plusieurs autres start-up européennes, qui proposent soit des solutions transversales comme la nôtre (par ex. Ordalie), soit des solutions plus spécialisées (comme Robin AI qui se spécialise dans la rédaction de documents juridiques). Les éditeurs juridiques, qui développent des solutions de recherche juridique fondées sur l’IA. Les gestionnaires de données des cabinets et des directions juridiques, comme Microsoft qui développe son copilote, mais qui n’est pas spécialisé pour les professionnels du droit. Si le paysage concurrentiel est donc loin d’être vierge, la « niche européenne » est encore préservée, du fait d’une fragmentation du marché (par rapport à l’immense marché US), de fortes contraintes sur le traitement des données, ainsi que d’un écosystème de legaltech moins développé qu’outre-Atlantique, et c’est elle que nous visons.
Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?
Nous avons levé un pre-seed avec Entrepreneur First en décembre 2022, puis un seed en octobre 2023 pour un montant total de 2 M$. Cet argent nous a permis de recruter une équipe d’une douzaine de personnes, dont 80 % d’ingénieurs, pour développer notre produit qui possède avant tout une ADN tech essentielle.
Après Doctrine et Case Law Analytics, déjà interviewées dans cette rubrique, Jimini est la troisième legaltech fondée sur l’IA. En quoi Jimini AI se différencie-t-elle de ces illustres et jeunes prédécesseurs ?
Doctrine a développé un moteur de recherche juridique sur la donnée open source (qui consiste essentiellement en la loi ainsi qu’en la jurisprudence), là où nous nous focalisons sur la donnée propriétaire et interne des cabinets. Il pourrait d’ailleurs y avoir des synergies entre nos outils de recherche, qui portent respectivement sur la donnée publique et sur la donnée privée, afin d’apporter une qualité de réponse accrue. Et Case Law Analytics fait de l’analyse de risque, c’est-à-dire qu’ils quantifient les facteurs de risque d’un dossier en se fondant sur des modèles statistiques et des modèles d’IA. Il s’agit donc d’une solution de pointe ultraspécialisée, là où nous ambitionnons d’accompagner les avocats sur une multitude de tâches quotidiennes, qui ne sont pas nécessairement aussi complexes (du moins dans un premier temps).
Qu’est-ce qui différencie le type d’IA utilisé pour les professionnels du droit de l’IA utilisée pour les chatbots intelligents ?
Les dispositifs de voitures autonomes gèrent des modalités diverses (vision, combinaison de capteurs…), qu’ils doivent intégrer et analyser en temps réel. Dans notre cas, nous travaillons essentiellement sur du texte (ainsi qu’un peu de vision pour la lecture de certains documents), avec des besoins en raisonnement plus poussés – mais une contrainte d’analyse en temps réel plus souple.
Les chatbots intelligents sont une manière d’interagir avec les LLM et, à ce titre, certains des outils développés par Jimini relèvent du chatbot intelligent. Toutefois, le niveau d’exigence vis-à-vis du chatbot diffère suivant les applications : la tolérance à l’« hallucination » du modèle (i.e. sa propension à inventer des éléments) n’est pas la même pour les professionnels juridiques, pour qui la moindre erreur est inacceptable, que dans le cas d’une recommandation de produit anodine. De plus, les outils que nous proposons requièrent un raisonnement juridique poussé de la part du modèle, qui n’est pas nécessaire pour les chatbots généralistes.
On a beaucoup parlé, ces derniers temps, des démêlés d’OpenAI avec les producteurs de contenus, sur la question du droit d’auteur. Qu’en est-il de l’accès à la donnée des cabinets d’avocats ?
La donnée des cabinets d’avocats est une donnée sensible à deux égards : elle contient d’une part des informations confidentielles, qui n’ont pas vocation à être partagées avec quiconque d’autre que le client et son avocat ; d’autre part, les précédents de contrats et de mémos juridiques sont une ressource précieuse, car ils contiennent le savoir-faire du cabinet. Cette forte contrainte de confidentialité est au cœur de nos choix techniques : nous nous appuyons sur des modèles open source, que nous déployons sur un cloud souverain et sécurisé, sans jamais partager ces données avec un quelconque acteur tiers.
En matière de numérisation de la justice, y a‑t-il d’autres pistes à investiguer ?
La France est très avancée sur l’open data judiciaire, ce qui a notamment permis à de nombreuses initiatives à destination des professionnels du droit d’émerger (comme Doctrine ou Pappers). Cependant, du côté client, il demeure un problème majeur en France, à savoir le non-recours au droit.
Là où nous aidons les avocats à gagner en productivité, et par effet ricochet à pouvoir proposer des prestations plus abordables, un autre angle d’approche serait de vulgariser le droit et d’orienter les gens pour qu’ils aient recours à la justice et à du conseil juridique, lorsqu’ils en ont besoin. Et plus généralement cette vulgarisation bénéficierait à l’ensemble des citoyens pour comprendre la loi – que nul n’est censé ignorer, mais qui reste pour le moment bien trop complexe pour être comprise en l’absence de formation juridique.
« La France est très avancée sur l’open data judiciaire. »
En novembre dernier, le Conseil d’État a d’ailleurs organisé un hackathon avec l’objectif de rendre les jugements administratifs compréhensibles pour tous, indépendamment du niveau de connaissances juridiques des personnes, de leur compétence en français ou de leurs éventuels handicaps.
Polytechnique Ventures fait partie du tour de table. Peux-tu nous en dire plus sur cet acteur assez récent dans l’univers du capital risk ?
Polytechnique Ventures est un fonds de venture capital financé par des anciens élèves de l’École, dont la thèse d’investissement est centrée sur Polytechnique – il soutient des projets deep tech issus de l’écosystème X (par exemple une start-up portée par un ancien X, ou autour d’une technologie issue d’un laboratoire lié à l’École). Ils ont ainsi, et non exhaustivement, investi chez Okomera qui développe des traitements personnalisés contre le cancer, chez Néolithe pour fossiliser les déchets, ou encore chez Jimmy Energy qui développe des miniréacteurs nucléaires. Nous sommes donc à la fois fiers et ravis qu’ils soient lead investor sur notre tour de seed ! Ils nous ont effectivement fait confiance dès le début de l’aventure et nous permettent depuis lors d’apporter un regard neuf sur les éventuelles problématiques que nous pouvons rencontrer.