Raphaël Arroche à gauche et Stéphane Béreux (X17) à droite, cofondateurs de Jimini

Jimini AI Booste la productivité des avocats

Dossier : TrajectoiresMagazine N°795 Mai 2024
Par Hervé KABLA (X84)

En 2023, Sté­phane Béreux (X17) a cofon­dé Jimi­ni AI, qui s’occupe de la recherche, de l’analyse et de la rédac­tion de docu­ments juri­diques, à très grande vitesse et avec une fia­bi­li­té maxi­male, pour les avo­cats et plus géné­ra­le­ment les juristes, en s’appuyant sur les récentes avan­cées en IA générative.

Quelle est l’activité de Jimini AI ?

Jimi­ni AI pro­pose un copi­lote pour les pro­fes­sion­nels du droit euro­péens, avo­cats et juristes, afin de les aider à auto­ma­ti­ser les tâches chro­no­phages et à faible valeur ajou­tée de leur tra­vail, à savoir la recherche juri­dique, l’analyse et la rédac­tion de docu­ments juri­diques. Nous leur per­met­tons ain­si de tirer par­ti de leur base de don­nées interne, une res­source pré­cieuse mais jusqu’alors sous-exploi­tée, en s’appuyant sur les récentes avan­cées en IA générative.

Quel est le parcours des fondateurs ?

Raphaël Arroche, CEO de Jimi­ni AI, est diplô­mé de l’Edhec et a mon­té plu­sieurs start-up depuis sa sor­tie d’études, dont une legal­tech (MonPostulant.fr) comp­tant 7 % des avo­cats fran­çais. Et moi Sté­phane Béreux (X17), CTO de Jimi­ni AI, me suis spé­cia­li­sé en Machine Lear­ning durant mon par­cours à Poly­tech­nique, puis j’ai com­men­cé une thèse, que j’ai inter­rompue pour rejoindre Entre­pre­neur First en sep­tembre 2022. Il s’agit d’un incu­ba­teur de start-up visant à faire se ren­con­trer des pro­fils busi­ness et des pro­fils tech­niques. C’est ain­si que j’ai fait la connais­sance de Raphaël et qu’est né Jimi­ni AI.

Comment t’est venue l’idée ?

Nous réflé­chis­sions à un pro­jet qui nous per­mît de com­bi­ner nos spé­cia­li­tés res­pec­tives – le monde du droit d’une part et l’IA d’autre part. Cela a coïn­ci­dé avec la démo­cra­ti­sa­tion des LLM, avec notam­ment l’arrivée des modèles open source Lla­ma. Raphaël connais­sait bien le pro­blème du manque de temps des avo­cats, et l’application des nou­veaux modèles de lan­gage à ce sujet a donc été une évi­dence. Nous avons par la suite échan­gé avec des dizaines d’avocats et juristes pour affi­ner notre com­pré­hen­sion de leur métier, jusqu’à faire res­sor­tir les trois cas d’usage récur­rents que notre outil ambi­tionne d’automatiser.

Qui sont les concurrents ?

Nos concur­rents sont mul­tiples. Cer­tains acteurs amé­ri­cains tels qu’Harvey AI ou Case­text, mais ils sont pour le moment majo­ri­tai­re­ment aux USA. Plu­sieurs autres start-up euro­péennes, qui pro­posent soit des solu­tions trans­ver­sales comme la nôtre (par ex. Orda­lie), soit des solu­tions plus spé­cia­li­sées (comme Robin AI qui se spé­cia­lise dans la rédac­tion de docu­ments juri­diques). Les édi­teurs juri­diques, qui déve­loppent des solu­tions de recherche juri­dique fon­dées sur l’IA. Les ges­tion­naires de don­nées des cabi­nets et des direc­tions juri­diques, comme Micro­soft qui déve­loppe son copi­lote, mais qui n’est pas spé­cia­li­sé pour les pro­fes­sion­nels du droit. Si le pay­sage concur­ren­tiel est donc loin d’être vierge, la « niche euro­péenne » est encore pré­ser­vée, du fait d’une frag­men­ta­tion du mar­ché (par rap­port à l’immense mar­ché US), de fortes contraintes sur le trai­te­ment des don­nées, ain­si que d’un éco­sys­tème de legal­tech moins déve­lop­pé qu’outre-Atlantique, et c’est elle que nous visons.

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?

Nous avons levé un pre-seed avec Entre­preneur First en décembre 2022, puis un seed en octobre 2023 pour un mon­tant total de 2 M$. Cet argent nous a per­mis de recru­ter une équipe d’une dou­zaine de per­sonnes, dont 80 % d’ingénieurs, pour déve­lop­per notre pro­duit qui pos­sède avant tout une ADN tech essentielle.

Après Doctrine et Case Law Analytics, déjà interviewées dans cette rubrique, Jimini est la troisième legaltech fondée sur l’IA. En quoi Jimini AI se différencie-t-elle de ces illustres et jeunes prédécesseurs ?

Doc­trine a déve­lop­pé un moteur de recherche juri­dique sur la don­née open source (qui consiste essen­tiel­le­ment en la loi ain­si qu’en la juris­pru­dence), là où nous nous foca­li­sons sur la don­née pro­prié­taire et interne des cabi­nets. Il pour­rait d’ailleurs y avoir des syner­gies entre nos outils de recherche, qui portent respec­tivement sur la don­née publique et sur la don­née pri­vée, afin d’apporter une qua­li­té de réponse accrue. Et Case Law Ana­ly­tics fait de l’analyse de risque, c’est-à-dire qu’ils quan­ti­fient les fac­teurs de risque d’un dos­sier en se fon­dant sur des modèles sta­tis­tiques et des modèles d’IA. Il s’agit donc d’une solu­tion de pointe ultras­pé­cia­li­sée, là où nous ambi­tionnons d’accompagner les avo­cats sur une mul­ti­tude de tâches quo­ti­diennes, qui ne sont pas néces­sai­re­ment aus­si com­plexes (du moins dans un pre­mier temps).

Qu’est-ce qui différencie le type d’IA utilisé pour les professionnels du droit de l’IA utilisée pour les chatbots intelligents ?

Les dis­po­si­tifs de voi­tures auto­nomes gèrent des moda­li­tés diverses (vision, com­bi­nai­son de cap­teurs…), qu’ils doivent inté­grer et ana­ly­ser en temps réel. Dans notre cas, nous tra­vaillons essen­tiel­le­ment sur du texte (ain­si qu’un peu de vision pour la lec­ture de cer­tains docu­ments), avec des besoins en rai­son­ne­ment plus pous­sés – mais une contrainte d’analyse en temps réel plus souple. 

Les chat­bots intel­li­gents sont une manière d’interagir avec les LLM et, à ce titre, cer­tains des outils déve­lop­pés par Jimi­ni relèvent du chat­bot intel­li­gent. Tou­te­fois, le niveau d’exigence vis-à-vis du chat­bot dif­fère sui­vant les appli­ca­tions : la tolé­rance à l’« hal­lu­ci­na­tion » du modèle (i.e. sa pro­pen­sion à inven­ter des élé­ments) n’est pas la même pour les profes­sionnels juri­diques, pour qui la moindre erreur est inac­cep­table, que dans le cas d’une recom­man­da­tion de pro­duit ano­dine. De plus, les outils que nous pro­po­sons requièrent un rai­son­ne­ment juri­dique pous­sé de la part du modèle, qui n’est pas néces­saire pour les chat­bots généralistes.

On a beaucoup parlé, ces derniers temps, des démêlés d’OpenAI avec les producteurs de contenus, sur la question du droit d’auteur. Qu’en est-il de l’accès à la donnée des cabinets d’avocats ?

La don­née des cabi­nets d’avocats est une don­née sen­sible à deux égards : elle contient d’une part des infor­ma­tions confi­den­tielles, qui n’ont pas voca­tion à être par­ta­gées avec qui­conque d’autre que le client et son avo­cat ; d’autre part, les pré­cé­dents de contrats et de mémos juri­diques sont une res­source pré­cieuse, car ils contiennent le savoir-faire du cabi­net. Cette forte contrainte de confi­den­tia­li­té est au cœur de nos choix tech­niques : nous nous appuyons sur des modèles open source, que nous déployons sur un cloud sou­ve­rain et sécu­ri­sé, sans jamais par­ta­ger ces don­nées avec un quel­conque acteur tiers.

En matière de numérisation de la justice, y a‑t-il d’autres pistes à investiguer ?

La France est très avan­cée sur l’open data judi­ciaire, ce qui a notam­ment per­mis à de nom­breuses ini­tia­tives à des­ti­na­tion des pro­fes­sion­nels du droit d’émerger (comme Doc­trine ou Pap­pers). Cepen­dant, du côté client, il demeure un pro­blème majeur en France, à savoir le non-recours au droit. 

Là où nous aidons les avo­cats à gagner en pro­duc­ti­vi­té, et par effet rico­chet à pou­voir pro­po­ser des pres­ta­tions plus abor­dables, un autre angle d’approche serait de vul­ga­ri­ser le droit et d’orienter les gens pour qu’ils aient recours à la jus­tice et à du conseil juri­dique, lorsqu’ils en ont besoin. Et plus géné­ra­le­ment cette vul­ga­ri­sa­tion béné­fi­cie­rait à l’ensemble des citoyens pour com­prendre la loi – que nul n’est cen­sé igno­rer, mais qui reste pour le moment bien trop com­plexe pour être com­prise en l’absence de for­ma­tion juridique.

« La France est très avancée sur l’open data judiciaire. »

En novembre der­nier, le Conseil d’État a d’ailleurs orga­ni­sé un hacka­thon avec l’objectif de rendre les juge­ments admi­nis­tra­tifs com­pré­hen­sibles pour tous, indé­pen­dam­ment du niveau de connais­sances juri­diques des per­sonnes, de leur com­pé­tence en fran­çais ou de leurs éven­tuels handicaps.

Polytechnique Ventures fait partie du tour de table. Peux-tu nous en dire plus sur cet acteur assez récent dans l’univers du capital risk ?

Poly­tech­nique Ven­tures est un fonds de ven­ture capi­tal finan­cé par des anciens élèves de l’École, dont la thèse d’investissement est cen­trée sur Poly­tech­nique – il sou­tient des pro­jets deep tech issus de l’écosystème X (par exemple une start-up por­tée par un ancien X, ou autour d’une tech­no­lo­gie issue d’un labo­ra­toire lié à l’École). Ils ont ain­si, et non exhaus­ti­ve­ment, inves­ti chez Oko­me­ra qui déve­loppe des trai­te­ments per­son­na­li­sés contre le can­cer, chez Néo­lithe pour fos­si­li­ser les déchets, ou encore chez Jim­my Ener­gy qui déve­loppe des mini­réac­teurs nucléaires. Nous sommes donc à la fois fiers et ravis qu’ils soient lead inves­tor sur notre tour de seed ! Ils nous ont effec­ti­ve­ment fait confiance dès le début de l’aventure et nous per­mettent depuis lors d’apporter un regard neuf sur les éven­tuelles pro­blé­ma­tiques que nous pou­vons ren­con­trer. 

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