Nicolas Truelle (X80) Neuf années aux Apprentis d’Auteuil
Nicolas Truelle va quitter la direction des Apprentis d’Auteuil après un long mandat qui est comme le couronnement d’une carrière marquée par l’expérience de l’humain dans toutes ses dimensions. Rencontre avec le fruit d’un croisement de rationalité et de spiritualisme.
Il y a des chasseurs de têtes qui ont de drôles de spécialités. Celui qui, en 2014, suggéra à Nicolas Truelle de présenter sa candidature à la direction générale de la fondation Apprentis d’Auteuil était un ancien séminariste jésuite. S’il travaillait essentiellement dans le secteur de la chimie, il avait gardé de ses années de congrégation l’envie de rendre service à l’Église et à ses diverses émanations : entre deux missions pour le secteur industriel, il lui arrivait de recruter un économe diocésain. Proposer à la tête de la fondation catholique reconnue d’utilité publique la nomination d’un ingénieur riche d’une belle carrière et désireux de mettre ses compétences au service de la jeunesse en difficulté lui permettait en quelque sorte de faire les deux à la fois.
Un mélange de rationalité et de spiritualisme
Jusqu’alors, le parcours de notre camarade avait été une suite de rebonds autour de deux pôles : un attrait pour la rigueur scientifique et un goût prononcé pour les relations humaines. Nicolas Truelle s’amuse à voir dans ces oscillations la conséquence de sa double culture familiale. Du côté paternel, on tient un bel exemple d’ascension sociale reposant sur le mérite : un arrière-grand-père tanneur, un grand-père médecin, un père polytechnicien (promotion 47, il fit carrière chez Alstom), tous adeptes d’une grande rationalité dans la conduite de leur existence. Du côté maternel, dans une famille d’aristocrates ruinés par la crise de 1929, on croyait davantage aux forces de l’esprit : le grand-père se vantait de pouvoir déterminer les maladies de ses enfants à l’aide d’un simple pendule. « Je suis issu de ce mélange, et je me sens bien dans les deux courants de pensée », résume Nicolas.
L’industrie, finalement
En 1980, après une brillante scolarité (chez les jésuites, déjà, puis à Louis-le-Grand), il est admis à la fois à Ulm et à l’X. Par goût pour la recherche (il rêve d’une carrière de biologiste moléculaire, à une époque où le génie génétique était en plein essor), il penche vers l’École normale, mais son père lui conseille tout de même d’aller jeter un œil dans les labos tout neufs de l’École polytechnique – la visite du plateau le convaincra de revoir son choix. Sorti 11e au classement, une année où le corps des Mines offre 11 places, il n’hésite pas, et le voilà qui franchit les portes du monde de l’industrie.
Son premier poste l’amène à Rouen, où il s’occupe à la fois de contrôler les entreprises qui construisent la centrale nucléaire de Penly et d’assurer la concertation autour des nouvelles autoroutes normandes que le gouvernement a décidé de bâtir. « Les tracés que proposaient les riverains s’éloignaient souvent de ce que dictait le bon sens technique, se souvient-il, et me renvoyaient à l’opposition rationnel irrationnel qui marque mon existence. »
L’expérience de l’entreprise
Après cette première expérience, la carrière de Nicolas Truelle donne un peu le tournis. Il revient à Paris, où pendant trois ans il est directeur de cabinet du directeur général de l’Industrie (poste occupé par Christian Marbach puis Didier Lombard). Si la découverte de la vie politique le fascine, le « réel » lui manque, et « qu’est-ce que le réel, sinon une usine ? ».
On lui conseille alors de prendre l’attache de Jean-François Dehecq, le patron de Sanofi, qui, précisément, cherche un directeur pour un établissement chimique situé dans le Gard. En veillant à la bonne fabrication des principes actifs qui composent, entre autres, le Tranxene, Nicolas découvre avec enthousiasme, sans avoir besoin de tranquillisant lui-même, comment gérer une petite entreprise. Les choses se passent tellement bien que Dehecq lui propose, trois ans plus tard, de devenir le DRH de Sanofi, puis, après trois autres années, le patron opérationnel de la branche diagnostic de Sanofi.
En 2000, le rachat de cette entité par l’américain Bio-Rad offre à Nicolas Truelle l’occasion de faire tout autre chose : à la suite d’une rencontre avec l’investisseur Abdelaziz Zouad, le voilà directeur général d’une entreprise… de location de camions ! Il y met toutes ses économies, et toute son énergie aussi, afin de redresser l’entreprise puis d’affronter la terrible épreuve de la crise de 2008. Mais voilà qu’il a de nouveau une envie d’ailleurs : Serge Weinberg lui propose d’être associé de son fonds d’investissement. Pendant quatre ans, il découvre le monde de la finance avec un grand intérêt pour l’accompagnement des dirigeants des participations, jusqu’au jour où il croise le chasseur de têtes ancien séminariste.
Les Apprentis d’Auteuil, enfin
De la fondation Apprentis d’Auteuil, ce Parisien amateur de jardins ne connaissait jusqu’alors que la façade et le petit parc devant la chapelle. En en prenant la direction, il découvre que ce joli parterre cache une ample structure de services aux enfants et adolescents vulnérables. Et il se prend de passion pour les questions que l’on s’y pose : « comment un enfant maltraité va-t-il à nouveau accepter de placer sa confiance dans un adulte ? », « comment passer d’une logique de guichet, où l’on attend d’être sollicité par les jeunes en difficulté, à une logique de l’aller-vers, où l’on part à leur rencontre, barre d’immeuble par barre d’immeuble ? ».
Ce catholique convaincu trouvera là l’épanouissement de toute sa carrière. Mais, après neuf années passées à réfléchir aux projets éducatifs les mieux adaptés à chaque situation personnelle, il aspire maintenant à travailler à un autre rythme, un rythme qui lui permettrait de s’occuper davantage de ses petits-enfants, par exemple. Il quittera donc ses fonctions le 30 juin.
« Les élèves polytechniciens font d’excellents éducateurs spécialisés. »
Quand on sort de son bureau, décoré de quelques images en noir et blanc de films avec Bourvil ou Louis de Funès, il nous glisse : « C’est amusant qu’on se soit vu aujourd’hui, car c’est aussi le jour où je déjeune avec les huit jeunes camarades qui ont choisi de faire leur “formation humaine” au sein d’Apprentis d’Auteuil. De l’avis de tous, les élèves polytechniciens font d’excellents éducateurs spécialisés. »