Interconnecter les ordinateurs quantiques pour augmenter leur puissance de calcul

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°795 Mai 2024Par Tom DARRASPar Jean LAUTIER-GAUDPar Eleni DIAMANTIPar Julien LAURAT

Welinq tra­vaille sur des mémoires quan­tiques qui vont per­mettre d’interconnecter les ordi­na­teurs quan­tiques afin d’augmenter leur puis­sance de cal­cul. Lan­cée par Tom Dar­ras, Julien Lau­rat, Ele­ni Dia­man­ti et Jean Lau­tier-Gaud, cette pépite tech­no­lo­gique Made-In-France dévoi­le­ra d’ici la fin de l’année la mémoire quan­tique la plus per­for­mante au monde.

Comment est née Welinq ?

Les quatre cofon­da­teurs de Welinq se sont ren­con­trés dans le cadre de tra­vaux de recherche au sein d’un pro­jet col­la­bo­ra­tif euro­péen, Quan­tum Inter­net Alliance. À l’époque, Tom Dar­ras réa­li­sait sa thèse de doc­to­rat sous la direc­tion de Julien Lau­rat, pro­fes­seur à Sor­bonne Uni­ver­si­té. Ele­ni Dia­man­ti était direc­trice de recherche au CNRS et au Labo­ra­toire d’Informatique de la Sor­bonne. Jean Lau­tier-Gaud tra­vaillait, quant à lui, dans une start-up spé­cia­li­sée dans le déve­lop­pe­ment et com­mer­cia­li­sa­tion de cap­teurs quan­tiques. Ensemble, nous avons lan­cé Welinq afin de valo­ri­ser les tra­vaux issus de nos recherches autour d’une mémoire quan­tique, une tech­no­lo­gie qui per­met d’interconnecter des dis­po­si­tifs quan­tiques, notam­ment des ordi­na­teurs quan­tiques. La créa­tion de Welinq s’inscrit aus­si dans un contexte par­ti­cu­liè­re­ment favo­rable au déve­lop­pe­ment du quan­tique de manière glo­bale. En 2020, alors que je fai­sais encore ma thèse, le labo­ra­toire avait réus­si à obte­nir le record du monde de per­for­mance de ces mémoires quan­tiques. Au-delà, alors que les tech­no­lo­gies quan­tiques com­mencent à avoir une réelle matu­ri­té tech­no­lo­gique, de plus en plus de start-up et d’entreprises se posi­tionnent sur ce seg­ment afin d’en accé­lé­rer le déve­lop­pe­ment et de pas­ser à l’échelle indus­trielle. D’ailleurs, il est inté­res­sant de noter que les start-up fran­çaises ont été pion­nières dans ce domaine et ont lar­ge­ment contri­bué à déve­lop­per cette tech­no­lo­gie basée sur les atomes neutres ! Enfin, il y a aus­si une réelle appé­tence du mar­ché pour ces inter­con­nexions quan­tiques. Nous assis­tons aujourd’hui à une réelle course au déve­lop­pe­ment des ordi­na­teurs quan­tiques qui ont voca­tion à lever d’importants freins tech­no­lo­giques que les super­cal­cu­la­teurs conven­tion­nels n’arrivent pas à dépasser.

Sur ce marché en pleine croissance, quels sont les principaux enjeux et problématiques des entreprises ?

Les ordi­na­teurs quan­tiques actuels n’ont pas encore atteint une puis­sance opti­male. Néan­moins, l’interconnexion de plu­sieurs ordi­na­teurs quan­tiques en uti­li­sant les mémoires quan­tiques que nous déve­lop­pons afin de syn­chro­ni­ser les opé­ra­tions de cal­cul de ces ordi­na­teurs doit per­mettre d’augmenter leurs capa­ci­tés de cal­cul. Aujourd’hui, Welinq tra­vaille ain­si sur le pas­sage à l’échelle des ordi­na­teurs quan­tiques, afin d’ouvrir de nou­velles pers­pec­tives à une plu­ra­li­té de sec­teurs qui ont besoin de s’appuyer sur de très fortes capa­ci­tés de cal­cul : la phar­ma, la chi­mie, la logis­tique, l’aérospatiale, l’énergie, la finance, l’assurance. Avec les ordi­na­teurs quan­tiques, l’idée est d’arriver à mani­pu­ler de l’information à des échelles infi­ni­té­si­ma­le­ment petites en ayant recours aux pro­prié­tés de la phy­sique quan­tique (super­po­si­tion quan­tique, intri­ca­tion…). Cette démarche per­met alors d’implémenter un nou­veau para­digme de cal­cul, notam­ment des algo­rithmes quan­tiques qui per­mettent de trai­ter des pro­blèmes jusqu’alors inso­lubles avec des cal­cu­la­teurs conven­tion­nels. L’enjeu tech­nique au niveau de ces ordi­na­teurs quan­tiques est donc d’arriver à mani­pu­ler des sys­tèmes quan­tiques indi­vi­duels, les qubits. Pour faire des cal­culs com­plexes et à très haute inten­si­té, il faut faire inter­agir plu­sieurs qubits. La puis­sance d’un ordi­na­teur quan­tique et sa capa­ci­té à résoudre des pro­blèmes dépendent direc­te­ment de sa capa­ci­té à mani­pu­ler un nombre tou­jours plus impor­tant de qubits. En France, plu­sieurs entre­prises et start-up se sont lan­cées dans la course au déve­lop­pe­ment des ordi­na­teurs quan­tiques. On peut notam­ment citer Pas­qal, Alice & Bob, Quan­de­la, Quo­bly, C12QE… Et on retrouve bien évi­dem­ment aus­si les géants indus­triels et de la Tech : IBM, Google, Micro­soft, Ama­zon Web Services.
Pour déve­lop­per ces ordi­na­teurs quan­tiques, il existe plu­sieurs pistes tech­no­lo­giques : uti­li­ser des ions, élec­trons ou pho­tons. Néan­moins, quelle que soit la pla­te­forme hard­ware, le nombre de qubits mani­pu­lés reste encore très res­treint, alors que, selon la com­plexi­té du pro­blème à résoudre, il faut pou­voir comp­ter sur des cen­taines de mil­liers, voire des mil­lions ou des mil­liards de qubits. À par­tir de là, la pro­chaine étape tech­no­lo­gique consiste à pou­voir inter­con­nec­ter de manière « quan­tique » ces ordi­na­teurs de tailles inter­mé­diaires afin d’augmenter le nombre de qubits dis­po­nibles. Welinq ambi­tionne jus­te­ment de déve­lop­per la solu­tion d’interconnexion d’ordinateurs quan­tiques la plus effi­cace au monde pour lever ces freins. Au-delà, nos mémoires quan­tiques ont voca­tion à avoir d’autres appli­ca­tions. Elles vont notam­ment per­mettre le déploie­ment des réseaux de com­mu­ni­ca­tion quan­tique, qui sont des réseaux sécu­ri­sés par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sants pour le sec­teur de la défense et de la sécu­ri­té. Nos mémoires quan­tiques vont ain­si per­mettre d’étendre la por­tée de ces réseaux à plu­sieurs cen­taines de kilo­mètres. Dans ce cadre, nous par­ti­ci­pons au pro­jet Fran­ce­Q­CI pilo­té par Orange en col­la­bo­ra­tion avec Air­bus, Thales et Thales Ale­nia Space. Si nous res­tons foca­li­sés sur l’enjeu de l’interconnexion d’ordinateurs quan­tiques, nous avons néan­moins la volon­té de pou­voir contri­buer au déploie­ment de cas d’usage et d’applications connexes.

Revenons plus particulièrement sur votre solution. Comment fonctionne-t-elle ?

Quelle que soit la pla­te­forme tech­no­lo­gique, pour inter­con­nec­ter des ordi­na­teurs quan­tiques, il faut avoir recours à un sys­tème de réseau fibré. Il s’agit donc de mettre en place des réseaux optiques qui vont pro­pa­ger des grains de lumière ou pho­tons indi­vi­duels au lieu des pulses de lumière, comme dans une fibre optique conven­tion­nelle. À ce niveau, la dif­fi­cul­té réside dans le fait que les ordi­na­teurs quan­tiques émettent ces grains de lumière et donc des infor­ma­tions quan­tiques de manière tota­le­ment aléa­toire et désyn­chro­ni­sée. Dans ce cadre, nos mémoires quan­tiques per­mettent de solu­tion­ner cette pro­blé­ma­tique, car elles ont la capa­ci­té à arrê­ter l’information quan­tique émise par les ordi­na­teurs. Et quand toutes les mémoires ont reçu l’information, il va alors être pos­sible de les relire de manière simul­ta­née, ce qui va rendre, in fine, pos­sible l’interconnexion. Au sein de Welinq, nous ne déve­lop­pons donc pas seule­ment un com­po­sant de mémoire, mais une solu­tion com­plète qui va per­mettre de déployer un réseau local d’interconnexion. Nos mémoires quan­tiques sont le fruit de nos tra­vaux de recherche dans des labo­ra­toires d’excellence à Paris, dont le Labo­ra­toire Kast­ler Bros­sel, auréo­lé de 3 prix Nobel et 5 médailles d’or du CNRS ain­si que LIP6, Labo­ra­toire d’Informatique de Sor­bonne Uni­ver­si­té. un des plus gros labo­ra­toires d’informatique au monde. Et elles reposent aus­si sur une tech­no­lo­gie spé­ci­fique basée sur la mani­pu­la­tion d’atomes neutres pié­gés et refroi­dis par laser.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

La start-up a vu le jour en 2022. Nous avons réa­li­sé une pre­mière levée de fonds de 5 mil­lions d’euros début 2023 pour finan­cer notre R&D. Nous avons ouvert notre bureau et notre labo­ra­toire à Paris et employons actuel­le­ment une quin­zaine de col­la­bo­ra­teurs. D’ici la fin de l’année 2024, nous allons livrer la pre­mière mémoire quan­tique la plus per­for­mante au monde avec l’objectif de lan­cer les démons­tra­tions et les preuves de concept avec des pre­miers clients dès 2025 (four­nis­seurs de cal­cul quan­tique, centres de cal­cul de haute per­for­mance, opé­ra­teurs qui déploient des réseaux de com­mu­ni­ca­tion quan­tique…). Pour mener de front l’ensemble de ces défis et accé­lé­rer notre déve­lop­pe­ment, nous pré­pa­rons une seconde levée de fonds (série A). Sur un plan tech­no­lo­gique, il s’agit main­te­nant de tra­vailler sur le cou­plage de notre mémoire quan­tique avec les dif­fé­rentes tech­no­lo­gies d’ordinateurs quan­tiques. Enfin, notre objec­tif est aus­si d’avoir une équipe de 30 per­sonnes à la fin de l’année et de 50 col­la­bo­ra­teurs d’ici fin 2026, et d’agrandir nos locaux pour accueillir, en plus de nos acti­vi­tés de R&D, le déve­lop­pe­ment de nos mémoires quan­tiques et d’autres tech­no­lo­gies com­plé­men­taires, ain­si qu’une pre­mière capa­ci­té de pro­duc­tion de mémoires quantiques.

Dans cette démarche, êtes-vous confrontés à des enjeux particuliers ?

Comme toutes les start-up, le prin­ci­pal défi est de pou­voir trou­ver les finan­ce­ments néces­saires et de recru­ter les bons pro­fils pour pour­suivre, voire accé­lé­rer, le déve­lop­pe­ment de l’activité. Il s’agit aus­si de péren­ni­ser notre infra­struc­ture et d’aller vers la com­mer­cia­li­sa­tion de nos mémoires quan­tiques en met­tant en place de pre­miers par­te­na­riats com­mer­ciaux avec des clients du type four­nis­seurs de cal­cul quan­tique, centres de cal­cul haute per­for­mance, mais éga­le­ment des indus­triels qui sont les uti­li­sa­teurs finaux des ordi­na­teurs quantiques.

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