Boléro / Il reste encore demain / pas de vagues / Inchallah un fils / Quitter la nuit

Boléro / Il reste encore demain / Pas de vagues / Inchallah un fils / Quitter la nuit

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°795 Mai 2024
Par Christian JEANBRAU (63)

Il est des films inté­res­sants (La nou­velle femme : Léa Todo­rov – 1 h 39), diver­tis­sants (Quelques jours pas plus : Julie Navar­ro – 1 h 43), pénibles (La flamme verte : Moham­mad Reza Asla­ni – 1 h 50), trans­pa­rents (Sido­nie au Japon : Élise Girard – 1 h 35), super­flus (Bis Repe­ti­ta : Émi­lie Noblet – 1 h 31), égo­cen­trés (Une famille : Chris­tine Angot – 1 h 21), auto­sa­tis­faits (Le monde est à eux : Jéré­mie Fon­ta­nieu – 1 h 15) et d’autres, qui attachent et font réfléchir.

BoléroBoléro

Réa­li­sa­trice : Anne Fon­taine – 2 h 00

Raphaël Per­son­naz est un Mau­rice Ravel sub­til et tou­chant dans cette recréa­tion de la genèse de son Bolé­ro. Le ver­nis d’académisme un peu guin­dé des débuts s’oublie ensuite, tant l’acteur est convain­cant. Très bien accom­pa­gné (Emma­nuelle Devos en Mar­gue­rite Long, Doria Tillier en Misia Sert, Jeanne Bali­bar en Ida Rubin­stein), avec Anne Alva­ro pour mère, dans une logique qui sert le film mais prend de grandes liber­tés avec ce que fut le réel de ces diverses rela­tions, ce Ravel intro­ver­ti, émas­cu­lé dans son rap­port aux femmes dont seule compte pour lui la dimen­sion rêvée (éton­nante poé­sie déca­lée des scènes de bor­del), avance, habi­té de musique, vers l’accouchement (fine­ment mis en valeur) de son « tube » et le triste et dou­lou­reux affais­se­ment neu­ro­lo­gique de son génie, que l’on par­tage. Une recons­truc­tion riche même de ses rajouts. Très attachant.


Il reste encore demainIl reste encore demain

Réa­li­sa­trice : Pao­la Cor­tel­le­si – 1 h 58

Indis­pen­sable et ter­rible. S’il n’y avait pas le tout petit bémol d’une rou­blar­dise du scé­na­rio – qui aime être ber­né ? – lequel nous entraîne dans le der­nier quart du film, avant que nos yeux ne se des­sillent, sur une fausse piste, on ne trou­ve­rait que des louanges à tres­ser, tant tout, la mise en contexte, les acteurs (Pao­la Cor­tel­le­si, for­mi­dable réa­li­sa­trice et rôle prin­ci­pal), l’image, l’inventivité dans le mélange sha­kes­pea­rien du plus déses­pé­rant et de la comé­die, la pho­to­gra­phie, la richesse et la force des situa­tions, la jus­tesse sans faille du pro­pos, l’acuité de l’observation, la pein­ture psy­cho­lo­gique et de genre, tout, pour le redire, émer­veille. Un film à voir absolument.


Pas de vaguesPas de vagues

Réa­li­sa­teur : Ted­dy Lus­si-Modeste – 1 h 32

Néces­saire et écra­sant. C’est la pein­ture d’un vécu effec­tif (l’histoire du réa­li­sa­teur, récente : 2020) met­tant par­fai­te­ment en lumière l’écrasante situa­tion qu’est l’hostilité d’une classe (d’aujourd’hui ! il ne s’agit pas du cha­hut fût-il ignoble d’hier – lire l’extraordinaire roman de Louis Guilloux, Le sang noir) qui a dési­gné un ensei­gnant comme sa vic­time. La des­cente aux enfers du héros (impec­cable Fran­çois Civil) témoigne de ce que peut atteindre en bas­sesse le glis­se­ment de la péda­go­gie, par l’inexistence de la notion d’équipe et la lâche­té des res­pon­sables. Gla­ciale mise en valeur de la capa­ci­té de nui­sance d’un élève puis d’une classe dans le cli­mat dévas­ta­teur entre­te­nu par les réseaux sociaux et l’incapacité des adultes (voire l’impossibilité) à faire face. Notre école est-elle en train de perdre la bataille de l’éducation ? L’a‑t-elle déjà per­due ? Pas de vagues nous pose la question.


Inchallah un filsInchallah un fils

Réa­li­sa­teur : Amjad Al Rasheed – 1 h 53

Émou­vante, solaire, tonique Mou­na Hawa en jeune mère confron­tée, dans une Jor­da­nie gan-gre­née de règles rédui­sant à rien la femme, au décès d’un mari qui n’a lais­sé aucune trace écrite de sa par­ti­ci­pa­tion aux « acquêts » posi­tifs du ménage. Un frère pas­sif, un beau-frère hos­tile qui exploite au maxi­mum la légis­la­tion, une fillette ché­rie dont on veut la pri­ver, un emploi réduc­teur de soi­gnante au domi­cile de grands bour­geois dont la fille, mal mariée, vic­time du car­can social et de l’infidélité sans ver­gogne du conjoint, veut avor­ter, un col­lègue trop pres­sant… Elle résiste, lutte, garde la tête haute. Beau por­trait de femme et riche des­crip­tion d’une socié­té aux us et cou­tumes aber­rants. Sa force de carac­tère ouvre mal­gré tout une lueur d’espoir face à ce « Haram » géné­ra­li­sé que dénonce un des personnages.


Quitter la nuitQuitter la nuit

Réa­li­sa­trice : Del­phine Girard – 1 h 48

Très convain­cant ! Entre un pro­logue ten­du – impres­sion­nant – et un épi­logue plus ouvert, une fine étude psy­cho­lo­gique, ori­gi­nale et com­plète, autour d’un « rap­port sexuel non consen­ti », c’est-à-dire d’un viol, mais si « ordi­naire », si « banal », qu’on en tré­bu­che­rait sur le mot. Les zones d’ombre, non dis­si­pées, sont mises en place avec une cré­di­bi­li­té qui per­met à la com­plexi­té des non-dits de trou­ver une vraie forme d’expression. Le dia­logue impos­sible des deux sexes est sou­li­gné ici, dans une socié­té où s’efface la valeur « couple ». Les soli­da­ri­tés fémi­nines qu’on nous offre in fine peuvent-elles ser­vir de com­pli­ci­té de substitution ?

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